Comment crever le plafond de verre dans les rédactions, les entreprises audiovisuelles et sur les plateaux de tournage ? C’est à cette problématique que Pour les Femmes dans les Médias apporte des réponses et des outils depuis sa création, en 2013, par la journaliste Françoise Laborde. L’association a ainsi réussi à développer un réseau de près de deux cents femmes travaillant dans le secteur et élaboré deux chartes essentielles, l’une de bonne conduite contre le harcèlement et les agissements sexistes dans les entreprises de médias, signée en mars 2019 avec le ministère de la Culture et une deuxième, en 2022 sur la parité, accompagnée d’une boîte à outils pour les entreprises qui veulent changer leurs pratiques en la matière.
PFDM est également à l'origine de plusieurs études pour mesurer la parité dans les médias et lutter contre les pratiques discriminatoires envers les femmes, qui, dans ces métiers, accèdent moins aux postes à responsabilité, souffrent d’un manque de visibilité sur les antennes, se sentent moins légitimes et sont victimes de harcèlement. Le Baromètre sur la diversité et l’inclusion dans les secteurs de la culture et des médias, publié en décembre dernier, permet notamment de faire un point sur les progrès qui restent à faire dans ce domaine, comme l’explique Laurence Bachman, présidente d’honneur de PFDM, ancienne directrice de la fiction de France 2, productrice et réalisatrice.
L’association Pour les Femmes dans les Médias (PFDM), dont vous êtes présidente d'honneur, a été créée en 2013. Avec quel objectif ?
L’association a été créée par la journaliste Françoise Laborde que j’ai connue quand j'étais directrice de la fiction de France 2 et qui m'a proposé de la rejoindre. Elle avait envie qu'un certain nombre de femmes dirigeantes des médias et de journalistes se réunissent avec comme premier objectif d'aider les femmes devant et derrière la caméra à s'affirmer et à être plus présentes. On a commencé par être une dizaine, puis une vingtaine, une trentaine pour être aujourd’hui deux cents à se réunir pour échanger. Nous avons organisé des prix, remis des trophées de femmes inspirantes, puis réfléchi à des interventions sur le thème de la place des femmes dans les médias.
Puis #MeToo est arrivé il y a six ans et a bousculé tout le monde. Nous avons ainsi commencé à travailler sur notre première charte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes dans les entreprises de médias. Cette charte a été signée en 2019 avec le ministère de la Culture et le ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes avec quatre-vingts personnes de toutes les entreprises de médias. Nous nous sommes ensuite mises à travailler sur la parité en reprenant le mantra du collectif Sista : « pour que les femmes comptent, il faut les compter ».
Quels sont les outils que vous mettez en place au sein de votre association pour changer les mentalités ?
En parallèle de la charte « Parité mode d'emploi », nous donnons des conseils, des aides à la réflexion pour les référents, qu’ils soient internes ou externes à l’entreprise. Il faut que ce soit un sujet dont les rédactions doivent s'emparer, que ça devienne du quotidien. Il peut aussi y avoir l’affichage de messages comme « vous n’êtes pas seule » ou « si vous êtes harcelé, allez voir untel… » Une dirigeante m’avait raconté qu’elle avait mis en place des tableaux anonymes pour faire parler les gens et le tableau s’était retrouvé couvert de messages. Il faut donc travailler sur la honte, sur le fait de ne pas oser dire.
Il y a quatre ans, Catherine Schöfer, l’une des quatorze vice-présidentes, a eu l’idée de lancer un programme de mentorat, que l’on a tout de suite approuvé car c'est notre richesse et notre devoir de transmettre, il n’y a aucun sens d'exister si on ne transmet pas ce que l’on a appris d’un point de vue professionnel. Ce programme est fait extrêmement sérieusement avec une sélection des candidates, des rencontres, des entretiens, mais aussi des ateliers sur des thématiques comme l’IA pour les femmes ou le leadership au féminin. Les mentorés ont au minimum 5 à 6 ans de d'expérience professionnelle car c’est dans notre ADN d'aider des futures femmes dirigeantes. Nous en sommes à notre quatrième année avec donc déjà soixante femmes mentorées et vingt nouvelles cette année.
Depuis le 1er mars 2020, les entreprises d’au moins 50 salariés sont tenues de publier leur « index de l’égalité professionnelle ». Cet outil est-il pertinent selon vous ?
Il révèle des problématiques mais il reste insuffisant, trop synthétique. Nous avons mené il y a trois ans notre étude sur la parité dans la fiction, puis celle sur la parité dans les médias l’an dernier. Nous nous sommes aperçues que, dans tous ces secteurs, les femmes sont cantonnées à des rôles administratifs et que, dès qu’il y a un travail technique comme ingénieure du son, il n’y a plus de femmes, à l’image de l’ensemble de la société française. On voit cela dans les entreprises : dans les médias, dès qu'on est dans l'opérationnel, il y a beaucoup de femmes mais les patrons sont quand même toujours les hommes, dans les comités de direction ou les comités exécutifs. Rien n'est acquis, les choses bougent, mais il faut toujours un peu s'excuser de se défendre avec conviction et passion.
Rien n'est acquis,
les choses bougent,
mais il faut toujours
un peu s'excuser
de se défendre
avec conviction et passion
Vous avez mis en place le Baromètre sur la diversité et l’inclusion dans les secteurs de la Culture et des médias, publié en décembre dernier. Que révèle-t-il ?
Tout d’abord que 79 % des répondants constatent des phénomènes de discrimination dans le secteur des médias et de la culture, ce qui montre qu’un énorme travail n'est pas fait. Nous en sommes au même point qu’il y a sept ou huit ans : lorsque vous voyez dans le baromètre que 35 % des victimes ne parlent pas, j'ai envie de vous dire que tout reste à faire. On voit aussi que 68 % des femmes veulent avoir des outils pour promouvoir la diversité et agir de manière inclusive.
Ensuite, près de 90 % des femmes issues de la diversité ont été victimes de sexisme sur leur lieu de travail donc on peut parler de double peine pour elles. La discrimination reste un sujet tabou puisque 31 % des victimes de discrimination se taisent et les hommes beaucoup plus que les femmes. Ceci reste étonnant alors que tout le monde s’accorde à dire que la diversité quelque chose de très enrichissant au sein d’une entreprise.
Enfin, les hommes n’ont pas la même perception des problématiques discriminatoires : 57 % pensent que les hommes et les femmes ne peuvent pas bénéficier des mêmes opportunités professionnelles contre 85 % des femmes. Idem pour le processus de recrutement puisque 70 % des femmes estiment que le processus de recrutement n’est pas transparent et équitable pour 49 % des hommes. Enfin, sur la possibilité de s'exprimer pendant les réunions, 62 % des femmes pensent ne pas avoir les mêmes possibilités contre 32 % des hommes. La prise de parole est quelque chose que l’on devrait apprendre à l’école car la prise de pouvoir des hommes se fait aussi par ce biais. Les femmes se posent toujours des questions de leur légitimité à parler. Il y a donc encore beaucoup à faire sur la parité même si des outils ont émergé depuis quatre ans.
On parle des femmes des médias mais il y aussi les femmes invitées dans les médias, qui représentent seulement 20 % des experts invités pour commenter l’actualité, avec un temps de parole moindre par rapport aux hommes...
Je me souviens de tous les débats pendant la crise sanitaire, où les femmes étaient présentes sur les plateaux mais à des heures de moins grande écoute ou de « unes » de journaux ne montrant que des hommes. On ne peut plus faire les choses sans les femmes ! Certains médias travaillent sur cette problématique comme TF1 par exemple qui a lancé un grand comité de formation de femmes expertes. D’ailleurs, cela m’inspire cette réflexion : on monte toujours des comités de femmes expertes et jamais des comités d’hommes experts, comme si les hommes étaient, d’office, des experts.
Ce qui est frappant – et on le voit très bien à travers notamment le mentorat – ce sont des femmes, quelle que soit leur génération, qui disent qu’elles n’osent pas faire telle ou telle chose, qu’elles ne prendraient jamais la parole ou ne demanderaient pas une augmentation. J’ai l’impression qu’entre ma génération et les femmes de 30 ou 40 ans, rien ne s’est passé sur notre légitimité, nous sommes toutes les mêmes. Quand on discute de nos hésitations, c'est toujours une violence de nous mettre en avant.
Justement, #MeToo pourrait-il changer la donne avec cette libération de la parole ?
Si je fais un retour sur moi-même, je peux me dire que j'ai beaucoup travaillé et réussi à construire ma carrière. Pour autant, je ne me rendais pas compte du paternalisme ambiant de l’époque. Personne ne croyait en nous et pourtant, en bonnes élèves, il fallait tracer notre voie sans jamais nous arrêter, avec nos injonctions personnelles et professionnelles. Mais avec le recul, je me dis que j’aurais pu faire autrement et je ressens aujourd’hui la violence à laquelle je ne croyais pas à l’époque. Aujourd’hui, les choses ont changé : on peut se poser des questions, voire même changer de métier si on le désire. Bref, on peut quand même un peu plus respirer.
En cela, #MeToo a été une déflagration, qui a permis d'abord de révéler des choses scandaleuses qui étaient tues. Les jeunes femmes aujourd’hui sont différentes, elles ont un autre rapport au travail, ne laissent rien passer. On ne peut plus vivre de la même façon et malheureusement, peut-être qu’il aura fallu ce coup de tonnerre pour que les choses bougent de l’intérieur.
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