Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la commission des Lois,
Monsieur le Rapporteur de la commission des Affaires culturelles et de l’Education,
Madame la Rapporteure de la commission des Lois,
Monsieur le Rapporteur de la commission des Affaires européennes,
Mesdames et messieurs les Députés,

Nous sommes toutes et tous liés, dans cet hémicycle, par-delà les appartenances partisanes et les convictions, nous sommes toutes et tous liés par un héritage, qui est notre bien commun, la raison de notre présence ici, et notre responsabilité partagée : la démocratie.

Elle est en risque aujourd’hui, attaquée par des prédateurs qui prennent ses apparences pour l’attaquer de l’intérieur.

Ils répandent des mensonges et des théories complotistes en imitant les codes de l’information professionnelle, en s’appuyant sur des médias entrés dans le quotidien de nos démocraties : Facebook, Twitter, Google…

Ces tentatives de camouflage, de banalisation ne doivent pas nous tromper.

Les informations falsifiées, déformées, orchestrées à des fins politiques n’ont rien à voir avec le débat d’idées.

Elles le polluent, elles lui nuisent.

J’aimerais placer notre débat sous l’intelligence de la philosophe Hannah Arendt, qui écrivait ceci : « La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie, et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l'objet du débat ».

J’appelle à la responsabilité ceux qui dénoncent dans ces propositions de loi un risque, une censure, une atteinte aux libertés fondamentales.

La manipulation de l’information n’est pas qu’une menace. Elle est bel et bien active. C’est un poison lent qui détruit notre crédibilité. Qui abîme notre vie démocratique.

Je le dis avec force : l’attitude liberticide, face aux dangers actuels, c’est la passivité.

Le Gouvernement est donc en plein soutien des propositions de loi discutées aujourd’hui.

Nous considérons qu’elles sont nécessaires, à la hauteur de l’enjeu, équilibrées et efficaces.

Nécessaires car le droit français doit être complété. La révolution numérique a changé la donne. Les fausses informations sont aujourd’hui relayées plus largement, plus rapidement. Les lois existantes sont insuffisantes pour lutter efficacement contre ces nouveaux modes de propagation.

Ce texte est à la hauteur de l’enjeu, par ailleurs, parce qu’il vient du cœur de la démocratie : il vient du Parlement.

Je veux remercier les députés de la majorité qui ont pris l’initiative de ces propositions de loi, ainsi que les deux rapporteurs – Naïma Moutchou, Bruno Studer – pour leur travail et pour leur esprit de responsabilité.

Je veux saluer la qualité des travaux en commissions, qui ont permis d’enrichir le texte et d’en améliorer la rédaction.

Le texte proposé aujourd’hui est équilibré. Il complète l’arsenal juridique français tout en prévoyant les gardes fous nécessaires à la protection des libertés.

La ligne de crête était étroite. Ce texte l’a trouvée.

Je salue la décision de saisir le Conseil d’Etat, marque de sagesse, et gage de respect des droits et libertés.

Des amendements reprennent plusieurs de ses recommandations.

En soutenant ce texte, le gouvernement s’inscrit dans la pleine ligne de son engagement pour la défense active de la démocratie.

Je tiens à rappeler mon combat déterminé pour garantir l’existence d’une presse et d’un audiovisuel forts, indépendants, pluralistes.

Je rappelle ainsi que nous avons sanctuarisé les aides à la presse, pour la pérennité de journaux qui nous consacrent des unes sans complaisance – je peux en témoigner !

Je rappelle que nous avons lancé la transformation de l’audiovisuel public pour lui permettre de continuer à exercer sa liberté de ton, à mener ses investigations.

Je rappelle que nous entretenons un dialogue continu avec l’audiovisuel privé, visible récemment autour des enjeux de reprise des signaux des chaînes gratuites par les box, ou encore pour la lutte contre le piratage.

Le premier rempart contre les manipulations de l’information, ce sont les journalistes, les professionnels des médias.  Et nous les soutenons.

Je salue « le UN » qui consacrait son « poster » central aux fake news en janvier dernier.

Je salue Elise Lucet pour ses enquêtes.

Je salue François Morel, Alex Vizorek et Charline Vanhoenacker pour leurs chroniques acides.

Ils sont le pouls de la liberté de la presse dans notre pays.

Ils sont aussi le signe que mon ministère tient ses promesses remplit sa mission.

Enfin, c’est un texte efficace que nous soutenons, efficace parce qu’il ne cherche pas à cibler la « production » des fausses informations – ce serait vain – mais leur « propagation », ce qui est le nerf de la guerre.

Il ne cible pas les auteurs des contenus, très souvent anonymes d’ailleurs, mais ceux qui les diffusent et qui en tirent profit : c’est-à-dire principalement les plateformes numériques.

Elles ne jouent pas pleinement le jeu de la démocratie aujourd’hui.

Leur modèle contribue à une gigantesque économie de la manipulation.

Elles vendent des « likes » et des « followers » à tous, même aux émetteurs de fausses informations. Pour 40 euros, je peux acheter 5.000 abonnés sur Twitter.

Elles leur vendent de la visibilité sur les fils d’actualité, elles leur vendent des mécanismes de « push ». Facebook a tiré 98% de son chiffre d’affaires de revenus publicitaires l’an dernier, soit 40 milliards de dollars.

Nous ne pouvons pas laisser des entreprises faire des profits en sacrifiant la liberté de s’informer de nos concitoyens, en sacrifiant votre engagement politique, en sacrifiant la filière de la presse que nous soutenons.

Les plateformes suspendent nos démocraties à la loi du marché. Elles livrent les opinions publiques à des vendeurs de sensation. L’outrance, les mensonges éhontés, la surenchère, la manipulation sont des produits lucratifs.

Sans régulation, les plateformes seront complices des marchands de doute qui cherchent à fissurer notre pays, à diviser pour mieux régner.

A transformer notre société de la confiance en une société de la suspicion.

Nous avons une responsabilité partagée : préserver cette confiance.

C’est le cœur de la démocratie.

Et c’est le cœur de ces propositions de loi, qui en renforcent trois grands piliers :

  • La transparence;
  • La responsabilité;
  • Et la protection.

La transparence d’abord.

C’est la première condition de la confiance.

La plupart des plateformes sont mauvaises élèves vis-à-vis de leurs utilisateurs : dans la gestion de leurs données personnelles, ce n’est plus à démontrer ; mais c’est aussi vrai de la gestion des contenus qui leur sont proposés.

Il est souvent difficile pour un utilisateur d’identifier si un contenu est « sponsorisé », c’est-à-dire si une entreprise, un groupe de pression ou encore un Etat étranger a payé pour qu’il se retrouve en « tête d’affiche ».

Certaines plateformes ont annoncé récemment qu’elles allaient prendre des initiatives vertueuses. C’est encourageant mais ce n’est pas suffisant

La transparence doit devenir obligatoire aux moments charnières que sont les périodes électorales.

Et cette obligation doit être triple : les plateformes doivent non seulement indiquer « si » quelqu’un a payé, mais aussi « qui », et « combien ».

C’est l’objet de l’article 1er du texte, dont la rédaction a été améliorée par le travail en commission.

Le deuxième pilier de la confiance, c’est la responsabilité.

En démocratie, elle est le pendant naturel de la liberté.

Les journalistes, les éditeurs de presse, les radios, les chaînes de télévision sont responsables des contenus qu’ils diffusent.

Seules les plateformes numériques échappent aux règles aujourd’hui. Elles s’autorégulent. Elles sont les seules arbitres du vrai et du faux. Ce n’est pas acceptable.

Les propositions de loi proposent de réparer cette anomalie en créant un devoir de coopération, dont les contours ont été précisés par les travaux en commission :

  • Les plateformes devront obligatoirement créer un dispositif de signalement des contenus pour l’utilisateur ;
  • Le texte propose par ailleurs une liste indicative de mesures que les plateformes peuvent prendre, pour remplir leur devoir de coopération ;
  • Ces mesures devront être rendues publiques ;
  • Enfin, le texte confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel le soin d’évaluer l’effectivité de ces engagements.

Le Gouvernement est en plein soutien de ces mesures.

Les amedements que nous avons déposés en séance publique sur ce point sont purement rédactionnels : ils visent à créer un titre spécifique sur le devoir de coopération et à réagencer les différentes propositions pour une meilleure lisibilité.

Le texte entre en pleine cohérence avec le mouvement de responsabilisation des plateformes plus large que la France est en train de conduire au niveau national et européen.

C’est notamment le sens du travail que je mène pour obliger les plateformes à rémunérer les éditeurs de presse, avec la création d’un droit voisin à l’échelle européenne, ou encore de la directive « Services des médias audiovisuels ».

Enfin, troisième pilier d’une société de la confiance : la protection.

Elle est aussi au cœur de ces propositions de loi.

Le texte propose de renforcer la protection des citoyens de deux façons :

  • En période électorale, d’une part, en confiant aux autorités indépendantes compétentes les moyens nécessaires pour agir en cas de menace sur la sincérité du scrutin ;
  • Et en continu, d’autre part, en renforçant l’une des protections les plus efficaces contre les fausses informations : l’éducation.

Donner les moyens d’agir aux autorités indépendantes qui veillent sur la sécurité des publics, d’abord.

S’agissant des plateformes, c’est le juge judiciaire.

En période électorale, aujourd’hui, il n’a pas des moyens d’action suffisamment efficaces contre les fausses informations. Il faut des semaines voire des mois aux procédures pour aboutir : quand un contenu est signalé, il a donc le temps de faire de nombreux dégâts avant qu’une mesure ne soit prise.

La création d’une procédure spéciale de référé est nécessaire en période électorale, pour demander aux plateformes le retrait ou le blocage de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, avec tous les garde-fous qui s’imposent.

Le texte les prévoit.

Des conditions cumulatives très précises encadrent l’intervention du juge : l’information devra être manifestement fausse et de nature à altérer la sincérité du scrutin, diffusée de manière massive ; et diffusée de manière artificielle, « ou automatisée », comme votre commission l’a ajouté.

Ce critère d’artificialité est déterminant : c’est ce qui différencie d’une part les fausses informations diffusées par inadvertance, les caricatures, les satires, qui ne seront évidemment pas visées par le texte ; et les campagnes de désinformation orchestrées sur internet d’autre part.

A cet égard, je sais que la définition de la « fausse information » ajoutée au texte par votre Commission des lois, a fait naître un certain nombre d’inquiétudes, notamment parmi les journalistes, en particulier la notion de « vraisemblance ». Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du texte, afin que ces inquiétudes puissent être prises en compte.

En aucun cas, les articles de presse professionnels ne seraient concernés. Je pense à un exemple régulièrement cité : l’article de Médiapart sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ; il s’agit d’un travail d’enquête journalistique, et non d’une manipulation orchestrée. L’article n’avait par ailleurs pas fait l’objet d’une diffusion artificielle. Si la loi avait été en place, il n’aurait aucunement été concerné.

Ces critères cumulatifs préviennent les risques de dérive qui sont pointés du doigt dans le débat sur le texte.

On ne peut défendre la démocratie que par la démocratie.

S’agissant des médias audiovisuels, l’autorité qui veille sur la protection des publics est le CSA.

J’ai mis l’accent sur les plateformes jusqu’ici. Mais des chaînes de télévision pilotées par des Etats étrangers orchestrent aussi des stratégies d’influence, des campagnes de désinformations, et tentent de s’ingérer dans nos affaires intérieures.

Le CSA est insuffisamment armé pour y répondre.

C’est un enjeu de souveraineté pour notre pays.

Nous soutenons donc la proposition du texte qui vise à renforcer les pouvoirs du CSA à l’égard des chaînes non hertziennes contrôlées par un Etat étranger.

Là encore, les conditions de suspension seront très encadrées : elles ne s’appliqueront qu’en période électorale ; et il s’agira de démontrer d’une part, l’existence d’une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation – qui incluent, comme il me semble utile de le préciser dans le texte, le fonctionnement régulier de nos institutions ; d’autre part, la diffusion délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin.

Enfin, deuxième grand levier de protection : l’éducation.

Grâce aux amendements déposés par Bruno Studer, que je salue, le texte s’est enrichi d’une dimension absolument fondamentale.

  • Un nouveau titre est consacré à l’éducation aux médias ;
  • Un amendement prévoit d’en faire dans le code de l’éducation une obligation à chaque niveau de la scolarité ;
  • Un autre amendement prévoit d’étendre la mission d’éducation à l’information aux chaînes privées ;

Aujourd’hui seul l’audiovisuel public a une obligation en la matière. Il est pionnier. Les sociétés ont dévoilé hier la toute nouvelle plateforme commune de lutte contre les fausses informations, que je leur ai demandé de développer.

Elle a été mise en ligne sur le site de France Info, et irriguera aussi les réseaux sociaux.

Elle s’intitule « vrai ou fake » et rassemble aussi bien des contenus de décryptage proposés par les différentes chaînes de l’audiovisuel public que des modules d’éducation aux médias.

C’était un projet nécessaire. Mais l’audiovisuel public n’a pas vocation à agir seul.

Le Gouvernement soutient pleinement ces deux propositions.

Je l’ai dit, je le répète : l’éducation est la mère des batailles.

J’en ai fait une priorité de mon ministère.

J’ai mobilisé les sociétés de l’audiovisuel public.

J’ai doublé le budget pour l’éducation à l’information et aux médias, qui passe de 3 à 6 millions d’euros cette année.

J’ai lancé un vaste programme dans lequel les services civiques vont accompagner les bibliothèques dans la formation du grand public au décryptage des fausses informations.

Ils se déploieront à partir du mois de septembre.

Par ailleurs, je vais renforcer les associations de journalistes professionnels afin de leur permettre de déployer leurs actions d’éducation aux médias, notamment auprès des jeunes.

Ils sont nombreux à se mobiliser : je veux leur rendre un hommage appuyé.

Nous ferons en sorte que l’éducation à l’information devienne, comme l’éducation civique, un véritable « passage obligé » de la scolarité pour tous les enfants. 

Mesdames et messieurs les Députés,

Les débats nourris qui entourent ce texte témoignent de la santé de notre vie démocratique. C’est précisément pour la préserver que ces dispositions doivent être votées.

La prudence est de mise, quand nous touchons à de tels enjeux.

Mais elle ne peut pas être le prétexte de l’attentisme.

Tout démontre que c’est d’une « main tremblante » – pour reprendre la préconisation de l’un des grands penseurs de la démocratie – que ce texte a été constitué : les garde-fous imaginés, les critères précis qui accompagnent chaque disposition, l’intensité du travail en commission.

Tout démontre qu’il a été abordé avec toute la sagesse, la mesure, le recul et les précautions qui s’imposent.

Ce texte est à la hauteur de notre démocratie.

J’appelle donc chacun à prendre les dispositions qui s'imposent, par-delà les clivages, pour protéger le modèle qui nous unit.