Chaque année, en février, nous nous répartissons la saison à venir: 10 opéras chacune. Notre collègue à Garnier, Corinne Crouy, s’occupe des ballets», explique Frédérique Rousseau, modiste à l’Opéra de Paris depuis 1984. Avec Laure Cuvillier, Frédérique Rousseau nous accueille dans leur atelier au troisième étage de l’Opéra Bastille. Elle regrette de ne pouvoir interrompre son travail car elle doit terminer en urgence une nouvelle coiffe pour La Cenerentola, la Cendrillon de Rossini. Le diadème et le voile brodé de perles convenaient esthétiquement à la costumière et au metteur en scène mais la coiffure de la chanteuse et un changement très rapide de costume en plateau ont imposé la création d’une couronne. «Elle doit être prête pour la générale cet après-midi», s’excuse Frédérique Rousseau.
Chapeaux, képis, couronnes ...
Ce genre d’imprévu, le stress et la pression font partie du métier. «Nous assistons aux répétitions, de la générale piano, où l’artiste porte son costume pour la première fois, jusqu’à la répétition générale. Nous faisons essayer tous les chapeaux, les képis, les bandeaux, les couronnes, cela nous permet d’ajuster les tailles, de vérifier le confort des artistes et éventuellement d’expliquer aux habilleuses comment ils se portent», explique Laure Cuvillier. Le confort du chanteur est l’impératif absolu pour une modiste d’opéra, qui sait y associer l’esthétique et la qualité. Le chapeau ne doit pas être trop serré pour ne pas entraver la gorge, les oreilles ou le visage. Les cavités du visage doivent pouvoir vibrer avec la voix. Les chapeaux à large bord sont également exclus car ils retiennent les sons.
Pour une création, tout commence six mois avant la première par la rencontre entre le costumier et la modiste. Selon le costumier, les demandes sont très différentes. Certains adorent les chapeaux. Pour d’autres, quelques achats à un chapelier extérieur suffisent. Le costumier apporte ses dessins ou de la documentation photographique. Aujourd’hui, sur la table, Laure Cuvillier a une série de photos de la reine d’Angleterre coiffée de ses chapeaux improbables, qui vont servir de modèle aux 30 femmes aristocrates dans une production à venir.
Créativité et autonomie
C’est cette part importante de créativité et d’autonomie qui réjouit les deux modistes, qui ont commencé l’une et l’autre par faire de la couture avant de découvrir ce métier. «Un chapeau est une sculpture en trois dimensions. Il se crée au-dessus de la tête, dans le vide, affirme Frédérique Rousseau. Nous imaginons des choses qui sortent de l’ordinaire, qui n’ont jamais existé. C’est cela que j’aime.»
"Nous imaginons des choses qui sortent de l’ordinaire, qui n’ont jamais existé"
Titulaires d’un CAP, aujourd’hui baptisé «métiers de la mode: chapelier-modiste», les deux agents ont découvert leur passion par hasard. Frédérique Rousseau rêvait de travailler dans le spectacle mais c’est comme costumière qu’elle a commencé en 1981 à Garnier avant d’y rencontrer des modistes. Trois ans plus tard, elle change de métier grâce à l’obtention d’un CAP passé en candidate libre avec l’appui de l’Opéra. En 1989, elle postule pour participer à la naissance de l’Opéra Bastille, qui se spécialise peu à peu dans le lyrique.
Laure Cuvillier a également commencé par une formation en couture avant de découvrir le métier par deux ans d’apprentissage chez une modiste de ville parisienne à la clientèle huppée. Après des expériences dans le cinéma, le théâtre et la haute couture, elle est embauchée à l’Opéra en 1992. Aujourd’hui, elle transmet sa passion, un jour par semaine, aux élèves du CAP du lycée La Source, à Nogent-sur-Marne. Elle leur apprend notamment à travailler toutes les matières: feutre, cuir, paille, plumes, fleurs artificielles. Et chaque année, elle accueille en stage, trois fois trois semaines, une de ses 12 élèves.
Une fois le spectacle terminé, les chapeaux seront conservés avec l’ensemble des costumes et des décors, en attendant une nouvelle représentation. «C’est très rare que nous réutilisions un chapeau d’une production à l’autre. Les créations sont trop associées à une mise en scène pour être interchangeables», conclut Frédérique Rousseau.
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