Après avoir été longtemps le parent pauvre de la fiction télévisuelle, les séries sont aujourd'hui reconnues comme un genre à part entière de la création audiovisuelle. A ce titre, elles bénéficient, depuis peu, de formations spécifiques de tout premier plan. En 2016, nous avions rencontré les responsables de deux prestigieuses écoles (la Fémis et le Conservatoire européen d'écriture audiovisuelle), qui ont misé sur la mise en place d'un tel cursus pour les séries. Nous republions les principaux extraits de notre enquête parue initialement le 29 janvier 2016.
Fémis : inventer une série originale et s’intégrer à une série déjà existante
Trois ans à peine après son lancement, le cursus Création de séries TV de la Fémis, la grande école préparant aux métiers de l'image et du son, engrange déjà de beaux succès. Ouvert à une douzaine d’étudiants âgés de moins de trente ans, il balaye, l'espace d'une année, tout le spectre de la formation, de l’écriture d’un épisode à la création d’une série, en passant par des modules spécifiques, et une présentation complète de l’environnement économique et juridique de la télévision française et de la coproduction européenne. Et s’offre le luxe d’être piloté par de prestigieux professionnels, Emmanuel Daucé, producteur d’Un village français et Des Hommes de l’ombre, Franck Philippon, scénariste de Maison close, et Frank Pugliese, l’une des plumes de House of Cards.
Une ouverture vers les États-Unis, l’Eldorado des séries, qui se traduit également par l’organisation d’un voyage d’étude pendant la scolarité : les élèves passent une semaine à New York, une autre à Los Angeles, où ils rencontrent la fine fleur des auteurs, producteurs et diffuseurs. Une manière d’inscrire le renouveau de la série en France dans l’incroyable dynamique américaine des vingt dernières années.
« En France, une nouvelle génération d’auteurs, désireux de se plonger dans les séries, est en train d’apparaître, se réjouissent Emmanuel Daucé et Franck Philippon, directeurs du département Création de Séries TV. Pourtant, si les talents sont forcément là, le savoir-faire en matière d’écriture sérielle, de lien avec la production exécutive et artistique et de compréhension intime des contraintes de diffusion, est encore très peu développé ». D'où l'importance de favoriser ces valeurs spécifiques à la série. « Créativité, exigence, humilité et esprit d’équipe : autant de vertus cardinales que nous souhaitons placer au cœur de cette formation, avec l’ambition de favoriser l’émergence de nouveaux auteurs, capables tout aussi bien d’intégrer les équipes d’écriture de séries existantes que de créer leurs propres séries, originales et ambitieuses », poursuivent-ils.
En France, une nouvelle génération d’auteurs, désireux de se plonger dans les séries, est en train d’apparaître
« Nous apprenons deux choses à nos auteurs de séries : inventer et écrire une série entièrement nouvelle et pouvoir s’intégrer à une série déjà existante », résumait Marc Nicolas, emblématique directeur de la Fémis entre 2002 et 2016, aujourd'hui disparu. Pari gagné là aussi : à la suite de l’exercice organisé pendant la scolarité qui consiste à écrire un épisode d’une série déjà existante sous la conduite du créateur de la série, les producteurs souhaitent pour la deuxième année consécutive acheter l’épisode écrit pendant l’exercice.
Passer de l’écriture de la série à sa réalisation, voilà bien le principal enjeu de la formation. « L’école forme des élèves, mais participe aussi à la structuration du champ de la réflexion sur les séries à côté des grands acteurs du secteur, raison pour laquelle nous bénéficions d’une grande complicité de la part de ces professionnels », se félicitent les responsables de la Fémis, qui relèvent une mesure « emblématique » de leurs partenaires : une participation financière à la réalisation les pilotes écrits pas les élèves. Forte de ce moyen trop peu utilisé par l'industrie audiovisuelle, la Fémis peut désormais tester grandeur nature un projet de série.
CEEA : du concept de la série aux étapes du scénario
Dans les salles du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA) où l’on passe une tête en compagnie de Patrick Vanetti, son directeur, l’ambiance est studieuse. Pas de cours mais quelques élèves qui travaillent en petits groupes. Pas question de déranger les futurs scénaristes. Car avant de devenir, peut-être, les professionnels des séries de demain, les élèves qui sortent du CEEA, qui fête cette année ses vingt ans, sont avant tout des scénaristes. « Les membres de notre conseil d’administration sont les fabricants de la fiction à toutes les étapes, notre pédagogie est ancrée dans la réalité du métier. Indépendamment de la série, qui nous occupe beaucoup, notre mission consiste à former des auteurs de fiction audiovisuelle et notre première préoccupation consiste à leur donner un maximum d’outils et d’exercices sur différents formats pour leur permettre de repérer leurs points forts et d’exprimer leur personnalité d’auteur sur le monde », précise d’emblée Patrick Vanetti.
Des personnalités d’auteurs potentiellement très différentes, car la formation, dispensée à douze élèves pendant deux ans, est ouverte à des candidats âgés de 20 à 40 ans, un choix délibéré qui profite aux ateliers organisés tout au long de la scolarité où les élèves travaillent ensemble. Une campagne de taxe d’apprentissage à l’attention des entreprises du secteur a par ailleurs été mise en place afin d’aider les talents qui n’ont pas forcément les moyens de financer leur scolarité à préparer le concours d’entrée.
La formation longue, naturellement très axée sur la série – avec notamment toute une réflexion sur sa signification, son sujet et son thème – bénéficie d’aménagements récents qui lui permettent d’être encore plus en prise avec la profession : « Nous avons avancé le calendrier de l’atelier de création de série afin que nos élèves aient terminé de travailler sur un concept et un épisode de série dialoguée au mois de juin et puissent présenter le pilote aux producteurs et recueillir leur appréciation fin juillet », explique Patrick Vanetti. Autres modifications, la mise en place d’un module sur la psychologie des personnages ainsi qu’un atelier d’analyse et d’expression en anglais autour de la fiction et des termes de la fiction. Enfin, dernière nouveauté, un atelier de création de série de programme court : « Les élèves inventent les concepts de série puis mettent leur travail entre les mains des élèves-réalisateurs de deux écoles privées, l’ESEC et l’Eicar, qui vont tourner les pilotes, et de ceux du Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de Paris, qui composent la musique. Nous avons réussi à fédérer quatre établissements qui travaillent dans le même sens. Le travail qui en résulte est précieux. Les scénaristes ne doivent pas rester enfermés, ils doivent apprendre à connaître le plus vite possible le travail du réalisateur. Par la même occasion, ils comprennent que la fiction est une œuvre de collaboration autant, parfois, qu’un sport à risque ».
Les scénaristes ne doivent pas rester enfermés, ils doivent comprendre que la fiction est une œuvre de collaboration autant, parfois, qu’un sport à risque
Autre force du CEEA, un foisonnement de formations continues sur les séries, « Le policier en 52’ » et « Fiction et enquête judiciaire » notamment, mais surtout « Le grand atelier série » organisé chaque année entre septembre et décembre, soit 210 heures exclusivement consacrées à la conception de séries. De plus en plus d’auteurs y participent depuis la mise en place d’un fond de formation continue pour les auteurs. « Chaque stagiaire arrive avec son projet original et personnel de série, nous commençons par l’accompagner dans le développement de son concept, puis nous organisons une rencontre avec des producteurs et des diffuseurs afin qu’ils prennent conscience de tous les enjeux, et enfin nous terminons avec une séance de pitch avec les producteurs, nous sommes très satisfaits, généralement, à l’issue de la formation, les stagiaires passent un cap professionnel ou intègrent le métier pour de bon. La famille Katz et Origines sont directement issues de cet atelier ».
Résultat : un taux d’insertion professionnelle de 80 % avec des élèves qui parfois font tout autre chose en sortant de l’école avant de revenir au métier, quand d’autres rejoignent d’emblée la profession et collectionnent les succès. La longue liste des prix et distinctions remis aux élèves ces dernières années est de ce point de vue éloquente. Les anciens du CEEA sont partout. Pour la série, c’est le cas notamment de Jimmy Desmarais, le producteur délégué des Revenants ou de Christine Palluel, productrice entre autres de Nina. « Les champs d’expression de nos scénaristes ou des élèves qui ont reçu un bagage chez nous est très large, mais tous restent dans la fiction », se félicite Patrick Vanetti.
Création audiovisuelle : les atouts des séries
Avant de se déplacer au festival Séries Mania, dont la 9e édition aura lieu du 27 avril au 5 mai à Lille, Françoise Nyssen s'est rendue lundi 23 avril sur le tournage de Dix pour cent. Produite par France 2, la série raconte les tribulations d’une prestigieuse agence artistique. "C'est un remarquable exemple de série française, qui allie qualité d’écriture et succès populaire", s'est réjouie la ministre de la Culture. Une réussite qui ne fait plus figure d'exception, puisque, selon le bilan annuel de la production audiovisuelle dévoilé le 24 avril par le Centre national du cinéma (CNC), les productions françaises ont enregistré, en 2017, 88 des 100 meilleures audiences de fiction à la télévision. "Les auteurs doivent être au centre du processus créatif pour faire émerger de nouvelles séries originales telles que Speakerine sur France 2 ou Ad vitam sur Arte. Cette dernière est d'ailleurs en compétition internationale à Séries Mania", a estimé Frédérique Bredin, présidente du CNC. "Notre souci c'est d'encourager davantage la créativité et le risque créatif afin de diversifier les formats, les genres et les publics", a-t-elle poursuivi, en annonçant qu'elle va lancer une concertation avec la filière en vue d'établir un "plan de soutien aux séries originales et les plus créatives". Ce dispositif pourrait voir le jour en 2019.
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