8.Une gestion des collections en lien avec le PCI
Au sein des musées, les responsables s’accordent sur le caractère indissociable du patrimoine matériel et immatériel. Le PCI aide à contextualiser les collections par plusieurs biais : notion de « vécu de l’objet », mise en valeur du geste, souvenir de gestes du passé, compréhension du contexte de production et des conditions de travail, documentation des objets conservés en réserve.
Le processus semble moins complexe pour les gestes liés au maniement des outils, du fait de leur relative stabilité jusqu’au XIXe siècle. Mais restituer les pratiques immatérielles à partir de collections d’objets est une démarche délicate, de par des vestiges et informations souvent lacunaires, résiduels et aléatoires quand la collecte est décontextualisée :
« Si rien n’a permis d’en garder la mémoire, et que le temps passant, les structures sociales, les croyances religieuses, les fêtes et les outils se sont transformés, cet ensemble d’informations culturelles est très difficile à restituer. Les traditions orales, l’humour, les relations sociales, la gestuelle d’un sacrifice ou tout simplement de la vie quotidienne sont ainsi perdus »
(Devanthery, 2017 : 124).
L’usage des outils documentaires du PCI
Plusieurs outils mentionnés infra permettent de contextualiser une partie des objets ethnographiques conservés dans les musées, en ce qu’ils décrivent les pratiques reconnues comme PCI en France. Quoique très majoritairement accessibles en ligne, ils restent pourtant méconnus du réseau des musées français, d’après l’enquête menée en 2018. Lorsqu’ils sont connus, les liens techniques entre ces ressources spécialisées et les bases documentaires des musées sont quasi inexistants.
La faible formation au PCI au sein des musées en est peut-être aujourd’hui la cause : 80 % des musées n’ont aucun personnel formé au PCI, dans leur parcours initial ou en formation continue. Pourtant, plus de 70 % en expriment le souhait (enquête 2018) et ils sont vivement incités à profiter d’une offre de formation spécialisée (voir les formations).
Les outils de recensement des pratiques culturelles immatérielles en France reposent sur le caractère obligatoire de la démarche d’inventaire dans tous les pays ayant ratifié la convention de 2003 : « Il appartient à chaque État partie (…) d'identifier et de définir les différents éléments du PCI présents sur son territoire, avec la participation des communautés, des groupes et des organisations non gouvernementales pertinentes » (art. 11). Ce processus d’inventaire est fondamental pour la sauvegarde.
- Répertoire des inventaires du PCI
Lancé en août 2007, ce répertoire du ministère de la Culture compile les inventaires existants sur le PCI à l’échelle d’un territoire et les inventaires spécialisés d’intérêt national. Il recense 39 ressources (publications, projets, bases, sites, etc.) et peut être mis à jour et enrichi sur proposition auprès du département Recherche, Valorisation, PCI.
- Inventaire national du PCI en France
Lancé en mars 2008, l’Inventaire national est tenu et publié en ligne par le ministère de la Culture. Inspiré des outils mis en œuvre par l'Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel de l'université Laval à Québec, l'entreprise a mobilisé dès l’origine quatre partenaires (Société d'encouragement des Métiers d'art, Institut occitan, Centre des musiques traditionnelles de Corse, LAHIC). Le profil des contributeurs et rédacteurs des fiches s’est considérablement élargi en dix ans.
Les porteurs de projet (individus, associations, fédérations, collectivités territoriales et leurs services culturels, etc.) sont accompagnés dans la constitution des éléments jusqu’à leur soumission au Comité du patrimoine ethnologique et immatériel (CPEI).
Riche de 500 fiches, l’outil national, composé de 7 rubriques thématiques, accueille environ quarante nouvelles fiches par an. Les domaines les plus représentés aujourd’hui sont les jeux et sports traditionnels (35 % des fiches), les savoir-faire artisanaux (23 %) et les pratiques festives et rituelles (10 %).
L’Inventaire national du PCI en France est publié :
- en fichiers PDF à télécharger, sur le site ministériel « Patrimoine culturel immatériel » ;
- au format base de données, sur la plate-forme collaborative PCI Lab, offrant de plus de modalités de recherche (mots-clés, thèmes et cartes interactives) et de contribution libre (technologies wiki).
- Inventaires territoriaux
À ces outils nationaux s’ajoutent les réalisations territoriales, à l’initiative d’ethnopôles labellisés du ministère de la Culture, d’associations spécialisées et d’ONG accréditées par l’Unesco (listées ici).
Par exemple :
- Base de données Son d’Aquí du patrimoine culturel immatériel de l’Aquitaine (InOc)
- Base Dastumedia du patrimoine oral et musical de Bretagne (Dastum)
- Dossiers de candidature UNESCO
En 2018, 17 candidatures sont reconnues par l’Unesco par inscription sur la Liste de sauvegarde ou, essentiellement, sur la Liste représentative du PCI de l’humanité. Les dossiers associés, accessibles en ligne, comportent le dossier de candidature, incluant le plan de sauvegarde de l’élément, une dizaine de photographies, un film spécifique et les témoignages de consentement rassemblés.
Lien vers la sélection « France » des listes Unesco
Des supports propres à documenter l’immatériel
D’après l’enquête menée en 2008, les sources de restitution de l’immatériel les plus souvent citées par les musées sont l’image (les cartes postales par exemple), le son (paysages sonores, tels les bruits de machines, par exemple), la musique ou encore des archives (programmes, menus, etc.) liés à l’expression de la vie quotidienne :
« Si le patrimoine immatériel en tant que tel ne peut faire l’objet d’une collection, ses artefacts le peuvent, tout comme peuvent aussi être réunis les travaux visant à le documenter, à en retracer l’histoire et les raisons, à en enregistrer les gestes et les occasions. » (Dévanthery, 2018 : 178).
La convention Unesco de 2003 est perçue comme bénéfique, surtout vis-à-vis des objets issus de sociétés de tradition orale. Elle confère une reconnaissance, un statut, voire une protection juridique aux collections d’enregistrements audiovisuels ou filmiques, aux fonds photographiques, aux carnets d’enquête ou aux documents d’analyse de terrains ethnographiques qui fixent des pratiques chantées, chorégraphiques ou des savoir-faire.
Souvent disparates, ces supports sont difficiles à cerner et fragiles, parfois même négligés dans les musées et ne sont pour la plupart du temps non portés au registre d’inventaire (sauf exception avec le MuCEM et le Musée dauphinois dans l’enquête de 2008).
Des dispositifs normalisés de gestion archivistique et documentaire (enregistrement, cotation et inventaire selon les normes en vigueur pour chaque catégorie, conditionnement en matériaux de conservation préventive, numérisation, intégration aux bases documentaires) doivent s’étendre à ces supports matériels spécifiques du musée, du fait de leur apport au patrimoine immatériel.
Cette démarche peut amener à renforcer la formation (initiale ou continue) des personnels affectés à la gestion des collections et/ou à la documentation du musée ou de la collectivité territoriale. Il est aussi intéressant d’élaborer un partenariat avec les services d’archives, municipales ou départementales, pour un apport en ingénierie technique (techniques d’inventaire, de numérisation et de stockage à long terme), voire une mutualisation des moyens, en rapport avec l’évolution des technologies.
Les acquisitions en lien avec le PCI
Au sein des musées, l’actualisation des collectes passées est très exceptionnelle (enquête 2008). Au plan de l’organisation matérielle, seuls les musées dotés de moyens humains et scientifiques suffisants semblent pouvoir conduire des programmes de recherche, éventuellement inscrits au PSC du musée, incluant la collecte d’objets contemporains. Ces programmes de recherches sont conduit en partenariat avec des unités de recherches spécialisées (Université, CNRS) ou grâce à l’insertion dans des infrastructures de projet liées aux Programmes d’investissement d’avenir (PIA).
Les grands musées de société ou de civilisation peuvent fournir en ce domaine une méthodologie éprouvée. Les matériaux du terrain constituant, de longue date, les ressources patrimoniales de l’institution.
La connexion avec le PCI, au sens de l’Unesco, n’est toutefois avéré que si les communautés de détenteurs, l’insertion de ces objets dans un processus et les modalités de transmission et de sauvegarde des pratiques associées, ont tous été documentés de façon contemporaine et s’ils sont restitués, d’une quelconque façon, dans les dispositifs de démonstration des objets en question au public.
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