Le mois de janvier est traditionnellement le mois des voeux et je voudrais
d’ailleurs, pour commencer, présenter à chacun d’entre vous mes meilleurs
voeux pour cette année 2010 qui s’annonce particulièrement stimulante et
décisive pour les enjeux qui nous tiennent à coeur.
Ce mois de janvier 2010 est paradoxalement aussi, un moment de moisson
– une sorte de « messidor » avant l’heure en quelque sorte, pour reprendre
les mois du calendrier révolutionnaire. En effet, comme vous le savez, la
semaine dernière, m’a été remis – déjà – le rapport d’une mission très
importante, « Création et Internet », consacrée au développement de l’offre
légale sur la Toile. J’ai aussi installé la Haute autorité de régulation dite
« HADOPI », et j’ai le plaisir aujourd’hui de recevoir l’excellent rapport
préparé sous la direction de l’ancien président de France Télévisions, Marc
TESSIER.
Tout cela, à côté de bien d’autres de nos actions et réflexions que nous
conduisons ici, forme un ensemble articulé où s’incarne la détermination qui
est la mienne de prendre à bras le corps le grand défi que constitue, pour
nos sociétés contemporaines et pour leurs cultures, la révolution
numérique.
Ces moissons de rapports sont aussi, bien entendu, des semailles, des
semailles du mois de janvier dont j’entends recueillir les fruits dans les mois
qui viennent et tout au long de l’année. Nous y reviendrons tout à l’heure.
Mais je souhaite d’abord et avant tout remercier et féliciter Marc TESSIER
bien sûr pour ce remarquable travail, ainsi que tous les membres de la
Mission qu’il a dirigée, épaulé par Emmanuel HOOG, Alban CERISIER,
Olivier BOSC, François-Xavier LABARRAQUE, ainsi que la
rapporteure Sophie-Justine LIEBER.
Je veux aussi remercier mon administration, en particulier la Direction du
Livre et de la Lecture qui leur a apporté son concours éclairé pour mener à
bien cette Mission dans les meilleures conditions.
Avant donc, cher Marc TESSIER et chère Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,
de vous laisser la parole – mais rassurez-vous, ce sera pour la reprendre
aussitôt : vous savez, mon cher Marc, qu’on ne bâillonne pas un ancien
homme de télévision aussi facilement ! – je voudrais simplement retracer en
quelques mots le contexte dans lequel j’avais pris la décision de vous
confier cette importante mission, ainsi que celui dans lequel je reçois
aujourd’hui votre travail.
Dès mon arrivée rue de Valois, j’ai affirmé le caractère crucial du débat
engagé, depuis déjà quelques années, par la Bibliothèque nationale de
France et un géant américain dont vous connaissez tous le nom. Et en
même temps, j’ai immédiatement indiqué que je ne souhaitais pas que ce
débat s’ajoute à la longue série des « guerres franco-françaises » voire
des polémiques franco-américaines, même si elles peuvent avoir le
charme suranné de Saint-Germain-des-Prés…
Non, l’enjeu nécessitait, je l’ai dit, de surpasser les réflexes passionnels,
d’étudier et de réfléchir à toutes les options, sans exclusive, mais aussi
sans compromission.
Je peux d’ores et déjà vous dire que je suis pleinement satisfait du travail
de la Mission qui répond parfaitement à la commande que je lui ai passée
et qui le fait dans un temps sinon « record » comme on dit parfois, en tout
cas avec toute la rapidité compatible avec la complexité de ce sujet lourd
de conséquences pour notre culture et pour son rayonnement à l’heure
numérique.
Or, votre rapport nous arrive dans un contexte extrêmement favorable.
J’ai, en effet, obtenu une enveloppe de pas moins de 750 millions d’euros
dans le cadre du Grand Emprunt lancé par le Président de la République,
un investissement de taille, créateur d’emplois, et qui permettra de mener
la politique massive de numérisation de notre patrimoine dont notre
culture a besoin.
C’est dire qu’aujourd’hui nous avons la certitude que nous pourrons porter
avec toute l’efficacité nécessaire, dans une action à grande échelle, les
mesures que nous jugerons opportun de retenir parmi celles souvent très
concrètes et très opérationnelles que vous nous avez proposées.
C’est dire aussi que je vais pouvoir défendre avec plus de force au niveau
européen cette exigence portée par la France, mais qui n’est pas
seulement française, de conserver un droit de regard sur la diffusion de
notre patrimoine et sur sa numérisation. J’ai déjà sensibilisé mes
collègues ministres de la Culture de l’Union sur ce sujet lors du Conseil
du 27 novembre dernier, je compte aussi sur ma prédécesseure Christine
ALBANEL pour en faire la promotion auprès de nos partenaires, mais
l’arbitrage du Président de la République renforce considérablement ma
position dans les débats européens sur la question. J’ai d’ailleurs
immédiatement demandé que votre rapport soit traduit dans plusieurs
langues de l’Union, afin notamment de pouvoir en discuter le mois
prochain avec mon homologue espagnole dont la sensibilité sera
forcément déterminante dans le cadre la présidence espagnole de l’Union
européenne.
Je pense notamment – mais j’y reviendrai, car je préfère, et je pense que
Nathalie sera d’accord avec moi, laisser le soin à Marc TESSIER de nous
présenter ses conclusions –, à la montée en puissance de « Gallica »,
synonyme de reconfiguration et d’ouverture, ou encore à l’étude
circonstanciée des conditions dans lesquelles il serait envisageable de
conclure des « partenariats public-privé » avec des entreprises comme,
par exemple, Google.
Mais je crois qu’il est grand temps de laisser la parole au président de la
Mission afin qu’il nous présente lui-même ses conclusions.
Je vous remercie.
Je vous remercie de votre présentation et de vos interventions très claires
et stimulantes.
Je voulais vous dire, pour conclure, que je partage pleinement votre
ambition d’inventer un modèle alternatif à celui de « Google Livres » pour
les oeuvres françaises et francophones, de créer une grande plateforme
qui à la fois réunira et développera les forces de ce qui existe déjà et
offrira des services nouveaux.
Pour les innovations, je pense aux ressources du nouvel Internet : celles
du « Web 2.0 », c’est-à-dire des réseaux sociaux qui innervent et
structurent désormais la Toile, et créent, en somme, des réseaux dans le
réseau ; celles des « wiki », c’est-à-dire d’un Internet participatif et
collaboratif, qui offre la possibilité d’enrichir un texte et de le rendre vivant
par l’apport et le dialogue que les Internautes entretiennent avec lui et
entre eux. Cette nouvelle plateforme nous fera donc entrer de plain-pied
dans l’ère du partage et du débat que doit être l’âge de l’hypertexte.
Cette plateforme de diffusion du livre numérique inclura bien sûr le
patrimoine de « Gallica » – dont le nom de village gaulois romanisé fait
songer davantage à des ancêtres qu’aux technologies de pointe – , mais
d’un Gallica non seulement rebaptisé, mais « reboosté », si je puis dire.
Elle doit accueillir aussi, pour englober tout le panorama du livre, mais
d’une manière bien sûr respectueuse du droit d’auteur, les ouvrages qui
ne sont pas encore dans le domaine public.
Je compte donc sur nos éditeurs, dont je vois que de très grands sont
représentés ici, Arnaud NOURY, PDG d’Hachette Livre et Antoine
GALLIMARD, pour s’engager dans un esprit résolu et solidaire dans ce
projet. J’insiste sur le fait que leur différence sera respectée et qu’il doit
s’agir non d’une plateforme unique, mais d’une plateforme commune.
Je compte aussi sur la mobilisation de la BnF dans cette mutation d’intérêt
général, qui devra associer aussi toutes nos bibliothèques publiques.
Les ressources mises à disposition par le Grand Emprunt mettent cette
ambition à notre portée. Le temps n’est plus simplement d’opposer une
certaine idée de la qualité française à la numérisation « à la chaîne » voire
« en vrac » prêtée au géant californien : « On n’a pas de moteur de
recherche, mais on a des idées », en quelque sorte... Car nous sommes
désormais en mesure de conjuguer une certaine sophistication dans le
traitement et l’usage des données avec la quantité, et même avec cette
exhaustivité qui seule vous rend visible et peut faire de vous une
référence sur la Toile. Je l’ai déjà dit, ce soutien public renforce notre
démarche au niveau européen pour l’avancée du projet « Europeana ».
Le modèle du « partenariat public-privé », qui s’inscrit d’ailleurs dans la
logique du Grand Emprunt, me paraît tout à fait adapté à nos objectifs et
je ne vois aucune raison d’exclure qui que ce soit de cette approche.
Bien sûr, je n’ignore pas que des actions en justice sont en cours et je ne
veux pas préjuger de leur issue, mais je redirai à Google, lorsque je
rendrai visite à l’entreprise en Californie, que le respect du droit d’auteur
doit être une condition sine qua non d’un éventuel partenariat solide et
viable.
Du reste, vous proposez, avec une grande finesse, une forme nouvelle de
partenariat, qui, par la formule de l’échange réciproque de fichiers, nous
permet de sortir de la dichotomie habituelle : la force de frappe d’un côté,
les contenus de l’autre.
C’est dire l’attention et l’intérêt avec lesquels nous allons étudier vos
propositions, réfléchir au modèle économique propice à leur réalisation, et
c’est dire si je me félicite non seulement d’avoir pris le temps de la
réflexion pour sortir des oppositions frontales, mais aussi de vous avoir
consulté pour que nous inventions ensemble la meilleure solution possible
à cette question essentielle au rayonnement de notre patrimoine et de
notre création français et européens.
Je vous remercie.
Discours
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, à l’occasion de la remise du rapport TESSIER sur la numérisation du patrimoine écrit
Mesdames les Ministres,Chère Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,Chère Christine ALBANEL,Monsieur le Président, cher Marc Tessier,Mesdames et Messieurs les Présidents et Directeurs,Mesdames, Messieurs,Chers amis,
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