C'est l'un des axes forts de la politique culturelle de Rima Abdul Malak, ministre de la Culture : ouvrir les grands événement culturels, comme le Festival d'Avignon, à tous les publics, notamment les plus jeunes.
Lors d'une communication en Conseil des ministres, le 21 juin, la ministre de la Culture a présenté les mesures volontaristes en vue de rendre accessibles les plus prestigieux événements culturels au jeune public.
« Dans la perspective de permettre aux jeunes gens de vivre des expériences uniques, le pass Culture a intensifié pour 2023 la mise en place d’opérations exceptionnelles avec de nombreux festivals (assister en avant-première à des projections de films au Festival de Cannes, découvrir plusieurs œuvres de la Nuit Blanche, décerner un prix au nouveau festival de cinéma Nouvelle Vague à Biarritz, participer à un parcours « Première fois » au Festival d’Avignon, etc.) ».
Quant à Avignon, en effet, les habitués le savent bien : se rendre au Festival ne s’improvise pas. Réserver ses places, son logement, ses transports… affronter la chaleur, la foule… autant de menus obstacles qu’il convient de savoir surmonter avec adresse et bonne humeur, afin de ne pas compromettre son séjour ni gâcher le plaisir d’assister à ces spectacles exceptionnels.
Avec la volonté d’ouvrir toujours plus le Festival à tous les publics, Tiago Rodrigues, le nouveau directeur, et ses équipes, ont souhaité prendre un soin particulier à l’accueil des personnes les plus vulnérables à cet égard : celles qui viennent pour la première fois, et notamment les jeunes gens. Comment les aider à réunir les meilleures conditions pour réussir cette première expérience ?
Virginie de Crozé, directrice de la communication et des relations avec le public, et Hélène Lopes, responsable des relations avec le public, ont bien voulu nous expliquer le projet « Première fois », une très belle nouveauté qui se devait d’appartenir à l’offre du pass Culture.
Quels constats vous ont amené à concevoir et mettre en place le projet « Première fois » ?
Virginie de Crozé : L’étude des publics nous a confirmé un fait important : les freins les plus serrés, quant à la décision de venir au Festival d’Avignon, ne sont pas directement liés au spectacle vivant. Le propos d’une pièce (Vais-je comprendre ?), le fait qu’il soit parlé dans une langue rare et sur-titrée (Suis-je légitime au milieu de ces gens ?) ou que la durée du spectacle soit hors normes (Est-ce pour moi ?), rien de cela ne fait vraiment obstacle, car le public, même la première fois, sait qu’il vient chercher au Festival quelque chose d’exceptionnel.
En revanche, s’il y a bien des freins, c’est du côté des questions pratiques. Que faire de sa voiture (sans tourner des heures puis marcher des kilomètres) ? Y a-t-il un train ou un bus qui m’assure le retour après un spectacle en soirée (sans devoir courir pour ne pas le rater) ? Trouve-t-on quelque part un jardin et une fontaine pour souffler et se rafraîchir ? Quel budget pour tout le cumul des coûts : spectacles, transport, logement ? Questions qui peuvent s’avérer oppressantes !
Hélène Lopes : Il est clair qu’Avignon, au mois de juillet, se retrouve, pour ainsi dire, « en surcharges ». Surcharge de publics, surcharge d’informations, surcharge d’événements… et souvent surcharge de chaleur ! Ces conditions peuvent faire peur, à bon droit, et peuvent en conduire beaucoup à se détourner de l’envie de participer au festival. Si ceux qui veulent surmonter ces appréhensions se trouvent malgré tout pris de court, faute d’avoir anticipé de bonnes solutions à ces problèmes pratiques, la réussite de leur séjour est compromise, leur plaisir peut s’en trouver gâché, et on ne les reverra plus !
Quelles sont vos idées pour remédier à ces difficultés ?
H.L. : L’information des festivaliers est le premier élément, déjà bien connu et approfondi par le Festival et ses différents partenaires (la région, le département, la ville). Avec Tiago Rodrigues, notre réflexion nous a conduit d’abord à chercher à renforcer toutes les mesures prises pour une meilleure information des publics, notamment en terme d’accessibilité (comment réserver des places, où se garer, combien de temps prend tel ou tel trajet entre deux spectacles, etc.).
V de C : Mais au-delà de l’information pure et simple, nous pensons qu’il est nécessaire de passer à une véritable hospitalité : ménager un accueil plus confortable et surtout moins oppressant. Il nous revient vraiment, à nous personnel du Festival, d’être les plus sympathiques et les plus cordiaux possible avec les festivaliers, en allant, autant que possible, au-devant de leurs demandes et de leurs besoins.
Une hospitalité fondée sur la rencontre, sur le dialogue. Écouter les demandes, proposer des solutions, ne serait-ce que d’une phrase au téléphone qui fournisse le bon conseil, qui explique comment une journée se passe au festival. Accueillir des groupes, comme le pratiquent les musées, avec des médiateurs « Première fois », et promouvoir auprès d’eux l’aisance et la décontraction d’un temps de vacances et de plaisirs.
Concrètement, comment cela s’organise-t-il ?
V de C : Avec le lancement du projet « Première fois », lors de la conférence de presse de Tiago Rodrigues, a commencé à circuler notre adresse de messagerie (premierefois@festival-avignon.com), et cette proposition faite aux néo-festivaliers de se manifester au moment de l’ouverture des réservations. L’annonce a été entendue : nous sommes actuellement en contact avec environ 5 000 personnes, que nous rappelons par téléphone. Pour certains, une réservation facilitée et quelques informations suffisent. Avec d’autres, nous nous montrons beaucoup plus « accompagnants ».
Il y a le choix des spectacles (prévenir par exemple que telle ou telle proposition peut produire un grand choc esthétique, signaler la dimension poétique, ou socio-politique, de telles autres, etc.). Il y a aussi l’histoire du Festival (on ne sait pas toujours qui fait quoi ni ce que c’est exactement que le « In » et le « Off » !), il y a l’aspect remarquable du patrimoine avignonnais, qui fournit des lieux de spectacle exceptionnels (Cour d’honneur du Palais des papes, cloître des Carmes…) où le mariage des pierres et du sacré produit des effets poétiques assez extraordinaires, il y a aussi les métiers du spectacle qui nous donnent l’occasion d’organiser pour ces groupes des visites des coulisses et des rencontres avec techniciens et artistes.
H.L. : Nous demandons à ces néo-festivaliers quels parcours ils envisagent, sur quels sujets ils se trouvent perdus. Le médiateur peut leur proposer d’aller avec eux au spectacle, de les retrouver une heure avant pour une visite des coulisses, de se revoir ensuite ou le lendemain. Il va aussi les inviter à profiter de bonus auxquels parfois ils ne songent pas, comme, par exemple, d’assister au débat sur les questions raciales, qui recoupe le spectacle Baldwin and Buckley at Cambridge, qu’ils ont choisi. Les ouvrir ainsi à cette dimension traditionnelle d’Avignon, qui est la rencontre, le dialogue autour des grands thèmes abordés par les artistes. Evoquer notre partenariat avec les cinémas Utopia d’Avignon dont la programmation (Territoires cinématographiques) recroise elle aussi celle du Festival. Rappeler l’exposition des photographies de Christophe Raynaud de Lage…
Quels effets attendez-vous de cette plus grande hospitalité à l’égard des néo-festivaliers ?
V de C : Nous croyons qu’il s’agit avant tout de « réassurance » : donner aux personnes, jeunes et moins jeunes, leur légitimité, celle du public, tout simplement. Et puis : bien savoir que tout cela n’est pas grave ! Ce n’est que du spectacle. L’essentiel est le plaisir, d’être ouvert à nos propres capacités de rêverie, de poésie, d’accueil des propositions des artistes. L’essentiel est aussi de participer à cette « convergence collective » autour d’un rideau qui se lève, en temps et en présence réelle. Ici, nous pensons surtout aux jeunes gens qui, avec la crise sanitaire, ont été, par la force des choses, très isolés, et liés aux plateformes numériques. Redonner l’appétit pour la scène, retrouver l’expérience d’émotions partagées, tout naturellement.
« Je ne me rendais pas compte de ce que je ratais » Le témoignage d'une première fois, sur le compte Instagram du Festival d'Avignon.
Faciliter toujours davantage l'ouverture du festival aux jeunes
« Première fois » propose que chacun se sente à sa place, et que sa première fois appelle d'autres fois ! Le projet vise notamment les jeunes (et parmi eux les jeunes de la région qui parfois n'ont jamais mis les pieds au festival), qu'ils se fassent connaître spontanément ou comme groupes issus de l'Education artistique et culturelle (qui sont actifs toute l'année), ou encore par le canal des associations (comme par exemple les ceméa).
Tiago Rodrigues accueillera personnellement ces jeunes gens autour d'un débat sur leurs Premières fois dans la cour du Cloître Saint-Louis, le 13 juillet. Entretemps, ils auront pu utiliser toutes sortes de ressources : le guide « Ma première fois » (à télécharger ci-dessus), des posts humoristiques et informatifs sur les réseaux sociaux, des reportages réalisés par des jeunes sur la web tv du festival, un tarif adapté, une billetterie facilitée, des médiateurs dédiés.
Cette hospitalité est amenée à se cultiver et pérenniser en « réseau » : d'abord le réseau des intéressés, qui participeront aux débats du Café des Idées, et qui s'animera grâce à l'accompagnement, notamment, de structures culturelles comme la MC93 de Bobigny et le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.
Mais l'ambition du Festival va plus loin encore : « Ce serait assez fantastique, au fur et à mesure des années, précise avec enthousiasme Virginie de Crozé, que nous arrivions à recevoir aussi des groupes de l'étranger. Le projet de Tiago Rodrigues l'appelle tout naturellement : la circulation des langues, la circulation des artistes de tous pays... Quand on songe que, déjà, le public français peut être un peu perdu la première fois, je n'ose pas imaginer ce qu'il en est lorsqu'on est étranger. » Un magnifique chantier en perspective !
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