Lorsque je suis venu vous présenter, le 21 juillet dernier, le présent projet de loi, j’ai tenu d’emblée à le replacer dans une perspective plus vaste.
J’ai toujours souligné que ce dispositif était, à mes yeux, nécessaire, mais non suffisant. Pour moi, la régulation de l’Internet prévue par ce projet et par le précédent, qu’il vient compléter pour tenir compte de la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin dernier, n’est qu’un premier jalon.
C’est le préalable indispensable à une deuxième étape : le développement de nouvelles offres culturelles sur Internet, et de nouvelles sources de rémunération pour les créateurs.
J’ai donc lancé, il y a quelques jours, une vaste concertation de tous les acteurs de la Culture mais aussi de l’Internet. J’ai confié cette mission à des personnalités éminentes, indépendantes et respectées de tous : Patrick ZELNIK, Jacques TOUBON et Guillaume CERUTTI.
Avant la fin du mois de novembre, je ferai des propositions au Président de la République et au Premier ministre. Tous les créateurs de notre pays les attendent, il faut agir vite, et j’y suis déterminé.
Vous le voyez : pendant que le Parlement accomplissait les travaux nécessaires à la discussion et à l’adoption du présent projet de loi, je ne suis pas resté inactif.
J’ai tenté de faire en sorte que le dispositif qu’il instaure – celui de la collaboration entre l’HADOPI et les autorités judiciaires – prenne tout son sens aux yeux de nos concitoyens : celui d’un mécanisme essentiellement pédagogique de lutte contre le piratage, indissociable de la mise en place d’un nouveau modèle de diffusion et de financement des œuvres culturelles. C’est ainsi que nous garantirons son applicabilité et son efficacité.
Après la présentation, par votre rapporteur, du projet de loi et des améliorations apportées par la commission mixte paritaire, je m’abstiendrai de revenir sur le dispositif. Je préfère saisir cette occasion pour continuer à dénouer, inlassablement, les idées fausses dont est tissée l’incompréhension avec laquelle ce texte est parfois accueilli.
- Je rappelle d’abord que l’édifice dont nous allons poser la dernière brique n’a pas été imaginé par des technocrates coupés des réalités, mais par les acteurs de la Culture et de l’Internet eux-mêmes. Il est l’application des accords historiques signés à l’Élysée le 23 novembre 2007 par un ensemble de près de 50 organisations représentatives et entreprises de la musique, du cinéma, de la télévision, et par tous les fournisseurs d'accès à Internet.
- Ensuite, les deux lois apportent des avancées considérables pour le consommateur :
- Une accélération de la mise à disposition des films : désormais, ils seront disponibles en DVD et en VOD à peine quatre mois après leur sortie en salles, au lieu de six mois et sept mois et demi autrefois. Voilà une vraie mesure concrète, qui va changer le comportement du consommateur.
- Ensuite, les maisons de disques ont retiré tous les « verrous numériques » anti-copie des morceaux de musique téléchargés à l’unité ; c’est-à-dire que, désormais, quand on achète en ligne une musique, on pourra la copier pour son usage personnel et familial, aussi facilement qu’une cassette autrefois.
L’autre point sur lequel je veux revenir, et qui est peut-être le plus important après les polémiques déraisonnables, disproportionnées, auxquelles les deux lois ont donné lieu : c’est que, contrairement aux caricatures, leur vocation est essentiellement pédagogique.
Le cœur de leur mécanisme réside dans les rappels à la loi envoyés par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet. Les sanctions n’ont été pensées que comme une force de dissuasion, qui vient coiffer la série d’avertissements envoyés par l’HADOPI.
Les sanctions seront probablement assez rares, car je crois à l’efficacité de cette dissuasion. Mais la perspective de la sanction signalera qu’Internet ne doit pas être un lieu de non-droit. C’est un espace rapide, où l’on « surfe » : pour autant, cela ne doit pas être un espace où le droit se volatilise, et devient « virtuel ».
Cette démarche n’est pas réactive et négative. Elle veut construire, sur le long terme, une nouvelle approche de l’Internet. Il s’agit bel et bien de poser clairement le principe d’Internet comme espace civilisé – avec ce que cela implique comme protection des droits élémentaires de chacun.
Ne soyons pas naïfs : nous savons que ce que nous décidons dans le monde « virtuel » d’Internet a des implications dans le réel. Qu’il n’est pas bon de se laisser aller à l’illusion d’un monde parallèle où rien ne pèse, où triompherait l’insoutenable, l’excessive légèreté du Net. Pascal raconte qu’un paysan qui passe la moitié de sa vie à rêver qu’il est roi vaut bien un roi qui passe la moitié de sa vie à rêver qu’il est un paysan…Les « arrière-mondes » que nous créons ont plus d’influence et de puissance que l’on croit sur le monde réel : ils lui empruntent, mais ils le façonnent en retour, ils lui donnent ses nouvelles formes, ses habitudes. C’est pourquoi, si Internet est un formidable instrument, son champ ne doit pas être laissé en jachère juridique. Il ne doit pas échapper à notre vigilance et à la régulation qui fonde nos sociétés de droit.
Le Président de la République nous a montré ce que peut la volonté politique : renverser un dogme, celui du laisser-faire, du pillage immoral de l’économie réelle des entreprises par l’économie virtuelle des marchés financiers.
Je veux faire la même chose pour le pillage des œuvres au nom d’une liberté mal comprise. La liberté n’est pas la licence, le libéralisme n’est pas la jungle.
Que veulent-ils, les démagogues du laisser-faire qui confondent la jeunesse avec le jeunisme ? La gratuité pour toutes les œuvres des artistes, sous prétexte qu’elles sont sur la Toile ?
J’ai fait du numérique l’une des priorités de mon action au Ministère de la Culture et de la Communication. Je suis entré dans le débat sur la numérisation des imprimés entre un géant américain et la Bibliothèque nationale de France. J’ai fait en sorte que la France intervienne dans le procès qui oppose Google aux éditeurs américains, devant les tribunaux new-yorkais – et avec un certain succès de nos thèses, semble-t-il. J’ai demandé qu’une partie du Grand Emprunt soit dirigée sur cette nécessité de la modernisation de notre patrimoine qui réside dans l’accélération et la mise en cohérence de sa numérisation.
Et là où la gratuité est possible j’ai agi concrètement et rapidement : j’ai décidé, dès cet été, de l’appliquer à l’entrée dans les musées et monuments nationaux, pour tous les jeunes de moins de 26 ans qui résident régulièrement dans l’Union européenne, quelle que soit leur nationalité.
Mais la gratuité des œuvres d’auteurs, de compositeurs, d’interprètes, de scénaristes, de réalisateurs vivants, ce ne serait magnifique que dans un monde idéal ! Le financement de leurs œuvres n’est pas assuré, comme pour les musées ou les monuments, par l’impôt des citoyens ou les généreuses gratifications d’un mécène, mais par le consentement du public de leurs admirateurs à les rémunérer.
Ensuite, je le redis, la loi vise le grand nombre : modifier le comportement de la masse des internautes, attirer l’attention sur les conséquences du piratage pour les créateurs et sur les sanctions encourues.
Évidemment, il sera toujours possible aux « petits malins » d’échapper momentanément aux sanctions en déployant beaucoup de savoir-faire : en cryptant ses échanges par exemple.
Ce sera le fait d’une infime minorité, comme pour toute les formes de délinquance ; et les techniques de détection évolueront en même temps que les techniques de dissimulation : c’est un processus éternel qui n’a jamais dissuadé de lutter contre la délinquance. Mais il faut arrêter avec le romantisme du « pirate » génial de l’Internet et du gangster fascinant. C’est beaucoup moins « glamour » que cela, les pirates de l’Internet : ce sont des œuvres galvaudées, et la diversité culturelle compromise.
D’ailleurs, si notre démarche était si mal fondée, elle ne serait pas de plus en plus imitée.
On disait, on répétait que la France était isolée, qu’elle s’enferrait dans l’opposition, la confrontation ; il semble bien plutôt, en regardant ce que font les autres pays, qu’elle était tout simplement en avance, tant notre philosophie est désormais imitée partout : Irlande, Taïwan, Corée du Sud pour citer les plus proches de notre modèle ; des résultats spectaculaires sont déjà observés en Suède ; voici deux semaines encore, des annonces fortes ont été lancées par Peter Mandelson, ministre travailliste du commerce au Royaume-Uni.
Chacun sait que dans le domaine de la culture, la France n’est pas un acteur comme les autres, qu’elle a toujours joué un rôle pionnier. Nous célébrons cette année le cinquantenaire du ministre de la Culture et de la Communication. On le raillait alors, sans doute en prétextant que les arts et les artistes n’avaient pas besoin du soutien public. Eh bien, pour imaginer des solutions contre le piratage, de nombreux pays et notamment ceux que je viens de citer nous observent, nous imitent, nous rattrapent même. De même que plusieurs dizaines de pays, en cinquante ans, se sont dotés d’un ministère de la Culture. C’est une forme de « piratage » que nous pouvons regarder avec satisfaction…
Peu importe d’ailleurs, en un sens, le contenu exact du dispositif de protection. Les techniques vont évoluer encore avec la vitesse qui les caractérise. Mais les avancées de la technique ne doivent pas conduire à l’obsolescence des principes.
Les artistes l’ont bien compris. Les créateurs, les entreprises du cinéma, de la musique et de l’Internet ont apporté un soutien massif au projet du Président de la République et au Gouvernement. Je rappelle tout particulièrement, le soutien de toutes les PME de la culture, de ce réseau fourmillant des petites entreprises qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques, en soutenant de jeunes talents, avec des moyens parfois dérisoires.
Cette loi n’est donc pas la « loi des majors », ni de quelque intérêt particulier que ce soit. C’est la loi de tous les créateurs et des jeunes talents et, in fine, de leurs publics. De ceux qui j’ai vus, entendus, admirés, lors de mes déplacements à travers la France pendant tout l’été : à Marciac, Lussas, à Saintes...
Cette loi témoigne de notre attachement aux principes fondateurs d’un espace culturel civilisé.
Elle vise, dans une conception équilibrée des rapports sociaux, à conjuguer les exigences de l’accessibilité et du droit d’auteur, de la modernité des supports et de la pérennité des principes, et recourt, pour ce faire, à un système d’accompagnement juridique des évolutions techniques et de régulation du marché.
Par là, c’est la continuité même de notre conception du monde et des valeurs défendues, depuis toujours, par l’Assemblée nationale, par-delà les clivages et les appartenances, que nous avons l’intention de promouvoir et de prolonger.