Venir à Prades, dans ce Conflent qui n’est plus un confin, mais bien un
territoire ouvert, une fenêtre sur la Catalogne et sur l’Europe, revêt pour
moi une double signification : celle de la rencontre entre la création
musicale et le patrimoine, celle également de la reconnaissance de ces
liens de coopération et d’amitié qui se créent aujourd’hui, avec l’appui de
l’Union européenne, dans les territoires frontaliers.
Les Pyrénées, au-delà de l’identité et de la singularité de leurs vallées,
sont une terre européenne. C’est après de nombreux séjours dans ce
département aux montagnes âpres et aux rivières bruissantes – à l’image
de la Têt - que Prosper Mérimée, l’inventeur de la politique des patrimoines
dans notre pays, construisit sa politique ambitieuse de protection et de
recensement. C’est en héritier des valeurs humanistes et démocratiques –
lui qui avait fui le franquisme - en garant d’une certaine idée de l’Europe
musicale que Pablo Casals décida de créer, en 1950, le premier festival
de Prades. Il entendait ainsi célébrer le bicentenaire de la mort de Bach
(1750), au milieu d'un cercle d'amis fidèles et de la population locale de
Prades. Même si le maître n’aimait pas qu’on lui parle de carrière
internationale, ce fut toutefois le moyen de sortir de ces années de silence.
L’opposant au franquisme qu’il fut apporta une réponse européenne : en
1950, Casals choisit de faire découvrir au monde entier les fameuses
Suites de Bach.
Par la suite, il participe chaque année le festival qui portera son nom, y
compris après son départ de la ville de Prades, en 1966, pour d'autres
horizons musicaux.
« Horizons », c’est aussi le titre que donna Michel Lethiec à l’édition 2008
du Festival Pablo Casals. En effet, votre fougueux directeur artistique,
musicien de talent, se plait à donner un titre aux différentes éditions et
parfois aussi à leurs concerts, pour inventer d’autres chemins et d’autres
manières de vivre cet été de festival, que je vis intensément à travers mon
« tour de France », entrepris depuis quelques semaines.
Ainsi cette édition 2011 nous promet, à défaut du 7ème ciel, de gravir les
« Sommets de la musique de chambre » : un programme en accord avec
le paysage. Pour qui aime la musique, il faut parfois être bon marcheur : le
concert du 31 août, au chalet des Cortalets, aura bien lieu à 5h22 du
matin, après 3 heures de marche en sentier pour assister, en musique, au
lever du soleil sur le Canigou ! Si tous les « matins du monde » pouvaient
se dérouler ainsi…
L’an passé le festival nous a invité au 60ème anniversaire de la musique
de chambre. Les mélomanes amateurs de patrimoine ont encore en
mémoire la soirée exceptionnelle en duplex avec le Musée des Cloîtres de
New-York dont l’histoire est intimement liée à celle du cloître de Saint
Michel de Cuxà. Lors de l’été 2009, l’édition baptisée Cosmophonia nous a
mis la tête dans les étoiles en compagnie d’un invité d’honneur,
astrophysicien et mélomane : Hubert Reeves…
Plus loin de nous, l’année 2004 a salué à sa manière l’entrée de 10
nouveaux pays dans l’Union européenne par une édition « Bienvenue en
Europe ». L’année Mozart en 2006 a soufflé au directeur et à son équipe
une édition détonnante intitulée «www.Mozart.com ».
A Prades, l’imagination et l’humour tiennent une place de choix au côté du
monde savant, sérieux, intimiste de la musique de chambre ! J’y vois là
une marque de qualité et d’exigence, traduction de cet « esprit de finesse »
dont parlait Pascal sans lequel il n’existe aucun projet culturel durable et
crédible.
Chacun l’aura compris, l’excellent clarinettiste Michel Lethiec, véritable
pierre angulaire de ce festival depuis près d’une trentaine d’années,
concocte un répertoire où le sérieux se mêle au ludique, le répertoire à
l'inattendu. Bach et Pablo Casals y sont bien sûr toujours à l'honneur, mais
également beaucoup d'autres compositeurs parmi lesquels on retiendra :
Liszt – ce virtuose pour lequel la rhapsodie peut être hongroise, mais aussi
universelle, redécouvert tout au long de l’année à l’occasion du 200e
anniversaire de sa naissance - Wagner, Mozart, Granados, Ravel, Haydn,
Takemitsu, Ravel, Dutilleux, Rubinstein, Schoenberg, Prokofiev, Glinka,
Turina…
Mais le festival Pablo Casals c’est aussi l’Académie de musique de
chambre, qui se déroule chaque été ici depuis 1976. Elle réunit les plus
grands noms internationaux de la musique de chambre et de
l’enseignement, ainsi que des étudiants-musiciens de très haut niveau :
prix des Conservatoires nationaux supérieur de musique (CNSMD) de
Paris ou de Lyon, des Conservatoires à rayonnement régional (CRR), prix
des grandes facultés de musique étrangères.
Depuis quelques années, l’Académie connaît un développement européen
en relation avec European Chamber Music Academy (l’ECMA), en
partenariat avec plusieurs universités européennes comme celles
d’Hanovre, Vienne, Zürich, Helsinki.
Ce développement va s’accroître encore grâce aux travaux du
département de musicologie de l’université Paul Valéry de Montpellier, à
ses enseignants-chercheurs, qui travaillent actuellement à la mise en place
d’un Master en recherche musicologique et musique de chambre, en
partenariat avec le festival.
Je me réjouis que ce festival aux racines si profondes, à l’identité si
caractéristique et singulière, au rayonnement national et international
reconnu, soit soutenu depuis plusieurs années par l’Etat, par
l’intermédiaire de la DRAC Languedoc Roussillon.
En 2007, une première convention d’objectifs pluriannuelle réunissant
l’Etat, la Région Languedoc-Roussillon, le Département des Pyrénées-
Orientales et la Ville de Prades a été signée. En s’appuyant sur la figure
emblématique de Pablo Casals, il s’agissait de valoriser un pôle régional
culturel fort, à Prades, autour de la musique de chambre, dont les missions
concernent autant la diffusion que la transmission des savoirs, de la
formation des futurs solistes et instrumentistes. Tant le développement des
activités de l’Académie, que celui des mécènes et des partenaires ou la
diffusion dans le département des Pyrénées-Orientales, mais aussi audelà,
ont conduit l’Etat à confirmer son soutien et à le renforcer, à travers
une convention pour la période 2011-2014, que j’ai eu le plaisir de signer à
l’instant.
A travers cet engagement, le festival Pablo Casals est désormais
pleinement reconnu par l’Etat et les institutions publiques comme un projet
d’excellence artistique. Son rayonnement, je l’ai dit, est national et
international : certains concerts décentralisés ont lieu au Théâtre des
Champs Elysées à Paris durant l’hiver, mais aussi à l’étranger, ils sont
retransmis sur France-Musique, France-Culture ou France Télévision.
Cette nouvelle convention marque, je n’en doute pas, une nouvelle étape
et permettra de faire avancer des projets qui vous tiennent à coeur : un
pôle d’excellence pédagogique, l’aboutissement du projet de formation en
lien avec l’Université de Montpellier, mais aussi la numérisation et
l’exploitation de fonds d’archives remarquables, accessible à travers le
portail de la région Languedoc-Roussillon, dont je tiens à remercier le
Président pour sa disponibilité. Je suis en effet convaincu que l’outil
numérique complète et renforce l’accès du public au spectacle vivant, à la
culture : bien loin de l’en éloigner, il le soutient ; bien loin de l’en détourner,
il suscite le désir et l’appétit de savoir. Et je ne doute pas qu’à l’avenir les
programmes européens transfrontaliers pourront encore davantage
bénéficier à ce lieu exemplaire pour l’Europe de la culture et de la
formation, ce lieu qui est aussi un creuset culturel tourné vers l’avenir, à
l’image du « Concours de composition » annuel.
A Prades, dans les ruelles ombragées préservées du soleil pyrénéen,
même les pierres parlent. Elles disent le patrimoine de cette terre aux
valeurs humanistes, à la spiritualité profonde, à la poésie si puissante. Les
Suites pour violoncelle, les Concertos brandebourgeois, le Chant des
oiseaux : ces moments rares et précieux entendus à Prades, dans cette
abbaye chargée d’histoire, participent de l’univers culturel et du patrimoine
européen. Et ce festival, à sa manière un « lieu de mémoire » européen,
participe de la grande ambition qui doit être la nôtre, celle des pays
européens pour transmettre, valoriser, ré-enchanter aussi ce patrimoine
qui façonne notre oreille autant qu’il fait de nous les héritiers fidèles de
celui qui sut, à travers la beauté de la musique, inventer les chemins de sa
liberté mais aussi créer une manifestation humaine, tout à la fois
attachante et rayonnante. A Prades, en effet, le maître est bel et bien
présent, mais les souvenirs sont discrets, respectueux : nulle place pour la
nostalgie, mais la volonté de faire parler les instruments et de faire vivre un
lieu où souffle l’esprit, son esprit, celui où la musique sait se faire silence et
le silence devenir mélodie.
Je vous remercie.