Le recours aux technologies numériques dans les arts de la marionnette permet l'ouverture à des scénographies innovantes. C’est dans cette perspective qu’est née l’idée d’une marionnette augmentée, avec de nouvelles fonctionnalités et se nourrissant de dispositifs techniques élargissant le champ des possibilités esthétiques. Cette recherche a émergé progressivement des précédents projets du Printemps du machiniste. Ce collectif réunit des artistes issus de la danse, de la marionnette et de la musique, sous l’impulsion de Louis Sergejev, auteur, metteur en scène et marionnettiste, et Dorine Dussautoir, comédienne et marionnettiste.
Quand la marionnette revêt le visage des spectateurs
Au fil des années, Le printemps du machiniste a collecté des témoignages des publics rencontrés qu’il restitue et valorise dans ses spectacles. Au gré des régions parcourues par ses artistes dans le cadre de leurs projets de territoires, le collectif immortalise les paroles et capture les traits physiques des habitants des quartiers et villages. Dorine Dussautoir témoigne de cette volonté d’inclusion des publics : « Ne nous contentons pas de recueillir des mots ou des images mais enregistrons les visages des gens pour les transformer en marionnettes ». Les spectateurs se voient donc devenir les protagonistes des scènes auxquelles ils assistent.
L’enjeu de ce projet était de déboucher sur une marionnette qui puisse être manipulée et sur laquelle apparaît et s’anime le visage en mouvement d’une tierce personne. C’est au travers d’un premier stage de recherche en 2019 à l’École Estienne que l’équipe a pu bénéficier de l’expertise de professeurs et d’étudiants pour concrétiser cette idée.
La complexité technique de ce projet de recherche, recoupant les champs de la projection architecturale (mapping vidéo) et de la reconnaissance faciale, a entraîné un élargissement du collectif à des profils spécialisés dans les technologies. L’équipe de recherche du Printemps du machiniste a ainsi fait appel à Leyokki, ingénieur et artiste numérique indépendant, qui a depuis rejoint le collectif.
Si ce projet prend racine dans les partis pris esthétiques du collectif, le dispositif technique que constitue cette « marionnette augmentée » dépasse les frontières de la seule création artistique, en ouvrant des questionnements philosophiques et éthiques.
La question éthique : la représentation de soi sur une marionnette
Rapidement, le collectif a pris la mesure des interrogations philosophiques soulevées par ce projet de recherche. Quelles précautions éthiques et méthodologiques sont nécessaires lorsque l’image d’un individu est utilisée à des fins artistiques ? De ce questionnement émane le volet théorique de la recherche. Cette réflexion souligne les différences fondamentales entre la représentation de soi que l’on retrouve notamment sur les réseaux sociaux, et la projection d'une image de soi sur une marionnette contrôlée par un artiste. Le printemps du machiniste a ainsi été appuyé dans ses réflexions par Laetitia Dumont-Lewi, maîtresse de conférences en études théâtrales à l’Université Lumière Lyon 2 et membre du laboratoire Passages Arts & Littératures, ou encore Léo Migotti, chercheur en sémantique et pragmatique des représentations non linguistiques à l’Institut Français de la Mode. Cette démarche réflexive en lien avec le milieu de la recherche académique a permis de mettre en perspective le projet dans un contexte plus large.
Outre ce mouvement de recul et de théorisation, le projet a permis à ses membres de sortir d’une logique de travail soumise à la création de formes scéniques. La recherche a apporté une nouvelle dynamique de collaboration entre les membres du collectif, chacun d’entre eux apportant son expertise au projet, comme en témoigne Louis Sergejev : « Dans notre cas la recherche-création s’incarne dans la pluridisciplinarité, ce projet a permis une jonction des personnes et des compétences au sein du collectif ».
Étant parvenu à la réalisation d’un prototype de « marionnette augmentée », le collectif rendra publique la notice technique de création du dispositif en la partageant en code source ouvert. Le processus de création ainsi que les implications philosophiques soulevées par le projet sont quant à elles restituées dans un livret de recherche comprenant un lexique, des textes théoriques et des images.
Pour Le printemps du machiniste, la prochaine étape consiste à intégrer ce dispositif dans une création scénique dès qu'un axe dramaturgique pertinent sera défini. En attendant, le collectif poursuit ses recherches dans l’optique d’améliorer le prototype déjà existant.
Recherche en théâtre et en arts associés
L’appel à projets Recherche en théâtre et en arts associés a été conçu par la Direction générale de la création artistique (DGCA) pour soutenir les recherches menées par des acteurs de la création en dehors de tout objectif immédiat de création ou de production de spectacle. Ce programme d’aide répond à des enjeux de trois ordres :
- favoriser un renouvellement des formes et des esthétiques de la création ;
- permettre aux artistes en formation d’accéder aux méthodes et acquis récents de la recherche ;
- diversifier les ressources sur un plan patrimonial et en faciliter l’accès.
Il a pour objectif de créer et de consolider une communauté de chercheurs en théâtre et en arts associés qui partagent des concepts, des méthodologies et des pratiques. Ce programme d’aide s’inscrit dans le cadre de la stratégie de recherche du ministère de la Culture qui a fixé dans ses mesures prioritaires le soutien à des programmes de recherche dans les champs de la création.
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