19.« La rénovation du droit du patrimoine », retour sur le colloque du 28 mars 2014 au Musée du Quai Branly
« Essence et désenchantement du droit du patrimoine culturel » par Vincent Négri, chercheur associé au CNRS
Pour Vincent Négri, si nous avons gardé une vision étatique de la protection du patrimoine, l’article L1 du Code du patrimoine définit tout de même le patrimoine non protégé comme celui n’étant pas pris en charge par l’Etat - il n’en reste pas moins que des acteurs nouveaux dans la protection du patrimoine culturel tendent à renouveler le droit du patrimoine.
En effet, comme le montre la jurisprudence du CE, 7 juillet 2008 commune de Verdun, les maires peuvent jouer un rôle complémentaire dans la protection du patrimoine. Ainsi, lorsqu’un avis négatif a été émis sur une demande de permis de démolir par le ministre ou par l’ABF, cet avis s’impose en principe au maire. Mais en cas d’avis favorable, le maire conserve la possibilité d’apprécier si les travaux de démolition envisagés sont de nature à compromettre la protection ou la mise en valeur des quartiers, des monuments et des sites et, le cas échéant, de refuser le permis sollicité ou de l’assortir de prescriptions spéciales.
Les particuliers présentent aussi un potentiel de renouveau pour la défense du patrimoine depuis la ratification de Convention d’Arrhus avec l’article 7 de la Charte de l’Environnement exigeant la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement dont l’article L120-1 du code de l’environnement prévoit les modalités. Ainsi, l’engagement volontaire et les démarches contractuelles - comme celles de Natura 2000 - institués par le code de l’Environnement associent désormais les propriétaires à la protection de notre patrimoine.
Sur ce terrain, les collectivités territoriales, en qualité de propriétaires, peuvent aussi s’investirent sur le terrain contractuel.
Depuis la Convention sur le patrimoine mondial de l’Unesco de 1972, les acteurs internationaux tendent à jouer un rôle important dans la protection de la nature et des biens culturels bien que les conventions internationales, si elles imposent des obligations aux États-membres, ne sont pas considérées immédiatement applicables dans les ordres juridiques internes. 1
Vincent Négri a proposé que les professionnels puissent voir leur déontologie renforcée. Actuellement celle-ci n’existe que pour les musées.
« Le patrimoine culturel immatériel » par Christian Hottin, conservateur du patrimoine à la direction générale des patrimoines
Christian Hottin a quant à lui démontré le renouveau du droit du patrimoine culturel par la future introduction dans notre code du patrimoine de la notion de patrimoine culturel immatériel immatériel2
Dans l’article L1 de notre Code du patrimoine, la définition du patrimoine culturel inclut uniquement le patrimoine matériel. Pour remédier à cette lacune, un recensement a eu lieu au sein de la direction des Patrimoines. Il s’est traduit juridiquement par un document de soixante pages comprenant des mesures spécifiques pour la sauvegarde de ce patrimoine immatériel suite à la ratification de la Convention de l’UNESCO.
À la différence du patrimoine matériel, le patrimoine immatériel n’est pas une question de propriété. En effet, les pratiques, rites et expressions sont ceux des détenteurs d’un savoir d’où l’importance pour les communautés d’être associées à la définition de leur patrimoine culturel immatériel. Même si la notion de « communauté » est une notion problématique pour M. Christian Hottin c’est celle qui permet d’agir.
Finalement, et après de nombreuses discussions particulièrement houleuse lorsqu’il s’agissait de la notion d’intérêt ethnologique, la définition de l’article L1 du Code du patrimoine qui définit le patrimoine culturel reprendra celle de l’article 2 de la Convention de l’Unesco3 en y insérant donc la notion de patrimoine immatériel.
À la différence de la France, l’Arménie et la Chine ont adopté rapidement la notion de patrimoine immatériel. En Corée et au Japon, le patrimoine immatériel a été pris en compte bien avant 1950. Sans avoir pris de mesures spécifiques, l’Allemagne, la Suisse et la Belgique se sont également engagés, beaucoup plus directement que la France, pour le patrimoine culturel immatériel.
« La domanialité publique des archives » par Stéphane Duroy, enseignant-chercheur à l'Université Paris-Sud
Stéphane Duroy a présenté un bouleversement jurisprudentiel récent du droit du patrimoine au sujet de la domanialité publique des archives.
On pensait la question résolue- le sujet n’étant pas nouveau- mais deux affaires récentes remettent en cause la domanialité publique établie des archives : celle de l’Affaire Murat de Chasseloup- Laubat et celle des télégrammes du général De Gaulle de 1940 à 1942.
L’article L2012-1 du CG3P4 est important car il effectue un changement de paradigme depuis 2006 : le législateur applique aux meubles des critères particuliers d’intérêt public : il n'est donc plus question d’appliquer aux meubles les mêmes critères qu’aux immeubles c’est-à-dire celui de la propriété et d’une affectation publiques pour que celui-ci relève du domaine public.
L’exemple donné fut celui d’un des descendants d'un général napoléonien, propriétaire de ses archives personnelles, avait décidé de vendre celles-ci. Le service historique de la défense a revendiqué la propriété des archives du maréchal soit 3.000 documents dont la valeur représente plusieurs millions d'euros devant le tribunal administratif de Poitiers en 2008.
Mettant fin à dix ans de procédure entre les deux parties, le TGI de La Rochelle en 20135 a conclu que ce fonds avait un caractère privé malgré un arrêt du Conseil d’Etat du 9 novembre 2011 qui énonçait que les documents répondaient aux critères des archives publiques. Cette récente jurisprudence semble mettre à mal la domanialité publique des archives et ainsi sa protection.
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Ces trois interventions nous ont montré un aperçu du renouvellement du droit du patrimoine culturel : par un élargissement de la notion de patrimoine d’une part, mais aussi par une multiplication de ses acteurs et des outils qui œuvrent à sa protection.
Restons donc vigilants afin que le degré de protection de notre patrimoine culturel ne s'affaiblisse pas par l'actuel projet de loi visant la réforme de droit du patrimoine…
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