C’est une image que l’on qualifierait volontiers de pastorale : au milieu d’un champ d’un vert luxuriant, un homme et une femme sont debout, la femme brandissant une fourche. En légende : « Le collectif les Semeuses milite les mains dans la terre en cultivant des champs sur le passage de la voie censée convoyer les déchets radioactifs jusqu’à Bure ». Cette image est publiée sur le compte Instagram de Sandra Reinflet, dont le travail sur le projet de centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure réalisé dans le cadre de « Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire » sera présenté dans l’exposition « Images de la nature, nature des images », conçue spécialement pour le Parlement de la photographie.
Parler de la photographie à l’heure de la transition climatique, c’est en premier lieu évoquer la production de photographes qui, à travers une posture qui n’a rien à envier à celle des lanceurs d’alerte, font de l’écologie le motif même de leur création. C’est aussi, dans le sillage de la photographe Almudena Romero, lauréate en 2020 de la résidence BMW pour son projet The Pigment Change présentée lors des Rencontres d’Arles en 2021, se pencher sur « le travail de photographes et de plasticiens qui propose de nouveaux modes d’existence de la photographie ». Le projet d’Almudena Romero s’appuyait, en effet, à la fois sur une conscience écologique et sur l'utilisation de matériaux végétaux.
Ce sera tout l’enjeu de la rencontre « Photographie et écosophie » qu’animeront en tandem Michel Poivert, professeur d’histoire de l’art contemporain et commissaire d’exposition, à qui l’on doit notamment la somme publiée en 2019 aux éditions Textuel, 50 ans de photographie française de 1970 à nos jours, et Anne-Lou Buzot, responsable du laboratoire de l’ENS Louis Lumière, spécialiste des procédés anthotypes et alternatifs, éditrice et photographe.
Engagement du secteur
Un versant individuel de la création auquel répond en miroir l’engagement de l’ensemble de la filière sous la double impulsion du ministère de la Culture. « D’une part ,dans le cadre de la feuille de route sur la planification écologique confiée par le gouvernement à l’ensemble des ministères, d’autre part, dans le cadre du plan spécifique de la direction générale de la création artistique sur la transition écologique », précise Pauline Guélaud, chargée de mission pour la commande artistique et référente du groupe de travail « Défis environnementaux » à la Délégation aux arts visuels (DGCA) du ministère de la Culture, invitée de la table ronde intitulée « éco-responsabilité et transition écologique dans la photographie et les arts visuels ».
Dans ce pacte, un objectif en particulier, arrive à maturité, celui « d’embarquer les structures pour les aider à faire leur transition écologique ». Pour autant, précise Pauline Guélaud, il s’agit moins « de prendre le sujet en partant de la photographie que de s’inspirer du modèle du spectacle vivant et des grands festivals où la question est très avancée, notamment à travers la mise en partage des expériences et des moyens (déchets, vaisselle, moyens techniques, éclairage…). L’idée est d’observer ces expériences et qu’elles nourrissent le secteur des arts visuels ».
Hors de question donc de réinventer la roue : il s’agit d’être attentif aux « spécificités de la photographie ». En l’occurrence, celles d’un medium comprenant « une dimension patrimoniale qui pose notamment de manière aiguë la question de la conservation » – « le chantier des normes de conservation, notamment la façon dont elles peuvent répondre aux enjeux écologiques, est très avancé » – celles d’un medium, enfin, qui ne cesse aujourd’hui de « repenser sa production et sa diffusion à travers notamment une démarche d’éco-conception des événements ».
Le rôle moteur des festivals et des institutions photographiques
Illustration avec les Rencontres d’Arles, dont les modules et mobiliers scénographiques d’exposition, sont depuis plus de vingt ans conçus selon un principe d’économie circulaire. A noter : depuis mars 2022, les Rencontres d’Arles, qui seront représentée au Parlement de la photographie par leur directrice adjointe, Aurélie de Lanlay, sont membres du collectif des Festivals Éco-responsables et Solidaires (COFEES). Illustration aussi avec les « réseaux de festivals ». « Il en existe à l’échelle de quasiment toutes les régions, observe Pauline Guélaud. Un des pionniers est celui de la Bretagne qui regroupe des festivals pour toutes les disciplines, y compris donc dans le secteur des arts visuels, à travers le festival de La Gacilly. On est donc déjà dans une mutualisation des expériences et moyens ».
Illustration côté institutions avec le Palais de Tokyo, hôte du Parlement de la photographie, avec son programme de mécénat responsable « Palais Durable » ; illustration enfin avec le Jeu de Paume qui vient de se doter d’une « Charte environnementale » à travers laquelle l’institution ne souhaite rien tant que « concevoir et mettre en œuvre une politique de fonctionnement pérenne et propre à permettre la réduction de son impact environnemental, tant dans son fonctionnement quotidien que dans sa programmation artistique ou dans son modèle économique ». Une charte qui se décline en trois axes : optimiser ses performances énergétiques, éco-concevoir ses activités, promouvoir la pensée verte. Les éco-cimaises, conçues à l’occasion de l’exposition « Frank Horvat. Paris, le monde, la mode » qui s’ouvre le 16 juin, en seront le fier emblème ces prochains mois.
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