Paris, le 21 janvier 2014,
Monsieur l’Ambassadeur du Japon,
Monsieur Yoichi SUZUKI,
Madame la Vice-Présidente du conseil régional Nord-Pas de Calais,
Madame la Sénatrice, chère Catherine GENISSON,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Président du Groupe Moniteur et Président du jury, cher Guillaume Prot et cher Christophe CZAJKA
Monsieur le Président de la Cité de l'architecture et du patrimoine, cher Guy Amsellem
Mesdames et Messieurs,
C'est un plaisir pour moi de remettre ces prestigieux prix du Moniteur qui nous permettent de prendre toute la mesure de la vitalité de la création architecturale en France et de mieux valoriser cette qualité architecturale si essentielle aux réponses que notre société doit apporter aux grands défis de notre siècle.
Alors que nous nous apprêtons à distinguer le talent et la créativité de ceux qui incarnent l’architecture d’aujourd’hui, ces mots que Paul Valéry met dans la bouche de Socrate me viennent à l’esprit : «La seule architecture exige et porte au point le plus haut les grands caractères d’une œuvre complète. » On peut difficilement imaginer plus bel éloge que de peindre Socrate en « architecte que les circonstances n’ont pas achevé de former », confiant ses regrets de n’avoir pu se consacrer à celui qui est pour lui « le plus complet des arts ».
Comme le Socrate de Valéry, je suis convaincue de la place essentielle des architectes dans notre société, au carrefour de tous enjeux de notre monde contemporain.
Comme lui, je sais que l’architecture, c’est une culture de la qualité.
Qualité d’une création architecturale, où « la plus grande liberté naît de la plus grande rigueur », pour reprendre les mots de Paul Valéry. Qualité du cadre de vie pour l'ensemble des citoyens, qualité de ce qui est véritablement un art et une science du quotidien. Qualité d’une intervention sur notre environnement qui est responsable, consciente des écologiques, économiquement viable et socialement juste, pour le développement durable de nos territoires. Qualité d’un geste architectural qui apporte des réponses cohérentes et innovantes aux grands enjeux du 21ème siècle : l’accès au logement pour tous, la transition énergétique et écologique, le vivre-ensemble.
Dès ma prise de fonction, et j’ai pu l’exprimer très vite, à Venise, lors de la 13ème Biennale internationale d’architecture quand j'ai inscrit l'architecture parmi les axes majeurs de mon action, je me suis engagée à promouvoir et favoriser cette qualité architecturale.
En ce début d’année 2014, je voudrais vous présenter nos grands chantiers pour poursuivre la dynamique impulsée en 2013, pour une architecture que je souhaite plus proche des populations et des territoires, pour une qualité architecturale au service de l’intérêt public. Et je vais ainsi, cher Guillaume Prot, apporter une réponse aux attentes d’une profession dont je partage les préoccupations.
Nous avons besoin de l’expertise et des compétences des architectes dans des domaines qui dépassent le simple cadre de la construction. Il est important, et c’est mon ambition, que cette expertise et ces compétences soient mieux connues et reconnues pour qu’on les exploite et les sollicite plus largement partout sur le territoire.
Je prendrai donc toutes les mesures nécessaires pour soutenir la création et la qualité architecturale dans notre pays :
- Je l’ai fait en faisant de la formation de nos architectes une priorité de mon ministère.
Je m’y suis attachée l’an dernier en engageant un large travail de concertation qui a abouti à une feuille de route ambitieuse pour mieux définir la place de nos écoles d’architecture dans le paysage de l’enseignement supérieur.
Je poursuivrai cet effort en 2014 en mettant l’accent sur la réussite des étudiants avec un concours d’entrée commun aux écoles, sur une meilleure inscription de nos écoles sur leurs territoires, sur l’ouverture de nos écoles à l’international et sur la consolidation de la recherche en architecture. Je veillerai aussi que les futurs architectes soient mieux sensibilisés aux enjeux d’accessibilité et de bien-traitance architecturale pour que la qualité architecturale prenne en compte les attentes et les besoins de tous nos concitoyens. Je veillerai également à ce que, auprès des étudiants, tous les métiers de l’architecture soient valorisés pour que les études d’architecture ne mènent pas seulement à l’exercice d’une profession mais aussi à tous les niveaux de décision de la transformation des villes et des paysages.
- Je l’ai fait en réaffirmant le rôle les institutions qui sont chargées par la loi de 1977 de défendre la dimension culturelle de l'architecture et son rôle social sur tous les territoires : les CAUE. Dans le contexte actuel de la décentralisation et de la réforme de la gouvernance territoriale, ils seront parties prenantes, tout comme la MIQCP (mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques), de la réorganisation d'ensemble des moyens publics d'expertise, d'appui et de conseil. Il s’agit bien, aujourd’hui, de réaffirmer leurs missions et leur action, de confirmer leur présence et leur expertise, en lien avec les autres experts publics concernés, et je pense ici en particulier aux architectes conseils et à ceux œuvrant au sein des services déconcentrés du ministère de la culture, les Services territoriaux de l'architecture et du patrimoine.
- Je l’ai fait en mobilisant mon ministère sur la question du seuil du recours à l’architecte et la réforme des surfaces de plancher que vous avez évoquée : vous le savez, une mission d'expertise conjointe, confiée aux inspections générales du Ministère de la culture et du Ministère de l'égalité des territoires et du logement, a été chargée d'examiner les questions posées par cette réglementation. Les conclusions de ce rapport m’ont été remises. Elles préconisent l’abaissement du seuil à 150 mètres carrés et le retour à un mode de calcul plus simple.
Ma collègue Cécile Duflot a confirmé dans une interview dans le Moniteur qu’elle y était "a priori favorable". J’ai proposé au Premier Ministre que le décret nécessaire pour la mise en œuvre de ces préconisations soit élaboré sans délai. Parce que, comme vous l’avez souligné, le logement est une priorité du gouvernement et que la réalisation de notre ambition nationale en matière de logement, quelle que soit leur taille, ne peut se faire sans les architectes, les architectes qui sont les acteurs incontournables de la lutte contre la banalisation.
- Je le ferai cette année encore en portant devant le Parlement un projet de loi Patrimoine qui inscrit la qualité architecturale dans un cadre législatif pérenne. Ce projet de loi « rapproche le patrimoine de l’architecture vivante en faisant la promotion d’une architecture de qualité » : ce sont les termes de Catherine Jacquot, la nouvelle présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, qui a bien compris l’avancée décisive que représente ce texte pour la profession.
Avec ce texte qui modernise et simplifie notre droit patrimonial pour une plus grande efficacité, nous nous inscrivons pleinement dans le choc de simplification voulu par le Président de la République et auquel vous venez de rappeler votre attachement et celui de toute la profession.
Avec ce texte, nous pourrons mieux protéger le patrimoine architectural du 20ème siècle qui est le reflet de la pensée du monde d’hier et d’aujourd’hui car, pour le dire comme Paul Claudel, « l’architecte frappe la médaille de son époque ».
Avec ce texte, nous instaurerons le conseil obligatoire des CAUE pour les particuliers dans les communes bénéficiant d’un patrimoine protégé.
Vous savez que la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a lancé une mission d’information sur la création architecturale. Elle pourra confirmer ou nourrir les dispositions du projet de loi patrimoine.
- Je le ferai, enfin, en encourageant la diffusion de la culture architecturale auprès d’un large public. Vous avez dit qu’il vaut mieux faire naître le désir d’architecture que l’imposer, je suis entièrement de votre avis.
C’est pour cela que j’ai à cœur de sensibiliser chacun de nos concitoyens aux démarches qui favorisent la qualité architecturale, le travail de l’architecte, les métiers et les enjeux de l’architecture. Avec l’éducation artistique et culturelle, je veux faire des jeunes citoyens des bâtisseurs de leur futur cadre de vie. La culture architecturale a un rôle essentiel à jouer dans la formation et la construction individuelle des citoyens de demain. Car ainsi que le disait Eupalinos en conclusion du dialogue platonicien imaginé par Paul Valéry, "A force de construire, je crois bien que je me suis construit moi-même."
Ce sont les ambitions de mon ministère pour soutenir une discipline et une profession au cœur de nos enjeux de société.
Ces enjeux, les lauréats que nous distinguons aujourd’hui s’en sont saisis avec virtuosité, exigence et inventivité. Ce qui rapproche les quatre projets lauréats, et me touche tout particulièrement, c’est l’ambition d’une architecture proche des publics, en milieu urbain et rural, qui réalise remarquablement sa dimension culturelle et sociale.
Avec le Louvre-Lens, vous avez créé, chère Kazuyo Sejima, cher Ryue Nishizawa, chère Catherine Mosbach, les conditions idéales pour favoriser la rencontre entre nos concitoyens et les chefs-d’œuvre de notre humanité. La transparence, les jeux de lumière, l’élégance des structures élancées, tout invite à entrer et découvrir les collections qui sont remarquablement mises en valeur dans cet écrin dont la beauté ne s’est pas donné pour ambition de rivaliser avec celle des œuvres.
En mettant vos talents au service de l’accès au logement pour tous, vous avez, cher Armand Nouvet avec votre projet pour le XXème arrondissement de Paris et chère Nasrine Seraji pour Clermont-Ferrand, démontré le rôle essentiel de l’architecture pour une transition écologique économique en moyens et durable et la construction d’une société plus juste. Je le disais à l’instant, l’architecture contribue aussi à lutter contre la banalité. Je le réaffirme avec force, c’est la mixité de vos approches qui crée de la diversité. C’est cela aussi l’exception culturelle que je défends pour nos créateurs en France, y compris les architectes dont les démarches ne sacrifient en rien aux usages et au bien-être des populations.
Quant à vous, cher Boris Bouchet, vous avez imaginé en milieu rural un lieu d’échange et de rencontre, un espace de proximité et de solidarité, pour une architecture de demain, portée par le jeune talent que vous êtes, vecteur de lien social au cœur du développement de nos territoires.
Je me réjouis de ce palmarès qui fait de l’architecture un facteur déterminant du vivre ensemble et d’une société plus juste où la culture se donne en partage. Le Socrate de Valéry n’aurait pas renié ces choix, lui qui admirait chez l’architecte le talent d’obtenir « de ce qui va être qu’il satisfasse avec toute la vigueur de sa nouveauté aux exigences raisonnables de ce qui a été ».
Je vous remercie.