Monsieur le Président de la Biennale de Venise, Cher Paolo Barrata
Monsieur le Président de l’Institut Français, Cher Xavier Darcos
Monsieur l’Ambassadeur de France en Italie, Cher Alain Le Roy
Monsieur le Commissaire général de la 14e biennale internationale d’architecture de Venise, Cher Rem Koolhaas
Monsieur le Directeur général des patrimoines, Cher Vincent Berjot
Monsieur le Commissaire du Pavillon français, Cher Jean-Louis Cohen
Monsieur le Président de la Cité de l’architecture et du patrimoine, Cher Guy Amsellem
Chers tous,
Rem Koolhaas a choisi d'intituler la biennale 2014 « Fondamentaux » pour mettre l’accent sur ce que l’architecture porte en elle d'essentiel, souligner ce par quoi elle échappe aux modes, à l'anecdotique et à l'accessoire, au geste gratuit, pour s’inscrire au contraire dans la durée et se projeter vers l'avenir.
Mais je voudrais détourner un peu l’intitulé de cette biennale, et j’espère que Rem Koolhaas voudra bien me le pardonner, pour dire tout d’abord que l'architecture est FONDAMENTALE.
En effet, elle est inscrite au cœur des sociétés et de leur culture, elle témoigne durablement des civilisations, de leur capacité à s'inscrire dans un territoire et à le façonner pour le transcender.
La France l’a reconnu pleinement en déclarant en préambule de la loi de 1977 que « l’architecture est une expression de la culture ».
L’architecture n’est pas simplement une technique, elle n’est pas simplement un geste, elle est partie prenante de la « respublica » et du bon fonctionnement de la société.
De fait, les architectes ont une responsabilité majeure celle de traduire en réalisations concrètes les projets, les aspirations d’une société et des individus qui la constituent.
L’architecture peut ainsi connaître le succès mais aussi être confrontée à l’échec, elle peut être perçue comme une promesse ou comme une menace, pour reprendre le bel intitulé que Jean-Louis Cohen a souhaité donner au pavillon français. Mais dans tous les cas, l'architecture est l’actrice et la trace des évolutions de la société.
C'est bien pour cela que l'architecture doit s'inscrire pleinement dans les grandes priorités nationales d’aujourd’hui.
Elle doit protéger les paysages du quotidien, menacés par un étalement urbain qui doit être maîtrisé et organisé, mais aussi relever le défi du logement, qui doit mêler de manière indissociable quantité et qualité. Car toute l'histoire de la construction de masse, comme celle de l'évolution des tissus urbains constitués, montre que les solutions strictement quantitatives sont vouées à l'échec si elles ne sont pas accompagnées d'une réflexion qualitative dès la conception.
Elle doit permettre d’imaginer la ville de demain, « durable » et « intelligente », alliant densification et humanisme à travers le renouvellement des paradigmes du bâti.
Parce qu'il s'agit bien d'une responsabilité collective, le ministère de la Culture et de la communication, en charge de l'architecture, imagine, soutient, accompagne toutes les initiatives en sa faveur.
Je voudrais rappeler quelques axes majeurs d’attention qui sont ceux du ministère en charge de l’architecture : faire des constructions publiques le vecteur de la qualité et de la création architecturale.
Comment ne pas se réjouir, par exemple, que le Louvre-Lens de l'agence Sanaa ait remporté le Grand prix 2013 de l’Équerre d'argent ?
Emblématique, cette réalisation l’est à plus d'un titre : grand équipement public culturel ouvert à tous, délocalisation sur le territoire d’une partie des collections publiques du plus grand musée du monde, collaboration exemplaire entre l’Etat et des collectivités locales soucieuses de profiter de ce projet exceptionnel pour faire évoluer les territoires, formidable adhésion populaire… L’architecture a joué ici tout son rôle de catalyseur.
Mais si, bien évidemment, les grands équipements doivent porter la qualité architecturale, il est tout aussi fondamental à mes yeux que l’architecture irrigue largement tout le tissu de la société.
C’est bien pour cela que j’ai souhaité que le projet de loi sur les Patrimoines culturels introduise un nouveau titre, intitulé « Qualité architecturale », dans le Code du patrimoine.
Il s’agit de porter des dispositions concernant, d'une part, la connaissance, la reconnaissance, la valorisation et l'évolution qualitative du bâti existant non protégé et, d'autre part, la promotion de projets architecturaux porteurs de qualité.
Et pour que l’architecture irrigue la société, il est indispensable que nous prêtions collectivement toute notre attention aux suites qui seront données au rapport sur la réforme du calcul des surfaces, qui préconise l'abaissement du seuil à 150m² de surface de plancher.
L’architecte ne doit pas être conçu comme un obstacle ou comme un facteur de délais !
L’architecte est celui qui sait apporter des réponses belles et intelligentes aux grands objectifs que lui fixent les citoyens et la société… alors faisons confiance à la beauté et l’intelligence pour répondre aux défis de nos sociétés sans multiplier les normes et les contraintes ! Et pour cela, ayons le réflexe de recourir aux architectes !
C’est bien pour cela que j’ai souhaité annoncer hier soir, lors de la remise du prix de l’AFEX, que mon ministère serait présent au côté de l’AFEX au prochain marché international des professionnels de l’immobilier (MIPIM) à Cannes, pour que nos jeunes architectes, lauréats des AJAP, puissent se faire connaître des maîtres d’ouvrage.
Ce discours en faveur du recours aux architectes, mon ministère l’a tenu devant la mission d information sur la création architecturale, mise en place par la commission des affaires culturelles et de l'éducation présidée par M. Patrick Bloche et je redirai la même chose lorsqu’elle m’auditionnera dans quelques jours.
C’est aussi pour cela que j’ai souhaité que mon ministère porte un effort important en faveur de la formation dispensée dans les écoles d’architecture, car tout commence par la formation de ceux qui feront l'architecture de demain.
Depuis mon arrivée, j'ai ainsi à la fois renforcé les moyens qui leur sont donnés et engagé une réflexion de fond sur l’avenir de ces écoles, leurs liens avec l’université et la recherche et leur inscription dans les territoires.
Au-delà de la formation dispensée aux professionnels de demain dans les écoles, c'est l’éducation à l’architecture de la population toute entière que je souhaite également soutenir.
A cet égard, le conseil en architecture est un élément majeur pour construire un cadre de vie de qualité pour l'ensemble des citoyens.
Je souhaite que l’action des CAUE en matière de conseil en architecture soit réaffirmée, que le rôle qu’ils jouent en la matière soit reconnu de tous les acteurs et que leur expertise s’articule parfaitement avec celle des autres experts publics compétents dans le domaine de l'architecture, et je pense en particulier aux architectes œuvrant au sein des services déconcentrés du ministère de la culture, les Services territoriaux de l'architecture et du patrimoine.
Ce sont autant de sujets dont il conviendra de débattre sans tabous dans le cadre de la réforme de la gouvernance territoriale.
Comme je l’ai déjà dit le ministère de la Culture a toute sa place dans la réflexion sur la ville de demain, durable et intelligente.
La ville de demain reste toujours à bâtir – c’est une constante de l’histoire de l’humanité - et les architectes sont appelés à jouer un rôle essentiel dans ce défi majeur, lancé à nos sociétés urbaines, alors même que les enjeux en termes de consommation des ressources, de préservation des équilibres naturels et d'évolution du climat sont plus forts que jamais.
C’est bien pour cela que le ministère de la culture apporte tout son soutien à la formidable et prometteuse initiative de l'Ordre, lancée à l'occasion de cette biennale, les Universités d'été de l'architecture, sur le thème « La fabrique de la ville : le logement en question ».
Ces Universités, qui se clôtureront à Marseille en octobre prochain, doivent permettre d'engager une large réflexion sur la ville, le logement, le rôle essentiel des architectes dans une société en perpétuelle mutation.
Le ministère en charge de l'architecture sera bien entendu aux côtés de la profession pour accompagner et nourrir ces débats prometteurs.
Alors, la modernité de l’architecture : promesse ou menace ? ...pour paraphraser l'interrogation très pertinente posée par Jean-Louis COHEN.
Cette question trouve un écho particulier dans le débat autour du projet de la Samaritaine, rue de Rivoli à Paris : une œuvre architecturale, un projet d’évolution urbaine autour d’un axe très circulant, un tissu patrimonial environnant très riche… il n’est donc pas étonnant que le débat soit passionné, voire passionnel.
C’est la question de l’articulation du respect des règles – et je souhaite rappeler que les garants du respect de ces règles, qu’il s’agisse des services de l’État comme ceux de la ville de Paris, ont rendu des avis favorables sur ce programme - et de la création qui est ici posée.
Si les règles sont garantes d'équité et permettent de veiller à une évolution des villes respectueuse du passé - et en tant que Ministre du patrimoine j’y suis évidemment très attachée - elles ne doivent pas devenir pour autant un instrument de nivellement de la qualité architecturale, qui est pour reprendre les termes de la loi de 1977, d'intérêt public.
La création, parce qu'elle dérange et bouscule l'ordre établi, doit être expliquée et débattue, dans un contexte réglementaire qui doit lui permettre de trouver sa juste place.
Je crois que la France a cette chance d’avoir des règles qui lui permettent d’envisager la modernité plutôt comme une promesse que comme une menace … et que l’on peut donc allier en France la mise en valeur de notre patrimoine exceptionnel et la promotion de l’architecture contemporaine.
Alors oui, cher Jean-Louis je serais tentée d’apporter une réponse à la question que vous posez !
Et, en tout état de cause, c’est bien parce qu'il est nécessaire que nous puissions nous poser ensemble toutes ces vraies questions, parce qu'il est indispensable que nous puissions tenter de proposer ensemble de vraies réponses, inscrites dans la durée, que je suis heureuse de nous voir de nouveau rassemblés ici, pour permettre à l'architecture d'exprimer ce qu'elle a de plus fondamental en elle : sa capacité à changer le monde.
Permettez-moi pour conclure d’adresser mes plus vifs remerciements à notre commissaire du pavillon français, Jean-Louis Cohen, à tous nos partenaires qui nous accompagnent dans cette belle aventure de la Biennale de Venise et tout particulièrement le Président de l’Institut Français, Xavier Darcos et ses équipes ainsi que le Président de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Guy Amsellem, dont les collaborateurs ont assuré cette année la production déléguée du pavillon.
J’aimerais également saluer le groupe Abvent qui a réalisé une visite virtuelle du pavillon français mise en ligne aujourd’hui sur les sites Internet de l’Institut français et du ministère de la Culture et de la Communication. Elle offre à tous ceux qui ne pourront pas se déplacer à Venise et notamment aux étudiants en architecture, la possibilité de déambuler dans le pavillon.
Je remercie enfin les créateurs de lumière Iguzzini, Saint-Gobain et l’Institut national de l’audiovisuel pour leur généreuse contribution.
Merci à tous.
Discours
Discours d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé lors de l’inauguration du Pavillon français à la biennale d'architecture de Venise (Italie) le jeudi 5 juin 2014
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