M. le Président François Hollande,

Messieurs les Premiers ministres, cher Alain Juppé, cher Lionel Jospin,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Madame la Directrice générale de l’UNESCO, chère Audrey Azoulay,

Mesdames et messieurs les ambassadeurs,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et messieurs les présidentes et présidents,

Madame la présidente de la société des amis du musée du quai Branly, chère Françoise De Panafieu,

Chère Claude Chirac,

Cher Jean Nouvel,

Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

 

« Iront-ils au Louvre ? »

Il y a presque cent ans (1920), Félix Fénéon, l’anarchiste devenu critique d’art, lançait cet appel sous forme de question : en faveur de ces arts qu’il appelait « lointains ».

Un appel afin que fût affirmée l’égale dignité des productions du génie humain, d’où qu’il vienne.

Un appel qui sonnait, à l’époque, comme une provocation.

Un appel qui finit, cependant, par être entendu : en 2000, lorsque le « Pavillon des Sessions » du Louvre ouvrait ses portes aux arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques.

Cet événement considérable était le prélude à la création d’un nouveau musée. Ou plutôt devrais-je dire d’un musée d’un genre nouveau : le musée du quai Branly.

« Les chefs d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux en droit », déclarait Jacques Kerchache.

Dans cette révolution de la perception, vous avez, Stéphane Martin, joué un rôle décisif.

Ces arts, tour à tour désignés comme « primitifs », « lointains », « primordiaux » ou « premiers », vous nous les avez fait connaître pour ce qu’ils sont : de l’art, tout simplement.

Avec quelques autres, vous avez ainsi contribué à changer notre conception de l’universel : vous l’avez élargie. Vous l’avez enrichie. De cela nous vous serons toujours reconnaissants.

Depuis sa création en 2006, le musée du quai Branly a accueilli près de 18 millions de visiteurs. La réussite de cette jeune institution voulue par Jacques Chirac, c’est à vous que nous la devons.

Nous la devons à votre passion, et à votre rigueur. Peu de gens allient, comme vous, à ce point, l’esprit de finesse et celui de géométrie. Vous êtes à la fois un grand visionnaire, et un formidable homme d’action. Soit exactement ce qui est nécessaire pour être un grand président de musée.

Issu d’un des grands corps de l’Etat – la Cour des comptes – vous avez consacré toute votre carrière à la culture : au Centre Pompidou, à Radio France et directement « en centrale », où vous avez exercé les plus hautes fonctions, notamment celle de directeur de cabinet du ministre.

A chaque fois, vous faites preuve d’une impressionnante capacité de travail, d’une infaillible rigueur et d’une remarquable capacité à piloter des projets.

Dans les années 1990, c’est aux côtés de trois Jacques que vous vous engagez dans l’aventure qui mènera à l’ouverture du musée du quai Branly.

Trois Jacques : Chirac, Kerchache, et Friedmann. Ils vous offriront la grande cause de votre vie : le dialogue entre toutes les cultures du monde.

Ces trois Jacques, vous leur devez beaucoup. En particulier, naturellement, au « grand » Jacques. Jacques Chirac, pour lequel, chère Claude, nous avons une pensée particulière ce soir. Je voudrais rappeler les mots qu’il a prononcés lors de l’inauguration de « son » musée, celui qui porte aujourd’hui son nom. C’était le 20 juin 2006 :

« Aucun peuple, aucune nation, aucune civilisation n’épuise ni ne résume le génie humain. Chaque culture l’enrichit de sa part de beauté et de vérité, et c’est seulement dans leurs expressions toujours renouvelées que s’entrevoit l’universel qui nous rassemble ».

Ce sont des mots magnifiques. Des mots dont nous avons aujourd’hui plus que jamais besoin. A l’heure des replis identitaires, à l’heure où les sociétés, partout dans le monde, et en France également, se fracturent. Face aux communautarismes de toutes natures, nous devons porter fièrement l’étendard de la fraternité. Fraternité qui repose sur la conviction de l’égale dignité de tous les hommes et de toutes les cultures.

Ce message de Jacques Chirac, cher Stéphane, le musée que vous avez dirigé lui a donné une réalité, une réalité profondément originale.

Il faut dire un mot d’abord de l’audacieux bâtiment conçu par Jean Nouvel, dans lequel le projet s’incarne. Construit sur pilotis, il se fond progressivement, à mesure que passent les années, dans son écrin de verdure. A l’image des collections qu’il renferme, qui peu à peu s’enracinent en nous, abolissant les distances et le temps qui nous en séparaient. C’est un havre perché qui se détache des constructions environnantes et guide les visiteurs dans leur expérience de découverte.

Dans ce site exceptionnel, vous avez conçu, cher Stéphane, une véritable cité culturelle. En plus de ses collections permanentes, le musée accueille une riche programmation d’expositions et de manifestations au théâtre Lévi-Strauss. Il est aussi un lieu d’enseignement et de recherche, dimension à laquelle vous êtes particulièrement attaché.

Je voudrais souligner l’extraordinaire diversité de la politique d’expositions temporaires du musée.  Diversité de sujets, d’approches, d’époques. Il peut y être question :

  • De trésors archéologiques comme de création contemporaine, et notamment de photographie pour laquelle le musée du quai Branly est devenu une référence internationale ;
  • De la culture des Kanaks ou des Dogons comme de phénomènes universels comme le tatouage ou l’art de la coiffure.

Vous êtes personnellement très investi dans cette politique d’expositions, au point d’avoir réalisé vous-même l’une d’entre elles : celle que le musée a consacré à l’art des paniers japonais, « Fendre l’air ». Il faut vous entendre parler du Japon pour comprendre ce que le mot « passion » veut dire !

La politique d’enrichissement des collections que vous avez menée est également unique. Elle est poursuivie aujourd’hui par Yves Le Fur, le directeur du patrimoine et des collections du musée, dont le rôle est essentiel. Car vous savez, cher Stéphane, vous entourer des meilleurs.

L’enrichissement des collections témoigne également de l’énergie avec laquelle vous mobilisez les grands donateurs et les mécènes, autour du projet du musée. Sans ces mécènes, ce musée ne serait pas ce qu’il est. Nous savons le rôle qu’a joué dans ce domaine Martine Aublet et je salue Bruno Roger qui perpétue son engagement dans le cadre de sa fondation. Je tiens également à souligner la formidable action de Françoise de Panafieu à la tête de la société des Amis du quai Branly.

La dernière donation en date pour le musée du quai Branly, que j’ai eu le plaisir de signer avec vous et Marc Ladreit de Lacharrière, que je salue, va contribuer à renforcer encore ses collections.

Vous avez également porté une politique ambitieuse en matière d’enseignement et de recherche, dont Claude Lévi-Strauss, évidemment, est l’une des figures tutélaires. La spécificité du musée du quai Branly est d’être placé sous la double tutelle du ministère de la Culture et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Avec Frédérique Vidal, qui n’a pu être parmi nous ce soir, nous travaillons main dans la main pour vous accompagner. Vous accueillez de nombreux jeunes chercheurs qui y trouvent des ressources de référence en matière d’anthropologie notamment. Leurs travaux sont essentiels pour approfondir nos connaissances de cultures encore trop peu étudiées.

Permettez-moi enfin de souligner l’importance de la politique internationale que vous avez menée.

Ouvert au monde, curieux de tout, vous êtes un diplomate culturel hors pair qui avez parcouru inlassablement le monde pour nouer des liens avec les meilleures collections dans les domaines de spécialité du musée.

C’est ainsi que l’on vous doit d’avoir organisé en Chine la toute première exposition d’art africain jamais présentée dans ce pays, d’avoir porté au Bénin, d’où je reviens, une exposition pionnière sur Béhanzin, et tant d’autres aux Etats-Unis comme celle consacrée aux Indiens des plaines.

Grâce à vous, le musée du quai Branly est non seulement devenu un musée national incontournable, complétant l’arc de la Seine que ponctuent le Musée du Louvre ou le Musée d’Orsay, mais aussi une institution internationale de tout premier rang.

Ce succès n’aurait pas été possible sans les équipes dont vous avez su vous entourer tout au long de ces années. Je veux mentionner aussi vos directeurs généraux délégués successifs : Pierre Hanotaux, Karim Mouttalib et Jérôme Bastianelli.

Mais c’est en réalité tous ceux qui travaillent ou ont travaillé ici qu’il faudrait citer. Tous ont pu faire l’expérience de votre attention aux autres. Sans doute avez-vous votre caractère… Mais ce qu’il peut avoir d’un peu entier est tempéré par votre humanité, et votre légendaire sens de l’humour.

Après votre départ, je suis heureux de confier la présidence par intérim de l’établissement à Jérôme Bastianelli, qui travaille à vos côtés depuis près de 10 ans. Je le remercie d’avoir accepté.  

Cher Stéphane Martin,

A l’heure où vous quittez vos fonctions ici, nous avons une responsabilité envers cette institution : celle de rester fidèles aux valeurs qui ont présidé à sa naissance. Aux valeurs de partage et de dialogues entre les cultures que vous avez défendues, aux côtés de Jacques Chirac. Vous pouvez compter sur moi.

Dans son « Enquête sur des arts lointains », Fénéon – toujours lui – faisait cette prophétie : quand le musée du Louvre recevra l’art lointain, « il y trouvera non son complément, mais son principe ». Ce principe, grâce à vous, nous l’avons trouvé, Stéphane Martin. Grâce à votre engagement sans failles. Je sais que, où que vous soyez, vous continuerez à le porter, cet engagement pour une certaine idée de la culture : vaste curieuse, universelle. Comme la France que nous aimons. Merci Stéphane.