Chère Claude Bessy,
A l’école communale de la rue Blanche, alors que votre institutrice
demande à mademoiselle Bessy de faire un dessin, vous faites apparaître
une ballerine sur le tableau noir de la classe. Signe prémonitoire,
affirmation de votre caractère, inspiration soudaine ? Cet épisode, que
vous racontez souvent comme votre « chemin de Damas », vous a conduit
vers la danse, vers cette discipline artistique qui a façonné toute votre vie
et toute votre existence. Cette discipline dont vous dites qu’elle est un « art
de vivre » et se rapproche parfois de la « mystique ».
De vos premiers pas à l’Opéra jusqu’à la direction de l’école de
Danse, vous avez incarné la danse, vous l’avez magnifié par votre volonté,
par votre beauté et par votre grâce. L’Opéra est pour ainsi dire votre
seconde maison et votre histoire d’amour avec elle ne s’est jamais
démentie. Chaque danseur Etoile sait la part d’héritage qui lui revient,
comme en témoigne le gala organisé en 2004 au Palais Garnier à
l’occasion de vos adieux. La « famille de la danse » était alors réunie pour
célébrer une « grande dame » de la maison.
Vous avez gravi avec fougue et tempérament tous les échelons de la
hiérarchie du ballet de l’Opéra national de Paris. Vous enchantez alors les
publics des scènes du monde entier, vous offrant même le luxe de danser
avec Gene Kelly. Comment oublier votre interprétation d’Océanide dans
Les noces fantastiques qui allait durablement façonner votre image : vous y
êtes remarquée pour votre plastique et votre technique parfaitement
maîtrisée dans un costume qui ne souffre aucun défaut, « l’académique » ?
Comment oublier votre interprétation du Bel Indifférent de Cocteau dans la
chorégraphie de Serge Lifar, la Daphnis et Chloé de Skibine ou le Boléro
dans la chorégraphie de Maurice Béjart. Devenue Etoile, vous avez abordé
tous les répertoires, vous avez affronté tous les défis jusqu’à l’épuisement.
Ces rencontres vous permettent de proposer vos propres créations, où
tradition et modernité se rencontrent.
Le 2 octobre 1972, vous êtes nommée directrice de l’école de danse de
l’Opéra national, fonction que vous occupez jusqu’en 2004. L’école
française de ballet sait ce qu’elle doit à votre exigence professionnelle et à
votre culture chorégraphique. Car, faut-il le rappeler, le ballet classique est
né en France avec ce jeune roi Louis XIV, danseur d’exception, qui aime
briller devant la Cour. C’est lui qui crée la première école en 1713. Héritière
de cette tradition, vous avez permis aux élèves, grâce aux Démonstrations,
de monter sur la scène, vous avez aussi ouvert l’école vers les tournées
internationales. Vous lui avez surtout inventé un avenir en la déplaçant
avec l’appui de ce Ministère à Nanterre, dans un centre de formation
moderne, plus adapté à l’enseignement, véritable outil de transmission de
l’art du ballet pour les générations futures.
Grand’croix de l’Ordre National du Mérite.
Cher Giuseppe Penone,
Si j’osais, je dirais qu’il me revient aujourd’hui de vous tresser une
couronne de lauriers, d’utiliser cet arbre délicat et subtil, empli des effluves
de la Méditerranée, intimement lié à l’image de Petrarque et si présent
dans votre oeuvre. Né à Garessio, dans ce Piémont pré-alpin où coulent
les torrents et où les arbres s’effeuillent une fois le rigoureux hiver advenu,
vous avez hérité de ces paysages âpres et parfois austères, ce rapport si
intime à la nature et au travail de la terre. Italien, vous avez hérité des
auteurs latins, de Lucrèce mais aussi de Virgile, cette réflexion intense et
profonde sur les rapports du corps humain à la nature. Vous êtes en effet
l’une des figures majeures de l’Arte povera, ce mouvement théorisé par
Germano Celant à la fin des années 60, dont on connaît l’attention aux
matériaux naturels mais aussi l’interrogation si actuelle sur les pratiques de
consommation.
Votre vocabulaire et votre langage se nourrissent de vos expérimentations
multiples sur le bois, sur la pierre, sur kes épines, qui deviennent les
palimpsestes d’une vision sensible de la condition humaine. Troncs, ou
poutres, tous travaillés et sculptés, dévoilent une anatomie, révèlent un
corps. Photographies, moulages, empreintes, desseins renvoient à la
peau, enveloppe tactile, avec laquelle dialogue la nature. Pour entrer dans
votre oeuvre, il faut aussi entendre votre langue : « Je détache mon bras
de l’arbre auquel il adhère. Je sens la poussée de l’eau qui jaillit contre le
bout de mes doigts. Je me souviens de la mémoire de la boue ».
Comme dans le mythe de Daphné, que vous ne cessez de réactiver, votre
oeuvre traduit l’idée d’une humanité qui fait corps avec la nature et d’une
nature réinventée par le geste artistique. Comment ne pas penser à votre
installation Respirer l’ombre, où les murs d’une grande salle sont couverts
de boites contenant des feuilles de laurier aux côtés d’un bronze doré
représentant des poumons formés des feuilles ce même arbre. Cette
synthèse inédite et vibrante entre la nature et les fragments de corps
humains donne toute sa force et sa poésie visuelle à votre oeuvre
singulière. Lecteur attentif d’Ovide, vous avez su dans un même
mouvement métamorphoser la nature et réenchanter l’humain.
Votre oeuvre est un moment majeur de la création plastique du XXe siècle
car elle réconcilie le regard et le toucher, en d’autres termes la peinture et
la sculpture. L’immense Paupière qui se développe sur plus de 10 mètres
est l’une des plus spectaculaires de vos oeuvres. En interrogeant le
merveilleux et l’étrange, vous franchissez les genres, vous faites dialoguer
les formes, inventant ce que le philosophe Georges Didi-Huberman appelle
des « lieux tactiles ». Par votre art, vous faites toucher du doigt au
spectateur ce qui a été érigé comme une limite par plusieurs siècles
d’histoire de l’art.
Avec le soutien de la galerie Marian Goodman, qui vous représente en
France, votre oeuvre a été exposée et admirée dans des manifestations
majeures dédiées à la création contemporaine. En 2000, à l’occasion de
l’exposition La Beauté à Avignon ; en 2004 au Centre Pompidou, qui vous
consacre alors une grande rétrospective ; en 2007 à la Biennale de
Venise. Je ne veux pas oublier l’Arbre des voyelles dans le jardin des
Tuileries voisin, fruit d’une commande de l’Etat, Cet arbre déraciné qui
contraste ironiquement avec l’élégance des parterres classiques, dialogue
formel que vous avez repris dans votre travail à la Reggia di Venaria reale,
près de Turin, redevenue un lieu culturel de premier plan après sa
réouverture au public en 2007. Je veux aussi mentionner l’exposition que
vous avez proposée en 2008 dans un lieu qui m’est cher, la Villa Médicis,
sur cette terrasse du Pincio où la ville semble un décor et le jardin son
avant-scène.
Je n’oublie pas que vous êtes aussi un pédagogue et que vous enseignez
depuis 1997 à l’Ecole Nationale supérieure des Beaux Arts, formant et
conseillant les jeunes artistes. C’est la traduction de votre influence, c’est
aussi la marque du lien affectif et puissant que vous entretenez avec les
institutions culturelles et le public français.
Cher Giuseppe Penone, au nom du Président de la République nous vous
remettons les insignes de chevalier dans l’ordre de la Légion d’honneur
Chère Sabine Weiss,
Votre modestie et votre discrétion devraient-elles en souffrir, permettez-moi
de vous dire avec affection, après Robert Doisneau : « Vous avez tout
compris ». Il y a dans les regards que vous photographiez l’épaisseur de
l’humain, la profondeur de l’instant mais aussi une légèreté et une grâce
qui vous singularise. Vous avez parcouru les continents, fixé les instants,
conservé l’éphémère, mais êtes resté fidèle à votre vocation première.
Très jeune en effet, vous êtes attirée par la photographie. Vous vous
installez à 22 ans à Paris et vous vous liez d’amitié avec le milieu
artistique : Doisneau, bien sûr - dont vous dites qu’il est le « seul
photographe important pour vous » et à qui votre humanisme fait
immédiatement penser - mais aussi Cocteau, Rouault ou Jacques-Henri
Lartigue. Vous participez, alors, à l’aventure de l’agence RAPHO, première
agence de presse française indépendante, où vous côtoyez les plus
grandes signatures.
Découvreuse d’univers, vous avez un appétit sans limites pour tous les
secteurs de la vie artistique et culturelle : la musique, votre seconde
passion, l’art mais aussi la presse et la mode. Parcourant le monde, vous
avez collaboré avec les titres les plus prestigieux : Time, Life, Newsweek,
Paris-Match. Dans votre oeuvre singulière, il y a beaucoup de notre
mémoire collective. Vous avez arpenté les rues des villes, souvent la nuit,
à l’affût de l’instant, à l’écoute du moment, en dialogue avec ces « petits »
qui deviennent « grands » sous votre regard. C’est l’humanité que vous
saisissez dans ses vieillards solitaires, dans ses enfants souriants qui se
révèlent avec spontanéité sous votre objectif. Dans l’apparente sérénité de
vos prises, il y a toujours une histoire, une atmosphère, une « dimension
cachée » pour reprendre la belle expression de l’historien de l’art Daniel
Arasse .
L’atelier de Giacometti, celui de Fernand Léger, celui de Rauschenberg
mais aussi l’atelier d’Yves Saint-Laurent à la une de Life ont été
immortalisés par votre regard et font aujourd’hui partie d’un patrimoine
commun. Et que dire de cette fillette égyptienne et de son sourire posé sur
votre objectif, qui figure sur la couverture de la monographie que vous
avez publié en 2003 avec le scénariste Jean Vautrin. Vos goûts
esthétiques et votre amour des mots vous portent également vers la
littérature : le plaisir que vous prenez à photographier les gestes et les
sourires des enfants vous amène à collaborer avec Marie Nimier ; un
ouvrage consacré à André Breton vous conduit sur les pas de d’un
admirateur éperdu de l’oeuvre du poète surréaliste, je veux parler de Julien
Gracq.
Photographe de la lumière, de la tendresse et de l’émotion, vous avez
toujours su vous confronter au monde avec vérité et exigence, avec un
souci profond de la justice. Votre intérêt pour l’actualité et le quotidien vous
ouvre très tôt les portes du photojournalisme ; Je me suis récemment
déplacé au festival Visa pour l’image de Perpignan et j’ai pu mesurer les
attentes de cette profession exigeante, au service de la liberté
d’expression, du pluralisme et du droit à l’information. Je sais que ce sontlà
des engagements qui vous tiennent à coeur, comme en témoigne votre
action au côtés de Reporters sans frontières en 2007. Combien de faits
d’actualité resteraient lettre morte sans leur présence vigilante, parfois au
prix de leur vie et de leur sécurité.
Votre travail a été exposé dans les lieux les plus prestigieux et figure parmi
les collections de photographie contemporaine les plus remarquables : le
MOMA, le Metropolitan Museum, le Centre Georges Pompidou, la Maison
européenne de la photographie, la Kunsthaus de Zurich, pour n’en citer
que quelques uns. Votre carrière prolifique a contribué à faire de la
photographie un outil de création et une discipline artistique à part entière,
qui figure aujourd’hui parmi les lieux les plus éminents dédiés à l’art
contemporain.
Si l’humanisme nous était conté, vous figureriez assurément dans l’un des
chapitres de ce grand livre auquel vous avez contribué avec passion, avec
l’attention de celle qui fait sienne la formule de Roland Barthes : « ce que
la photographie reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois ». Vous avez souvent
fait de cet unique un moment d’infini.
Aussi est-ce avec grand plaisir qu’au nom du Président de la République et
en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons chevalier
dans l’Ordre national du Mérite.
Chère Orlan,
Si je suis particulièrement heureux de vous rendre hommage ce soir, c’est
parce que vous êtes le Protée de la performance et de l’art corporel. Vous
avez su vous en faire le prophète et l’icône mutante.
Votre réflexion sur le statut du corps et de la chair est devenue une
référence internationale dans l’enseignement artistique : elle est au coeur
de votre démarche depuis vos premiers pas, filmés au ralenti, dans les
rues de Saint-Etienne, votre ville natale. Dès l’adolescence, en adoptant
votre pseudonyme, vous marquez votre distance critique face à l’état civil,
à la désignation forcée, à l’assignation comme coercition, et défendez le
droit pour chacun de disposer de sa propre apparence. De vos premières
actions jusqu’aux morphings informatiques et vos expérimentations
biotechnologiques d’aujourd’hui, vous avez développé une oeuvre
foisonnante, et pourtant marquée par une très forte cohérence esthétique
et matérielle. Orlan, c’est la déclinaison protéiforme d’une même
proposition, d’un même concept, et c’est ce qui fait toute la force de votre
long parcours. Pour parodier Simone de Beauvoir, on ne naît pas Orlan, on
le devient. Si je fais cette citation, c’est aussi parce que votre oeuvre a
également donné la part belle à la dénonciation critique de la domination
masculine et de la codification du corps féminin : je pense à votre Origine
de la guerre, où vous inversez Courbet, ou encore à votre reprise, dans la
série des Tableaux vivants, du Déjeuner sur l’herbe de Manet où les
hommes sont nus, au milieu desquels vous posez habillée.
Orlan, vous êtes une mutante. À la FIAC en 1977 avec Le baiser de
l’artiste, vous vous transformez en femme – tirelire, en proposant pour 5
francs, je vous cite, « un morceau d’art conceptuel à la portée de tous ».
Vous êtes aussi Sainte Orlan, dans des autoportraits au pli baroque où
vous vous inspirez du Bernin de Santa Maria della Vittoria pour remettre en
question la frontière entre le vêtement et la peau. À la recherche du
meilleur des « moi » possibles, vous vous transformez, plus tard, en
déesse maya ou en odalisque africaine à plateau, en intégrant les
nouvelles possibilités offertes par la photographie numérique. Vous avez
réussi à faire le branchement entre Arcimboldo et Photoshop.
Chère Orlan, en Athéna du body art, vous avez élargi votre panoplie.
Peinture, sculpture, photo, vidéo, affiches de cinéma et produits dérivés,
performances bien sûr, sons, outils numériques, rares sont les supports qui
ne vous soient pas familiers. Cette panoplie, vous l’avez étendue de
manière totalement inédite, au début des années 1990, au « No Man’s
Land » de la chirurgie plastique, en faisant filmer 9 opérations sur votre
visage, dont certaines ont été retransmises en direct de Beaubourg à New
York et Toronto. Vous y avez croisé deux fétiches de nos sociétés
contemporaines, la prothèse en silicone et l’ubiquité de la retransmission,
en explorant comment l’art et la chirurgie peuvent partager l’adjectif
« plastique ». Dans cette réflexion sur la construction des limites entre la
beauté et la laideur, vous vous détachez au passage d’une des
thématiques classiques du body art, qui aime à mettre en scène le désir de
douleur et de rédemption. Dans ce que vous avez baptisé art charnel, vous
montrez au contraire en quoi la douleur est pour vous un anachronisme.
Cette expérimentation a été un virage majeur dans votre carrière. Un
scalpel à double tranchant, si j’ose dire, puisqu’on résume trop souvent
votre oeuvre à cette phase - comme le pharmakon de Platon, à la fois un
remède et un poison. Une chose est sûre : par le rejet épidermique que
ces performances filmées ont pu susciter, vous avez clairement touché un
nerf, et cela a apporté une notoriété mondiale à votre démarche.
Le bistouri de Pitanguy n’est pourtant pas le seul item de nos sociétés
contemporaines dont vous vous soyez emparée. Attentive depuis vos
débuts à toutes les nouvelles matérialités qui signent une époque, vous
vous êtes penchée sur la culture de cellules ; vous vous intéressez
désormais au coltan, ce minerai qui nourrit à la fois les guerres et nos
téléphones portables ; il y a presque 30 ans, vous saisissez la technologie
du Minitel à bras-le-corps et lancez le premier magazine en ligne d’art
contemporain, Art-Accès-Revue, dans lequel vous invitez des
personnalités comme Buren et John Cage à intervenir. Protée sait aussi se
faire prophète.
Chère Orlan, vous aimez les hybridations de tout type. Hybridations, c’est
aussi le nom que vous donnez à vos collaborations : vous avez par
exemple branché votre travail sur celui de l’architecture avec Philippe
Chiambaretta au Palais de Tokyo, sur la pellicule de Stéphane Oriach et
sur un scénario de David Cronenberg, sur la chorégraphie de Karine
Saporta, sur les cultures cellulaires du laboratoire SymbioticA en Australie,
sur des textes de Michel Serres, sur des chaises de Philippe Starck, sur un
parfum de Christophe Laudamiel, pour n’en citer que quelques uns.
Orlan, dans votre démarche, vous n’avez jamais oublié, par ailleurs, d’être
aussi, pour reprendre vos propres termes, une « artiste normale »,
soucieuse de la transmission des savoir-faire et de la circulation des
oeuvres. En créant en 1978 le Symposium de la performance à Lyon, vous
avez donné au public français la possibilité de découvrir un pan entier de
l’art contemporain qui était alors encore largement méconnu. Enseignante
à Dijon, à Pasadena en Californie, à Paris-Cergy, au Getty Research
Institute, ou encore en résidence pour l’AFAA à New York, vous avez eu à
coeur de transmettre à un public le plus large possible votre interrogation
sur la construction à la fois esthétique et sociale des grandes dichotomies
qui structurent nos sociétés : le beau et le laid, l’homme et l’animal, le
naturel et l’artificiel, le vivant et le non-vivant, l’intérieur et l’extérieur, être et
avoir (son corps), le même et l’autre, l’avant et l’après… En réinventant la
retouche, le morphing et la provocation, vous nous montrez les
hybridations et les processus qui nous constituent et qui nous portent.
C’est donc pour moi un grand plaisir qu’au nom du Président de la
République et en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous fais
Chevalier dans l’Ordre national du Mérite.
Chère Agnès de Gouvion Saint-Cyr,
Comme chacun sait ici ce soir, vous incarnez la référence de la
photographie en France. On vous surnomme « la papesse » ou encore
« Madame Photo ». Autant d’appellations qui inspirent pour certains la
crainte ; autant de symptômes du grand respect qu’on vous porte dans le
milieu, à la fois pour votre profonde connaissance de ce monde que pour
votre franchise parfois redoutable. Par une vie professionnelle consacrée à
cet art, à sa pratique et à sa valorisation, à sa diffusion, par votre souci de
l’excellence, vous êtes devenue la cellule photoélectrique du monde de
l’image - le Luxmètre sans lequel il ne saurait y avoir de bonne photo.
Votre nom, chère Agnès, est aussi indissolublement associé à Arles, votre
ville natale, où vous co-fondez il y a 40 ans ce rendez-vous majeur de la
profession que sont les Rencontres Internationales de la Photographie,
aux côtés de votre ami Lucien Clergue, avec qui vous commencez
l’apprentissage de la photographie. La littérature, les langues danoise et
anglaise et la danse classique dominent ensuite votre parcours
universitaire et vos premières activités professionnelles, mais c’est de
nouveau la photographie qui vous appelle quand vous rejoignez le
Ministère de la Culture en 1976. Michel Guy –auquel je rendrais hommage
dans quelques semaines - venait d’y créer le service de la photographie,
où vous commencez comme chargée d’études.
C’est le point de départ d’une formidable carrière au service des
photographes et de la politique de la photographie en France. Pendant 35
ans, vous contribuez à la structuration du réseau des professionnels ; vous
multipliez les initiatives pour enrichir les collections nationales, et proposez
de nombreuses commandes publiques. Les photographes français vous
doivent également beaucoup pour la valorisation de leur travail à
l’étranger. Cette action, vous voulez la rendre pérenne ; vous vous faites
donc fondatrice de de rendez-vous et d’institutions. C’est ainsi qu’en 1973,
vous vous lancez en Arles dans l’aventure des « R.I.P. » avec Lucien
Clergue, Michel Tournier et Jean-Maurice Rouquette. Vous participez
également à la création à Lyon de la fondation nationale de la
photographie en 1976, qui deviendra à Paris le CNP. C’est donc tout
naturellement que vous rejoignez plus tard la Délégation aux Arts
plastiques, puis l’Inspection Générale de la Photographie et le Fnac.
Une autre dimension essentielle de votre action, ce sont bien sûr les
expositions que vous avez organisées. Depuis 1982, par exemple, avec
l’Hommage à Alexey Brodovitch au Grand Palais, ou Paris Magnum au
Musée du Luxembourg, jusqu’à Dans le champ des étoiles au Musée
d’Orsay et Cirque en majesté à l’Abbaye de Montmajour, pour n’en citer
que quelques unes, vos expositions touchent un vaste public tant à Paris
qu’en région.
Mais ce sont également vos projets internationaux qui auront un impact
considérable : l’exposition Man Ray, en 1982, qui voyage en Italie ; De
Brancusi à Boltanski, en 1993, entre Turin et Athènes, dont vous signez
également le catalogue ; Dimitriev à Moscou en 1996, où vous organisez
deux ans plus tard De l’élégance à la tendance. C’est à Madrid que vous
montez l’exposition sur la jeunesse intitulée Le plus bel âge. Les
Métamorphoses du modèle voyageront jusqu’à Séoul. L’année dernière
encore, vous êtes au mois de la photographie à Singapour - dont d’ailleurs
vous conseillez le Ministre de la culture - pour l’exposition Changing Asia.
Dans les travaux monographiques que vous menez actuellement, je crois
vous savoir particulièrement soucieuse de la contextualisation des oeuvres
sur lesquelles vous travaillez, et notamment de la dimension culturellement
variable de la relation à l’espace des artistes. C’est justement cette qualité
et cette finesse d’approche qui a guidé, je crois, tout au long de ces
années, votre formidable contribution tant pour le patrimoine
photographique du Fnac que pour la vie même du monde de l’image, par
le biais des expositions bien sûr, mais aussi par votre remarquable
connaissance de ses acteurs et votre savoir-faire en matière
d’intermédiation. Cette action, vous allez désormais la poursuivre dans le
secteur privé, et de plus en plus à l’international, pour le plus grand
bonheur, j’en suis sûr, de toute la profession pour laquelle vous avez tant
oeuvré.
À l’heure où la création photographique connaît des transformations sans
précédent, j’ai souhaité qu’il y ait au sein du Ministère une « maison
commune » pour la photographie regroupant les questions de conservation
et de valorisation des fonds, mais aussi celles relative à la production et à
la diffusion. C’est désormais la tâche de la Mission de la photographie que
j’ai créée en mars dernier. Cette approche doit beaucoup à votre
engagement et à votre action. Vous avez su en effet aborder de front
toutes les dimensions de l’action publique dans votre domaine sans en
laisser aucune de côté. À ce titre, votre parcours est plus qu’exemplaire et
ne peux que nous inspirer tous.
Cher Agnès de Gouvion Saint-Cyr, au nom de la République française,
nous vous faisons Commandeur dans l’Ordre des Arts et des Lettres
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remise des insignes de Grand'croix dans l'ordre du Mérite à Claude Bessy, de Chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur à Giuseppe Penone, de Chevalier dans l'ordre du Mérite à Sabine Weiss et Orlan, de Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres à Agnès de Gouvion Saint-Cyr.
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remise desinsignes de Grand'croix dans l'ordre du Mérite à Claude Bessy, deChevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur à Giuseppe Penone, deChevalier dans l'ordre du Mérite à Sabine Weiss et Orlan, deCommandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres à Agnès de GouvionSaint-Cyr.
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