9.Les musées, acteurs de la sauvegarde du PCI
Le rôle que peuvent jouer les institutions patrimoniales, dont les musées, dans la sauvegarde du PCI est décrit au travers de deux articles des Directives opérationnelles de la Convention de 2003.
Premier article
« Art. 109. Les instituts de recherche, centres d’expertise, musées, archives, bibliothèques, centres de documentation et entités analogues jouent un rôle important dans la collecte, la documentation, l’archivage et la conservation des données sur le patrimoine culturel immatériel ainsi que dans l’apport d’informations et la sensibilisation à son importance. Afin de renforcer leur fonction de sensibilisation au patrimoine culturel immatériel, ces entités sont encouragées à :
(a) impliquer les praticiens et les détenteurs du patrimoine culturel immatériel lorsqu’elles organisent des expositions, des conférences, des séminaires, des débats et des formations sur leur patrimoine ;
(b) introduire et développer des démarches participatives pour présenter le patrimoine culturel immatériel comme un patrimoine vivant, en constante évolution ;
(c) mettre l’accent sur la recréation et la transmission continues des savoirs et savoir-faire nécessaires à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, plutôt que sur les objets qui y sont associés ;
(d) utiliser, le cas échéant, les technologies de l’information et de la communication pour faire connaître la signification et la valeur du patrimoine culturel immatériel ;
(e) impliquer les praticiens et les détenteurs dans leur gestion en mettant en place des systèmes participatifs pour le développement local. »
Second article - l’échelon international
« Art. 118. Le Comité [intergouvernemental de sauvegarde du PCI] tient à jour et publie chaque année la Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente, la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité et un Registre de programmes, projets et activités reflétant le mieux les principes et objectifs de la Convention. Pour assurer une meilleure visibilité du patrimoine culturel immatériel et faire prendre davantage conscience de son importance aux niveaux local, national et international, le Comité encourage et soutient la plus large diffusion possible des Listes à travers des moyens formels et non formels, notamment par :
(a) les écoles, dont celles appartenant au Réseau du système des écoles associées de l’UNESCO ;
(b) les centres communautaires, musées, archives, bibliothèques et entités analogues ;
(c) les universités, centres d’expertise et instituts de recherche ;
(d) tous les types de médias, y compris le site Internet de l’UNESCO. »
Lien vers les Directives opérationnelles
Le cadre global de résultats pour la Convention de 2003 intègre d’ailleurs, depuis juin 2018, l’activité des musées dans les critères d’appréciation de la mise en œuvre de la convention :
- Capacités institutionnelles et humaines : « 1.5. Les centres culturels, les centres d’expertise, les instituts de recherche, les musées, les archives, les bibliothèques, etc., contribuent à la sauvegarde et à la gestion du PCI. »
- Engagement des communautés, groupes et individus et d’autres parties prenants : « 22.2. Il existe un environnement propice pour les ONG, et d’autres organisations de la société civile pour assurer le suivi et entreprendre des études scientifiques, techniques et artistiques sur des programmes et des mesures de sauvegarde du PCI. »
- Engagement international : « 25.2. Les réseaux internationaux sont favorisés parmi les communautés, groupes et individus, les ONG, les experts, les centres d’expertise et les instituts de recherche actifs dans le domaine du PCI. »
Lien vers le Cadre global de résultats
La politique du patrimoine immatériel « s'exerce de la posture documentaire à la posture participative, passant de l'inventaire stricto sensu à la construction de dispositifs permettant l'analyse de la caractérisation patrimoniale » (Poulot, 2009).
De fait, la Convention de 2003 envisage la sauvegarde du PCI dans l’acception très large « des mesures visant à assurer la vitalité du patrimoine culturel immatériel, y compris l’identification, la documentation, la recherche, la présentation, la protection, la promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l’éducation formelle et non-formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects du patrimoine » (art. 13).
La contribution à l’Inventaire national du PCI
Au cours de la décennie 1980, deux anthropologues français insistaient déjà sur l'impératif que les objets étudiés (fêtes, pratiques, manifestations ...) ne soient « plus traités comme des survivances de faits anciens qui se seraient abâtardis, mais au contraire comme l'expression contemporaine de représentations conflictuelles des identités (...) et des groupes sociaux qui l'investissent » (Cuisenier et Segalen, 1986 : 87). Au sein des musées, il s’agit moins d’analyser l'objet conservé comme patrimoine, que de le reconnaître comme le signe ou le symbole d’un ou plusieurs groupes sociaux, qui le font exister comme patrimoine à sauvegarder et transmettre. C’est la représentativité des artefacts et des enregistrements (conservés et/ou exposés) par rapport à un ensemble d’acteurs et à certaines manifestations qu’il s’agit d’abord de considérer.
Contribuer à l’Inventaire national du PCI, à partir de la nature et des types d’artefacts conservés, peut être, pour les musées, un mode d’approche des pratiques culturelles immatérielles. « L’élaboration et la mise à jour des inventaires sont un processus continu visant à assurer l’identification en vue de garantir la transmission du PCI » (Convention, art. 1).
L'Inventaire du PCI en France s’adosse, depuis son origine en 2008, à des structures institutionnelles, chargés d’expertise et de validation, afin de discerner, au sein des pratiques vivantes, celles qui relèvent d'une revitalisation artificielle de celles qui, sous des dehors parfois commerciaux ou folklorisants, sont révélatrices de réels espaces d'expression et de production de pratiques anciennes renouvelées. Pôles d’excellente en ethnologie appliquée, les Ethnopôles labellisés par le ministère de la Culture peuvent aider les établissements sur ce point.
La fiche-type en vigueur pour décrire les éléments du PCI en France, et son vade-mecum associé sont accessibles en ligne (ici) et à disposition du réseau des musées, après concertation avec le département Recherche, Valorisation, PCI (DRVPCI) qui pilote la mise en œuvre de la Convention.
Comme l’ont déjà fait le musée du Commerce rural et des Traditions trégoroises (Berhet, 22) pour les jeux nautiques en Bretagne (2012) et le musée de l’Archerie et du Valois (Crépy-en-Valois, 60) pour le tir Beursault et le bouquet provincial (2013), les musées territoriaux (publics ou associatifs) peuvent aussi se porter candidats à l’appel à projets annuel pour l’enrichissement de l’Inventaire du PCI en France (DRVPCI).
Protocole schématique d’inventaire des pratiques culturelles immatérielles
Sur un territoire donné, les principales composantes à observer sont les suivantes :
- détenteurs des savoir-faire et des pratiques ;
- pratiques culturelles et traditions vivantes ;
- localisation géographique et cadre paysager ;
- spécificités éventuelles du bâti ;
- contenants, outils, machines, artefacts ;
- modalités d’apprentissage et de formation (famille, cadres informels, systèmes éducatifs, filières spécialisées…) ;
- modes de valorisation et de sauvegarde, passés, présents et à venir.
La méthode se décompose ensuite en plusieurs étapes :
- définition des composantes à observer ;
- identification des membres de la communauté et sensibilisation à la notion d’inventaire ;
- mise en œuvre de l’enquête : réunions collectives, entretiens, visites, ateliers pratiques ;
- organisation des résultats, recherche de documentation textuelle, photographique et audiovisuelle complémentaire, et rédaction de la fiche ;
- recommandations et perspectives.
La méthode d’observation et d’analyse du PCI prend en compte les acteurs, la conduite et le résultat d’une pratique ou d’une technique, sous trois angles :
- analyse des phénomènes sociaux et culturels (étude de la communauté associée, de ses pratiques sociales, avec une dimension plus anthropologique plus qu’historique, archivistique ou bibliographique) ;
- dialectique des rapports mutuels, appliquée d’abord aux notions de transmission et de sauvegarde ;
- collecte et analyse des processus techniques (description, photographies, films).
L’inscription d’éléments à l’Inventaire national n’entraîne aucune protection juridique spécifique. Il s’agit d’une reconnaissance, marquée par l’attribution de l’emblème « Patrimoine culturel immatériel en France », d’une visibilité donnée à certaines pratiques culturelles par la mise en ligne d’une étude détaillée spécifique et d’une réflexion sur leurs modalités de transmission et de sauvegarde à un moment donné, débouchant parfois sur la prise de conscience de la viabilité de ce phénomène culturel.
La documentation des acteurs du PCI à l’échelle d’un territoire
Les actions de médiation proposées par les musées contribuent aussi à la sauvegarde du PCI si elles stimulent « l'intérêt général du public et celui, spécifique, des communautés pour un travail et ses représentations, pour des savoir-faire et des pratiques, des habitudes » (Poulot, 2009). Elles légitiment en outre la conservation et la mise en valeur du patrimoine, en tout ou partie immatériel, par l’établissement.
Ces dispositifs de médiation donnent volontiers la parole, soit aux détenteurs même de pratiques vivantes (enquête 2018), qui donnent une lecture parfois personnelle des constructions de l'identité et des traditions, soit aux représentants d’entreprises locales historiques, détentrices de savoir-faire, afin de promouvoir des techniques devenues rares.
Ce peut être l’occasion de procéder, auprès de ces porteurs de PCI, à la collecte d’entretiens oraux, à l’enregistrement de récits de vie, utiles en l’absence de traces écrites, sur l’organisation sociale ou les métiers associés à des savoir-faire en situation de fragilité économique. Ces questionnements, souvent doublés d’une collecte de témoignages audiovisuels, d’objets et de documents, peuvent être conduits soit directement par l’équipe du musée (parfois avec l’aide de prestataires), soit en lien avec des unités de recherche spécialisées, situées sur le territoire. Ils peuvent aussi appeler à recourir à des méthodes participatives. Les petites structures et les musées associatifs, par manque de moyens, sont souvent conduits à déléguer au milieu associatif la réalisation de ces enquêtes.
Quelle que soit la modalité de mise en œuvre retenue, il y aurait intérêt, dans la préparation de ces entretiens, à s’inspirer des questionnements thématiques de la fiche-type d’inventaire du PCI, mentionnée supra.
Cette approche permet de décliner les points de vue, d’en objectiver les logiques et surtout de partager « ce qui fait patrimoine immatériel » sur un territoire aujourd’hui. Elle rend également compte des représentations mentales produites par la société et révèlent les processus d’élaboration et d’expression des sentiments d’appartenance des individus à des communautés particulières.
Donner la parole aux représentants des communautés du PCI met aussi en lumière les problématiques économiques, sociales et culturelles qui rassemblent ou opposent les individus au sein d’une société donnée. Ce chantier, à la fois scientifique et technique, fondé sur une démarche de type ethnologique, peut ensuite faire l’objet de restitutions au public (illustrations d’un parcours d’exposition, conférences/projections, avec débats).
Au gré des compétences et des savoirs représentés par ces détenteurs, de nouvelles thématiques peuvent être de la sorte abordées au sein du musée, puis problématisées, mises en perspective, avant d’être patrimonialisées : moyen légitime de refléter la société qui vit et travaille sur un territoire et construit des manières de faire originales et spécifiques.
L'intérêt des musées d'objets est donc de s’ouvrir à ces multiples discours de la mémoire et rapports aux pratiques immatérielles.