Mesdames les directrices, Messieurs les directeurs,

Chers amis,

 

Je suis très heureuse de vous recevoir ce soir.

C’est la première fois que nous nous retrouvons ainsi.

Et c’est la première fois, aussi, que vous êtes toutes et tous réunis de cette façon, au ministère : centres dramatiques nationaux, centres chorégraphiques nationaux, centres nationaux de création musicale.

Nous y tenions.

Nous tenions à pouvoir célébrer, à travers les 70 ans de la décentralisation dramatique, les 70 ans d’une certaine politique culturelle. Car vous vous inscrivez tous dans un long et ambitieux mouvement.

Un mouvement qui prit racines il y a plus de 70 ans même, dès l’entre-deux guerres, grâce à des pionniers comme Léon CHANCEREL, avec sa compagnie de « Comédiens routiers » ; ou aux initiatives du Front populaire. Un mouvement qui prit réellement corps au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, grâce à l’engagement exceptionnel de Jeanne LAURENT et de Jean VILAR. Un mouvement qui s’est prolongé, ensuite, vers toute la France ; et du théâtre vers la danse, puis la musique. Des metteurs en scène vers les chorégraphes, des chorégraphes vers les compositeurs.

Voilà donc 70 ans, au moins, que le mouvement est engagé. Nous sommes les dépositaires de cet héritage, immense héritage.

Si j’ai souhaité vous réunir, ce soir, c’est d’abord pour le célébrer, et pour célébrer le travail que vous accomplissez, jour après jour : pour le faire vivre, pour lui faire honneur.

Je voudrais aussi saisir cette occasion pour partager avec vous une question : quel avenir voulons-nous lui donner ?

Je voudrais simplement, ce soir, commencer à répondre à cette question, poser quelques jalons. Et pour décider où l’on va, je crois d’abord qu’il faut partir de ce qui est.

Au cours des 70 dernières années, ce qui a émergé – au-delà des lieux, des créations – c’est un service public de la culture : exceptionnel, comme il n’en existe nulle part ailleurs. Un service public qui est l’un des moteurs et l’un des gardiens de la diversité culturelle en France. Un service public qui est aussi le premier acteur de l’ouverture de cette diversité culturelle à tous les publics, sur tout le territoire.

J’ai pu le constater, chaque fois que je me suis rendue dans l’un de vos établissements : vous avez su faire de vos maisons des lieux d’hospitalité et de partage - pour les jeunes, pour ceux qui pourraient penser que « la création ce n’est pas pour eux », pour les plus démunis – je pense notamment au travail formidable mené par certains d’entre vous avec des migrants.

Création et transmission fonctionnent ensemble. Vous êtes des éveilleurs de conscience. Alors aujourd’hui, je veux commencer par un message très clair : nous défendons ce service public. Nous entretiendrons ce qui fait la singularité de vos maisons. Nous conforterons ce qui vous distingue.

Et la première chose qui vous distingue, c’est d’être des artistes. C’est ce qui vous réunit ce soir. Ce qui réunit vos labels. Et c’est un principe que nous allons conforter. Parce qu’avoir des artistes à la tête de ces maisons, c’est donner toute sa chance à la création : Vous comprenez l’importance du temps de recherche pour les créateurs, les comédiens : le temps laissé pour explorer, expérimenter, travailler.

Vous savez aussi la nécessité d’ouvrir vos maisons, d’accueillir en permanence de nouveaux artistes : vous savez combien ces échanges apportent à la création. Vous apportez enfin des savoir-faire bien particuliers : vous êtes là non seulement pour diriger, mais pour accompagner, conseiller les artistes que vous hébergez.

Nous avons aujourd’hui 38 CDN, 19 CCN et 6 CNCM. Au total 63 maisons qui portent chacune un projet particulier : celui pour lequel vous avez été nommé, parce qu’il est unique et qu’il a été conçu sur la base d’une proposition artistique spécifique, pensé pour un territoire particulier.

Nous tenons à cette singularité. Et nous la protègerons.

Le second élément qui vous distingue, c’est la mission de création de vos maisons.

Elle est au cœur de vos trois labels. Elle est fondamentale. C’est Maurice FLEURET qui disait si justement que « la création artistique n’est pas l’ornement d’une société, mais la conscience ». Vous nourrissez au quotidien cette conscience, en accompagnant les artistes émergents, à travers l’accueil en résidence ou le compagnonnage.

En soutenant les compagnies indépendantes dans la production et la diffusion de leurs projets auprès d’autres partenaires ; en leur donnant accès à vos ressources – vos ateliers de décors et de costumes, par exemple.

En menant, enfin, un indispensable travail de formation : pour nos futurs professionnels – avec les écoles d’enseignement supérieur abritées par certains – et formation professionnelle continue.

Le propre du service public, c’est enfin la constance de l’engagement de l’Etat : nous vous donnerons les moyens de mener ces missions essentielles.

Le soutien à la création artistique s’élèvera à près de 780 millions d’euros l’an prochain, dont plus de 200 millions d’euros pour l’ensemble des labels. Ces moyens n’ont jamais été aussi élevés. C’est une vraie fierté. Je signerai par ailleurs très prochainement la circulaire que je sais attendue depuis longtemps, et qui vient conforter vos maisons.

Elle prévoit d’une part, les moyens « planchers » nécessaires à l’exercice de vos missions, dans chacun de vos établissements ; et d’autre part les conditions de nomination et de sortie des directeurs. Nous avons souhaité, par ce texte, mettre en place une aide qui n’existait pas jusque-là pour la musique par exemple.

Voilà les convictions fondamentales que je voulais rappeler devant vous ce soir.

Tout le projet d’avenir que nous portons pour les CDN, les CNCM, les CCN est fondé sur un principe : la confiance. Celle que nous plaçons dans le rôle, dans la mission de vos établissements et celle que nous vous faisons pour avancer, et pour nous aider à relever un certain nombre de nouveaux défis.

Ces défis, quels sont-ils ? Ils ont évolué, depuis 1947. Parce que la politique conduite depuis 70 ans a permis de des avancées fondamentales, la création se joue autant à Limoges, à Vire, à Belfort, à Roubaix, à Alfortville ou à Albi, qu’à Paris.

Vos maisons ont changé la vie des territoires dans lesquels ils sont ancrés. Elles ont changé la vie des gens qui y vivent. Ce quinquennat pourrait être celui d’un nouvel élan.

Notre ambition, aujourd’hui, doit pouvoir nous porter encore plus loin : vers ceux pour qui la création reste difficilement accessible ; ceux qui habitent à 50, à 80 kilomètres ou plus de vos maisons, et qui – en dépit de vos efforts – restent éloignés de ce qui s’y joue. 

Je considère qu’il y a trois nouvelles frontières à dépasser pour la politique culturelle aujourd’hui : la vie culturelle de proximité – c’est-à-dire ce rayon de 10-20 km, autour du domicile de nos concitoyens, que la décentralisation n’a pas toujours permis de toucher - l’école, et l’Europe.

Vous me direz que ces trois frontières ne sont pas nouvelles, pour vous. Que vous les côtoyez chaque jour. Je le sais. Il ne s’est pas passé une seule semaine sans que je ne me déplace en région, depuis mon arrivée au ministère. J’ai rendu visite à nombre d’entre vous, déjà, et je continuerai. Je sais donc, pour les avoir vues, les initiatives que vous portez pour toucher les communes autour de vous. Je sais les liens que vous développez avec les établissements scolaires. Je sais les coproductions que vous développez, et l’envergure européenne que vous prenez.

Nous serons plus que jamais derrière vous, pour vous accompagner. Ce sont des frontières que nous devons dépasser ensemble. Car le ministère aura besoin de tous ses partenaires pour y arriver.

Pour ce qui est de la vie culturelle de proximité. Nous comptons sur la force de votre réseau, en matière de diffusion. Soutenir la création, c’est aussi être en capacité de la partager avec le plus grand nombre. Vous le savez. Vous savez aussi que transmettre, ce n’est pas simplement ouvrir vos portes. C’est aller chercher les publics, là où ils sont. Et en priorité ceux qui ne fréquentent pas spontanément vos salles.

Je pense aux habitants des zones rurales, des quartiers en politique de la ville, des zones périurbaines. Je pense aussi aux habitants de cités dites dortoir, de zones exclusivement résidentielles, qui peuvent n’avoir aucune forme d’activité culturelle à proximité le soir. Je pense aux publics dits « empêchés » : dans les prisons, les maisons de retraite, les hôpitaux, les foyers, les structures d’accueil des migrants, etc.

Nous souhaitons accompagner le mouvement que vous portez, pour toucher l’ensemble de ces publics. Vous êtes déjà nombreux à développer les spectacles en itinérance, par exemple : continuez, et faites-en un axe fort de votre développement ! Multipliez les projets. Nouez des partenariats avec les collectivités territoriales, investissez les espaces publics disponibles.

Les Directions régionales du ministère de la Culture sont là pour vous accompagner. Toujours dans cette logique de « proximité », je voudrais aussi vous proposer de réfléchir à la mise en place d’un événement type « Journées de la Création », au niveau national, sur le modèle des Journées du Patrimoine. Vos labels pourraient amorcer la manifestation, avant de réfléchir éventuellement à un événement global, qui associerait les autres labels du spectacle vivant, les FRAC, les ateliers d’artistes…

Elles pourraient vous permettre de montrer le travail que vous faites, et de faire prendre conscience aux publics de la création qui se joue près de chez eux, au niveau local.

La nouvelle frontière, c’est l’école, ensuite. Là encore, je connais les efforts d’ores et déjà déployés par chacun de vous. Et j’ai bien conscience des ambitions déjà affichées, en la matière, par mes prédécesseurs. Mais nous souhaitons, avec mon homologue Jean-Michel BLANQUER, passer un nouveau cap : la culture occupe encore une place insuffisante à l’école. Or la culture, je le dis souvent, n’est pas un supplément d’âme. Nous devons lui donner une place structurante dans le parcours de chaque enfant, sur l’ensemble de sa scolarité.

Nous avons, pour cela, fléché deux priorités : le développement de la lecture, d’une part ; et le développement de la pratique artistique, d’autre part.

Vos maisons auront donc à jouer un rôle de premier plan. L’objectif est de bâtir une politique de long terme, à partir des initiatives que vous pouvez déjà porter, mais de façon nationale, coordonnée et soutenue. Nous souhaitons systématiser les partenariats, les jumelages entre les établissements scolaires et les lieux culturels de proximité, dans l’idée de systématiser l’intervention d’artistes professionnels dans les écoles.

Nos deux ministères ont commencé à y travailler ensemble, au niveau régional, entre rectorats et DRAC notamment. Je sais que cela se fait déjà dans beaucoup de territoires mais nous devons aller plus loin. Vous serez donc sollicités ; et je sais pouvoir compter sur votre engagement.

L’Europe. Je suis engagée sur ce terrain, pour fluidifier les mobilités. C’est l’idée notamment de l’Erasmus de la culture sur laquelle nous avons commencé à travailler avec mes homologues européens. Nous souhaitons vous aider à développer les logiques de partenariat avec les scènes européennes, par exemple. Sur l’ensemble de ces défis – proximité, école, Europe – nous ne sommes pas là pour dicter une manière de faire. Nous sommes là pour soutenir : soutenir « plus », je l’ai dit. Mais aussi « mieux ».

La loi LCAP a conforté l’existence de vos labels. Nous avons donc un cadre, mais nous avons aussi et surtout, la liberté de faire. Vos cahiers des missions et des charges ne doivent pas être envisagés comme une contrainte, au contraire : comme un point d’appui à vos initiatives. Nous allons simplifier notre accompagnement. Moins de normes rigides, moins d’indicateurs. Plus de place pour les discussions sur le sens et le contenu de votre projet. Voilà l’état d’esprit dans lequel nous avancerons.

Chacun de vos établissements doit être un laboratoire de création autant que de transmission.

Chers tous,

Ce moment de célébration nous rappelle à un héritage extraordinaire : celui de la décentralisation. Mais il est surtout, à mes yeux, une promesse d’avenir.

Les initiatives que vous portiez déjà avant mon arrivée, et que j’ai pu observer, aux quatre coins du territoire, m’offrent la certitude que nous souhaitons avancer sur le même chemin. C’est donc dans un esprit de dialogue que je souhaite travailler. Un dialogue centré sur l’art, la culture, et sur son accessibilité pour le plus grand nombre.

J’aurais envie de vous proposer ce soir – comme aux autres labels et à l’ensemble du champ de la création – d’envisager un nouveau pacte de confiance. Confiance qui soit toujours à double sens : celle que vous nous faites, celle que vous faites à la pérennité et à la détermination de notre soutien ; et celle que nous faisons à votre audace, à votre détermination. C’est pour cela que chacun d’entre vous a été choisi.

Nous pourrions, si vous en êtes d’accord, organiser une discussion, dans les prochaines semaines, pour imaginer ce pacte de confiance. C’est en tout cas un souhait, et c’est dans cet état d’esprit que je suis devant vous ce soir…

Je vous remercie encore pour votre engagement.

Je vous remercie pour votre attention.