10.Le PCI dans les dispositifs d'exposition et de médiation
Le Patrimoine Culturel Immatériel pose des problématiques spécifiques dans la conception muséographique des espaces d’exposition et dans l’élaboration des actions de médiation associées :
Comment incarner l’immatérialité des pratiques ? Comment être au plus près de la lettre de la convention de 2003 en véhiculant les principes constitutifs du champ patrimonial (pratiques vivantes, communautés de détenteurs, apprentissage et transmission, créativité) ?
Exposer des gestes, des techniques ou des savoir-faire pour la démonstration du processus en soi, ou faire reproduire ce processus, en totalité ou de façon séquentielle, par le public, dans une démarche participative et immersive, ne répondent pas complètement aux enjeux du PCI, au sens de l’Unesco.
Dans une démarche réflexive plus poussée, ancrée dans le présent, il s’agit, à partir d’artefacts matériels, de faire découvrir des porteurs de traditions vivantes et d’aborder la notion de viabilité de ces pratiques dans la société d’aujourd’hui.
Des projets expérimentaux cherchant à concilier la prise en compte des notions véhiculées par la convention et la conception de modes de restitution attractifs et didactiques sont apparus ces dernières années avec par exemple :
- Sortez des clichés. Le PCI vu par les musées de société, FEMS, 2013
- Découvrez l’(extra)ordinaire quotidien. Le PCI en Aquitaine, musée d’Ethnographie de l’université de Bordeaux, 2015, ).
L’élaboration en amont : contenus et choix des modes de restitution
Résultant d’un travail de recherche appliquée en amont, le parcours muséographique, permanent ou temporaire, gagnera à s’inspirer des questionnements et des méthodes proposés par la fiche d’inventaire du PCI (cf. partie 8) :
- s’intéresser à l’approvisionnement des matériaux et à la fabrication des éléments (pour une fête), à la facture instrumentale (pour une musique ou une danse), à l’environnement naturel, géologique, végétal ou animal (pour une pratique agropastorale ou culinaire), aux rituels, au système économique ou juridique contemporain, qui peut venir menacer la pérennité de l'élément lui-même ;
- collecter les termes en langue vernaculaire et les termes de métier ;
- conduire des enquêtes de terrain préalables auprès des détenteurs des pratiques ;
- collecter de témoignages archivistiques, photographiques ou audiovisuels, encadrés par les instruments juridiques adaptés (conventions de dépôt, de cession de droits, etc.)…
En aval, la restitution des pratiques immatérielles requiert des moyens scénographiques relativement traditionnels, mais riches et diversifiés : films, bandes sonores, photographies, bornes et montages audiovisuels, douches sonores, casques et autres dispositifs immersifs (enquête 2018).
La place de la communauté de détenteurs associée
Parmi les musées intrinsèquement liés au PCI (musées de société, écomusées), certains sont construits autour d'une ou de plusieurs activités en voie de disparition, sinon définitivement éteintes, à travers des témoignages de la ruralité, de l'industrie ou de l’artisanat, dont les outils et techniques traditionnels sont mis en scène grâce à des objets et à des documents, issus de dons ou de prêts. Quel que soit l’intérêt de ces présentations, stricto sensu, elles ne relèvent pas du PCI au sens de l’Unesco, qui questionne, par principe, les pratiques vivantes et leurs détenteurs contemporains.
Pour proposer une représentation du patrimoine conçue comme une prise de conscience et une dynamique dans la société et jouer sur le rôle du musée dans la « provocation de la mémoire » (Freddy et Herberich-Marx, 1987), il s’agit de créer un pont passé / présent et d’intégrer des questionnements contemporains : adaptation des pratiques et des techniques, conditions d’apprentissage, risques de rupture de transmission, viabilité économique des artisans ou des entreprises détentrices de savoir-faire…
Au-delà de la classique exposition d'objets et de documents, cette démarche appelle à recourir à diverses médiations et à une participation, la plus directe possible, des représentants de la communauté patrimoniale concernée.
L’exposition du témoignage est l’une des questions cruciales, posées par l'immatériel au musée. Elle peut risquer de tourner au porte-parole de mémoires particulières ou encore de glisser vers une surreprésentation de l’affect : le témoignage « s'adresse au cœur et non pas à la raison. » (Wieviorka, 1998).
Dans le domaine du PCI, la demande sociale s'alimente de ressources particulières en matière de médiation. Cette vue participative peut être communiquée par l’insertion muséographique de figures, sur le modèle des « histoires de vies » ou des « témoignages scénarisés » (Idjeraoui et Davallon, 2002), par la retranscription et l'interprétation de l'oralité, par l’intégration, classique, de bornes de restitution des mémoires locales, grâce aux archives sonores ou visuelles collectées lors de campagnes thématiques.
Au-delà de l’exposition, l’accessibilité pérenne de ces sources, par la mise en ligne de ces témoignages sur le site internet du musée, peut être envisagée.
La notion de transmission à travers le PCI
Nous pouvons aussi recourir au témoignage des acteurs, présenté in vivo. Des praticiens et détenteurs de traditions, dont la pratique est encore vivante, sont invités à faire la démonstration de leurs pratiques et de leurs savoir-faire dans divers contextes : programmation culturelle d’une exposition temporaire, visites thématiques, ateliers, journées de formation, etc. L’enquête 2018 a montré que les éléments du PCI ainsi présentés relèvent essentiellement des savoir-faire, des pratiques festives et des pratiques sociales, puis des expressions orales et des pratiques culinaires ou sportives.
La notion la plus fortement communiquée à cette occasion est celle de la transmission (81,5 % des cas, enquête 2018), pour compléter le discours construit autour des objets exposés, les rendre plus accessibles aux visiteurs (notamment dans leur contexte de fabrication) et faire glisser ce dialogue avec les collections vers des perspectives pour le futur. Pour les musées soucieux de faire évoluer et de transmettre des manifestations vivantes sans les figer, exposer les diverses formes de transmission (familiale et domestique, de maître à élève, au cours d’un parcours de formation associative ou professionnelle, etc.) est une préoccupation majeure.
Dans ce contexte, qu’il s’agisse de guider un parcours de visite ou d’accomplir diverses démonstrations, le choix des profils des intervenants (artisans en activité, représentants d’entreprises locales, bénévoles d’associations spécialisées, etc.) doit être pertinent et leur activité clairement définie dans la programmation culturelle.
Au premier rang de ces partenaires figurent aujourd’hui les associations (60,2 %, enquête 2018), juste reflet de leur forte représentation dans les acteurs du PCI en France aujourd’hui, y compris comme porteurs des projets de candidature à l’Inventaire national du patrimoine culturel immatériel.
L’attention devra se porter ici sur le choix de prestations étayées et de qualité, évitant une démonstration folklorisante, passéiste ou décontextualisée des pratiques culturelles immatérielles. Les organismes spécialisés dans le PCI, nombreux en France, peuvent aider les musées à déterminer les intervenants pertinents (cf. Les réseaux PCI en France).
Un support pour l’action pédagogique
Parmi les musées ayant répondu à l’enquête 2018, aucun service des publics ou service éducatif n’a fait état, à l’exception de la Cité internationale de la tapisserie (atelier « Aubusson : patrimoine immatériel »), d’un atelier pédagogique pérenne proprement centré sur le PCI. Le champ patrimonial ne constitue pas, en général, une rubrique spécifique de la programmation annuelle du secteur éducatif. Toutefois, dans le cadre de petits groupes, il s’incarne souvent en ateliers ponctuels au musée, animés par des praticiens, professionnels ou non, ou par des médiateurs à l’aide de mallettes pédagogiques, en visites in situ et démonstrations hors du musée, en spectacles et en découverte d’expositions itinérantes…
Il est à noter qu’en 2018, le tiers des musées a déjà intégré le PCI aux activités menées dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle (EAC), politique interministérielle, en partenariat avec les collectivités territoriales. La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école (8 juillet 2013) a fait de l’EAC le principal vecteur de connaissance du patrimoine culturel et de la création contemporaine et de développement de la créativité et des pratiques artistiques.
Les actions éducatives recouvrent la plupart des champs disciplinaires (artistiques, scientifiques, techniques) et encouragent les approches pédagogiques transversales, d’où la place possible des musées. Elles favorisent les initiatives collectives ou individuelles au sein de projets pluridisciplinaires (dispositifs, prix ou concours, journées ou semaines dédiées), dont la mise en œuvre est à l’initiative des enseignants et des équipes éducatives dans le cadre du projet d’école ou d’établissement, et qui permettent de nourrir, de la maternelle au lycée, le « parcours d’éducation artistique et culturelle » (PEAC) de l'élève, instauré depuis 2013.
Le ministère de la Culture accompagne la mise en place des nouveaux rythmes éducatifs, en appui aux collectivités territoriales, et les crédits d’accès à la culture et de l’EAC sont très majoritairement délégués aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et accompagnent les démarches des collectivités territoriales qui développent leur action dans un cadre contractuel pluriannuel (projet éducatif territorial, convention de développement culturel, plan local d’éducation artistique et culturelle, contrat local d’éducation artistique, contrat de ville etc.).
Plusieurs expériences de présentation de pratiques culturelles immatérielles dans le cadre du dispositif « La classe, l’œuvre ! », partenariat entre les établissements scolaires et 350 musées en France, qui place les jeunes dans un rôle de « passeurs de culture », ont été ainsi relevées. Dans ce cadre, l’intérêt des scolaires pour le domaine du PCI a été démontré : appel aux différents sens et à la notion de partage, stimulation de l’intelligence pratique, recomposition des groupes d’élèves, etc.
Conclusion
Enjeu de taille dans le développement des musées, si le PCI y est un outil fédérateur, apte à donner du sens aux collections, à placer les activités de l’homme au cœur des notions traitées, voire à stimuler la créativité scénographique, il est nettement placé du côté de la médiation auprès des publics (enquête 2018).
De la recherche scientifique à la constitution du patrimoine matériel ou immatériel, de la gestion à la restitution d’un savoir ou de collections, le PCI souligne « les mutations opérées depuis plusieurs décennies dans les musées d’art et traditions populaires, sous l’effet conjugué d’innovations muséographiques amorcées avant la seconde guerre mondiale, et de questionnements plus centrés sur la société contemporaine » (Séréna-Allier, 2013).
Il propose des enjeux scientifiques et culturels pour le présent, auxquels ne peuvent manquer de se confronter les musées de société, dès lors qu’ils s’interrogent sur les orientations ou la pertinence d’une collecte contemporaine ou qu’ils s’attachent à répondre au désir de patrimoine traversant la société française.
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