Visan - Maison Butscher dite Maison Bulle
- département : Vaucluse
- commune : Visan
- appellation : Maison Butscher dite Maison Bulle
- auteurs : Christian CHAMBON (architecte), Jean-Noël TOUCHE (architecte), Joël UNAL (plasticien)
- date : 1981-1984
- protection : Inscription au titre des monuments historiques par arrêté du 23 juin 2011
- label patrimoine XXe : Circulaire du 1er mars 2001
Du 7 au 29 avril 1987, se tenait à la halle aux grains de Blois une exposition "50 ans d’architecture sculpture, quel habitat demain ?", présentant au moyen de maquettes, panneaux et œuvres réelles les réalisations, les projets et les rêves, tous plus surprenants les uns que les autres, de cinquante architectes, célèbres ou moins connus. Se côtoyaient au catalogue Oscar Niemeyer, Claude Parent, Niki de Saint-Phalle, Jacques Couëlle, René Ligabue, Daniel Grataloup, Claude Häusermann-Costy, Antti Lovag, Guy Rottier, Jean-Louis Chanéac, Christian Chambon, Joël Unal… Le même mois de la même année, le 3 avril, un certificat de conformité était accordée par la mairie de Visan, une petite commune de l’enclave des papes en Vaucluse, pour une "maison-bulle" relevant de cette typologie architecturale, à laquelle avaient activement pris part les deux derniers cités. Cette maison était d’ailleurs présentée à l’exposition par quelques photographies.
Le commanditaire est Claude Butscher, pilote de chasse puis de ligne de profession, qui aurait voulu être architecte. Les auteurs du projet sont l’architecte Christian Chambon, né en 1945 et toujours actif dans la région Rhône-Alpes, associé à un autre architecte aujourd’hui décédé, Jean-Noël Touche. Le premier nommé exerce donc seul la maîtrise d’œuvre du chantier. Mais il ne deviendra pas comme d’autres un spécialiste des constructions de ce type. Une autre personne joue sur le chantier un rôle déterminant : c’est Joël Unal, plasticien et sculpteur de formation, qui réalise le ferraillage. Après sa propre maison en Ardèche, c’est sa seconde demeure réalisée avec cette technique ; il en est devenu aujourd’hui le grand spécialiste national.
Le permis de construire est accordé en deux temps, en 1978 puis 1981. Les travaux débutent cette année-là et le gros œuvre est achevé en 1984. 1981 est justement l’année où Unal publie un ouvrage de référence, La technique du voile de béton en autoconstruction. La maison utilise ce mode, avec une double coque de béton projeté sur une ossature métallique grillagée. Cette technique permet de donner la primauté absolue aux formes rondes, ovoïdes, aux courbes et contre-courbes, aux hyperboles, à toutes les lignes souples voire sensuelles. La trilogie traditionnelle plancher, mur, plafond y est résolument abandonnée.
Tanière de schtroumf, maison de Barbapapa, demeure d’extra-terrestre, maison-cocon, maison-matrice, maison-bulle, architecture-sculpture (formule de Michel Ragon en 1963 dans son ouvrage Où vivrons-nous demain ? ), architecture organique (Frank Lloyd Wright) ? L’édifice est difficile à qualifier, à inscrire dans une typologie bien arrêtée. Il est peut-être tout cela à la fois. Il se situe en tout cas dans cette nébuleuse innovante, qui veut s’opposer aux matériaux industriels et aux trames répétitives privilégiés par l’architecture moderne. Les formes libres de Gaudi, de Niemeyer, les sculptures habitables de Jacques Couëlle, et même certaines oeuvres de Le Corbusier (chapelle de Ronchamp, 1950-1955) n’en étaient pas si éloignées.
Issues de la dynamique de la Maison infinie de Frédéric Kiesler (1924), vont se développer de multiples réflexions sur la maison considérée comme un autre épiderme du corps humain. Elles vont aboutir, entre autres rêves, aux maisons-bulles. Pascal Häusermann en construit en 1958 à Grilly, dans le nord du pays de Gex, une toute première, la villa Le Dolmen. Les Häusermann, Chanéac, Lovag notamment en feront bien d’autres. Dans son ouvrage de 1981, Unal en liste déjà une centaine, et d’autres sont encore aujourd’hui en cours de construction. Faut-il y voir une déviation ou une perversion de l’architecture comme le pensent nombre d’architectes et d’historiens ? Ou bien ce courant n’est-il que le reflet du mouvement libertaire et contestataire des années 1960-70 ? Une sorte de projection architecturale de mai 68 ? En dehors des circuits normaux de production et de commercialisation, le mouvement reste en tout cas forcément marginal.
Comment situer la maison Butscher dans ce contexte ? Elle est à la fois relativement tardive et fort originale, cette originalité étant d’ailleurs une caractéristique constante à ce type de projet nécessairement empreint d’individualisme. C’est aussi, contrairement à d’autres, une maison à dimension humaine, habitable toute l’année, appliquant déjà une conception bio-climatique. C’est enfin une réalisation d’une grande qualité formelle et plastique, une œuvre d’art à part entière. En cela, elle diffère assez largement des réalisations magistrales d’Antti Lovag, qui refuse – ou affirme refuser - toute recherche esthétique dans les volumes extérieurs pour se consacrer, systématiquement et exclusivement, à l’habitologie intérieure.
- Rédacteur : Jean Marx, drac paca crmh, 2011
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