Bonjour à tous,

De nombreux préjugés traversent notre société – ils ne manquent pas : sur le genre masculin, sur une couleur de peau, une religion, une origine sociale, une orientation sexuelle…

Les préjugés et les discriminations ne se balayent pas d’un revers de main ; ils ne sont peut-être jamais aussi forts que quand on ne les voit plus, quand on pense les avoir vaincus.

Je partage avec vous cette mise en garde de Charles Peguy que je fais mienne et que j’essaie de garder, toujours, dans un coin de ma tête : « Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite ».

Ces pensées toutes faites, ces paresses intellectuelles, ces postures de confort, combattons-les : c’est notre responsabilité individuelle.

Combattons ce qui nourrit ces pensées toutes faites : c’est notre responsabilité collective. Combattons les préjugés, combattons les stéréotypes, combattons les discriminations, les injustices, les violences – morales, verbales, physiques.

Aucun pan de notre société n’est épargné.

Ce sont des violences domestiques, ce sont des violences publiques, ce sont des violences numériques, ce sont des violences professionnelles. Personne n’est épargné, personne n’est à l’abri. Et le monde de la culture ne fait pas exception.

Et pourtant, oui pourtant, on a envie d’imaginer que la culture échappe à ce qu’on dénonce comme étant vile, bas, écœurant, banal. Car ce monde de la culture que nous aimons en partage, ici à Cannes, à Avignon, à Hollywood, à Venise, à Bayreuth, à Bastille, ce monde nous l’avons idéalisé. Dangereusement placé sur un piédestal. Ce monde idéalisé de la culture nous l’attendions aux avant-postes de l’éveil des consciences, à l’avant-garde des combats de société.

Alors, scandale, stupeur, révolte. Mais le terrible, est-ce la révélation d’une affaire, la dénonciation d’un porc ? Non, le plus terrible c’est l’autre révélation. Le « tout le monde savait », la description d’une omerta, d’un monde idéalisé qui n’échappe pas à la loi des petits milieux, des comportements vils où chacun tient l’autre, coopte l’autre, intimide l’autre.

Alors aujourd’hui, je rends hommage à toutes les femmes et à tous les hommes qui ont brisé le silence. Toutes celles et ceux qui ont parlé. Toutes celles et ceux qui, prenant la parole, l’ont offerte à d’autres.

Toutes celles et ceux qui chassent la violence y compris dans ce qu’elle aurait de banal, de « moins » grave. Oui, celles et ceux qui refusent l’inégalité salariale qui n’est pas du harcèlement mais qui est une discrimination. Celles et ceux qui refusent l’inégalité professionnelle qui n’est pas un viol mais qui est une régression. Celles et ceux qui refusent l’inégalité face aux palmarès et aux honneurs qui n’est pas une gifle mais qui est un déni de talent.

Je salue le courage de celles et ceux qui, au-delà de la dénonciation, au-delà des mots, s’engagent pour que cesse le scandale.

Nous avons une responsabilité, une responsabilité partagée : c’est l’intransigeance.

Le plus dur reste à faire. La révolution n’a pas encore eu lieu. Une vague s’est levée je crains l’accalmie, l’oubli. Battre le fer tant qu’il est encore chand. Faisons de Weinstein une opportunité pour le cinéma, la chance de devenir avant-gardiste, précurseur, la chance d’être révolutionnaire.

Une révolution, c’est irréversible.

Cette révolution reste à faire, dans l’ensemble de la société.

Le cinéma doit réussir la sienne.

Je considère qu’il a une responsabilité particulière, parce que c’est là que la détonation a éclaté mais aussi parce qu’il véhicule des images qui résonnent avec la société.

Chacun de nous, chacun de vous a un rôle à jouer.

Chacun à sa part de responsabilité à prendre.

Mon ministère assume la sienne.

J’ai décidé d’agir. D’actionner tous les leviers qui sont à ma portée. Sans attendre.

Agir contre des réalités qui sont indignes de notre modèle culturel. De notre modèle de société.

Je vais organiser des « Assises de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma », avec les représentants du secteur, et prendre des engagements concrets.

Ces Assises auront lieu à Paris à la fin du mois de juin, sur deux jours et demi.

Plusieurs personnalités ont d’ores et déjà accepté de participer et d’animer des table-rondes, je veux les remercier.

La liste va s’allonger. Rejoignez-nous. Engagez-vous. Aidez-nous. Ensemble, incarnons la mobilisation du cinéma français.

Ces Assises doivent nous permettre de discuter des mesures concrètes à prendre autour de six axes majeurs : la formation ; l’égalité salariale ; la prévention du harcèlement ; l’accès aux postes de direction ; la lutte contre les stéréotypes ; et la promotion de la parité par la régulation.

L’objectif est de parvenir à une « Charte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma » signée par les professionnels.

L’adhésion à cette Charte et aux engagements qu’elle définira sera une condition d’attribution des aides du CNC.

En parallèle, je souhaite qu’un système de « bonus » soit mis en place pour soutenir les films dont les équipes sont exemplaires en matière de parité.

Enfin, je vais créer un fonds de dotation en France pour soutenir de jeunes réalisatrices du monde entier.

Combien de témoignages de productrices, de réalisatrices qui illustrent l’absurde vérité statistique : en France, le budget moyen d’un film réalisé par une femme s’élève à 2,6 millions d’euros contre 6,5 millions pour le film d’un homme. Un écart de 60%. Une honte pour les financeurs privés. Une honte pour les institutions publiques.

Ce fonds de dotation, qui réunira le concours de l’Etat et de mécènes privés, accompagnera des réalisatrices dans le développement et la production de leurs films.

Tels sont les engagements que je prends.

Pour autant, mon ministère ne fera pas la révolution tout seul. Modestie et lucidité obligent.

Votre engagement, l’engagement de la filière est indispensable.

Les festivals comme Cannes ont un rôle clé à jouer.

Les femmes sont moins primées, aujourd’hui, ce qui affecte par ricochet leur visibilité et leurs chances de succès. Mais on ne sait pas précisément combien de dossiers elles déposent.

Les festivals ont un devoir d’exemplarité dans la composition de leurs jurys.

Ils ont aussi un effort de transparence à faire sur les processus de sélections.

Il y a sans doute un effet mécanique : sachant que les femmes sont sous-représentées dans un certain nombre de métiers, elles sont moins sélectionnées – je rappelle qu’en France, un film sur cinq seulement est réalisé par une femme.

Mais on manque de données sur les sélections.

Le festival de Cannes s’engage, aujourd’hui, à travers la signature d’une « Charte des festivals internationaux de cinéma ». Une charte qui doit vivre et récolter d’autres signatures. Une charte qui engage ses signataires à la transparence sur les dossiers déposés et sur les mécanismes de sélection.

Les festivals signataires s’engagent aussi à parvenir à la parfaite parité dans leurs instances dirigeantes d’ici la fin de leur mandat.

Je veux vraiment saluer très, très chaleureusement cette initiative.

J’appelle enfin chacune et chacun de vous à prendre sa part dans la révolution qui est devant nous.

Ce combat pour l’égalité et la diversité nous appartient.

En faisant preuve d’intransigeance.

En combattant les stéréotypes de toute nature, les mots, les gestes, les préjugés qui ne sont pas dignes du cinéma français.

En contribuant au renouvellement des talents. En donnant une chance à celles et ceux qui n’ont pas un profil conventionnel.

En suscitant des vocations, aussi, là où elles restent timides, là où elles ne s’assument pas.

En accompagnant des jeunes qui sont éloignés des milieux du cinéma, qui n’osent pas.

En intervenant dans des écoles, des centres, des associations, pour pousser des jeunes à tenter l’aventure.

Leur dire que c’est pour elles, pour eux. Aussi pour eux. Pour celles et ceux qui apporteront quelque chose de différent.

Pour celles et ceux qui nourriront la diversité des esthétiques, des regards, des propos qui font la richesse du cinéma français.

 

Chers amis,

Ne commettons pas l’erreur de croire que l’essentiel a été fait. Le plus difficile, le plus décisif est devant nous :

Traduire en actes ce qui a germé dans les consciences, d’une part : faire advenir la révolution pour de bon.

Et d’autre part, éviter le contrecoup, lutter contre le risque de réversibilité : résister aux pressions réactionnaires qui ne tarderont pas à se faire entendre ; combattre la tentation du retour en arrière.

Ne rien céder.

Agir à chaque instant. Pour changer la donne.

Merci pour votre engagement.