Monsieur le président,

Monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation,

Mesdames et messieurs les députés,

 

Nous voici arrivés au terme du parcours législatif de cette proposition de loi, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias. Nous reprenons l’examen de ce texte en lecture définitive, après l’échec de la commission mixte paritaire du 14 juin dernier, et après le refus exprimé par le Sénat de délibérer en nouvelle lecture, au moyen de l’adoption d’une question préalable, la semaine dernière.

 

En commission mixte paritaire, il est vite apparu que les positions exprimées par le Sénat, s’agissant notamment de la protection du secret des sources des journalistes, ne pouvaient s’accorder avec celles de votre assemblée, malgré l’unanimité de bon augure avec laquelle l’Assemblée nationale avait adopté l’amendement du Gouvernement sur ce sujet.

 

En nouvelle lecture, le Sénat a préféré esquiver le débat au moyen d’une motion de procédure, tant en commission qu’en séance publique. Le rapprochement des points de vue n’aura donc pas été possible au-delà de la première lecture. Je regrette que cette proposition de loi n’ait pas donné lieu au même travail en commun que le projet de loi relatif à la création à l’architecture et au patrimoine.

 

Pourtant, le travail engagé en première lecture sur ce texte avait été riche et fructueux, avant qu’il ne soit qualifié, très récemment, de « texte de circonstance » par le Sénat. Ce texte a introduit, sur bien des sujets, d’utiles dispositions : l’obligation, pour chaque média, d’adopter une charte et de la transmettre aux journalistes ; l’insertion de protections pour les lanceurs d’alertes – que le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique de mon collègue Michel Sapin vient d’ailleurs de compléter et d’amplifier ; la conditionnalité et la transparence des aides publiques aux entreprises de presse ; le rétablissement de la publicité des cessions de fonds de commerce dans les journaux d’annonces légales ; enfin, la protection du secret des sources des journalistes, que votre assemblée a intégrée à ce texte dès le début de ses travaux.

 

Aujourd’hui, votre assemblée est donc appelée à se prononcer en dernière lecture. Je tiens à vous remercier, cher Patrick Bloche, vous qui êtes l’auteur de cette proposition de loi, pour votre travail et votre engagement constant.

 

Dans nos sociétés, la profusion des modes de diffusion de l’information rend celle-ci omniprésente. Garantir sa qualité constitue donc un enjeu majeur. Or cela passe nécessairement par l’indépendance des journalistes face, notamment, aux pressions économiques. La remise en cause de cette indépendance contribuerait à accroître la défiance de certains de nos concitoyens à l’égard des médias. Or il est aujourd’hui nécessaire de consolider et de retisser ce lien de confiance. C’est un enjeu majeur pour notre démocratie. C’est aussi un enjeu pour les entreprises de médias elles-mêmes, car c’est bien la fiabilité et la qualité de l’information qu’elles diffusent, fondées sur l’exercice professionnel du journalisme, qui doivent les distinguer et les légitimer dans ce flot.

 

Lors des dernières Journées européennes du patrimoine, placées sous le signe de la citoyenneté, le ministère de la culture et de la communication avait fait le choix de proposer à ses visiteurs de redécouvrir les grands textes fondateurs de notre République et, parmi eux, la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. À cette occasion, il fut possible d’entendre cet extrait du grand discours d’Eugène Pelletan, président de la commission sénatoriale sur la liberté de la presse, mis en image en 1981 lorsque la loi fêtait ses cent ans : « Un gouvernement faible fait taire la presse ; un gouvernement fort la laisse parler. C’est la meilleure preuve qu’il puisse donner de sa force et de la sagesse de la nation. » Je crois que ces mots n’ont rien perdu de leur force, ni de leur actualité.

 

Près d’un siècle et demi après sa promulgation, et même si des adaptations aux nouveaux défis de notre siècle peuvent être nécessaires, la loi de 1881 continue de donner un cadre à notre législation en matière de presse, au moyen d’une riche jurisprudence. C’est pour cela que nous nous opposons aux dispositions adoptées par le Sénat en commission, lors de l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », car il est essentiel de ne pas déstabiliser l’ordonnancement et l’équilibre d’ensemble de cette loi fondatrice.

 

Il serait par exemple inacceptable que l’action contre une infraction de presse puisse être portée devant le seul juge civil, en faisant courir un risque financier majeur aux médias, condamnés à payer des dommages et intérêts. Là encore, il y va de l’indépendance de la presse et de ses capacités d’investigation.

 

C’est dans la lignée de la loi du 29 juillet 1881 que s’inscrit le texte qui est à nouveau soumis à votre assemblée aujourd’hui. Il renforce les protections nécessaires à la liberté d’informer et adopte une approche nouvelle, en créant des garanties internes aux entreprises de presse.

 

Dès lors, il est parfaitement cohérent de revenir aussi sur la question de la protection du secret des sources, compte tenu du caractère insuffisamment protecteur de la loi du 4 janvier 2010. Permettez-moi de rappeler les nouvelles garanties introduites par ce texte, qui constituent une réelle avancée. Pour les cas limités, dans lesquels le secret des sources peut être levé à l’occasion d’une enquête judiciaire, le texte veille à définir précisément une liste d’infractions parmi les plus graves de notre code pénal. Il élargit la protection des sources aux collaborateurs de la rédaction et au directeur de la publication, afin d’englober la chaîne de production de l’information dans son intégralité. C’est, en pratique, une garantie essentielle.

 

Il garantit aussi la protection du journaliste contre les poursuites judiciaires pour recel de violation du secret de l’instruction ou atteinte à la protection de la vie privée. Enfin, point majeur du texte, il prévoit l’intervention préalable d’un magistrat indépendant de l’instruction en cours pour autoriser ou non une mesure d’enquête portant sur les sources d’un journaliste. Nous avons réalisé ces avancées ensemble, grâce aux travaux dans la durée de votre commission, et par votre adoption à l’unanimité de l’amendement du Gouvernement. Nous avons su trouver un équilibre qui respecte à la fois les recommandations formulées par le Conseil d’État lorsqu’il fut saisi du projet de loi en juin 2013 et la jurisprudence édictée par le Cour européenne des droits de l’homme.

 

Mesdames et messieurs les députés, cette législature aura œuvré à renforcer l’indépendance des médias. C’était l’un des engagements du Président de la République, que l’action continue du Gouvernement a traduit en actes, et que votre assemblée aura inscrit dans la loi.

 

D’abord, par la loi du 15 novembre 2013, les garanties d’indépendance du Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA – ont été renforcées. La désignation de ses membres doit désormais être approuvée à la majorité des trois cinquièmes des commissions parlementaires : c’est une innovation majeure, qui impose un accord avec l’opposition parlementaire. L’indépendance de l’audiovisuel public a été restaurée par cette même loi, puisque le pouvoir de nomination des présidents de l’audiovisuel public, qui avait été confisqué par l’exécutif, a été rendu au CSA. Nous avons redonné son indépendance à l’audiovisuel public, après cette parenthèse d’un autre âge, qui allait à rebours de l’histoire.

 

Le rôle de l’audiovisuel public en matière de programmes et d’information est essentiel, en France comme chez nos principaux voisins européens, et nous défendons ce modèle européen, inscrit dans l’histoire de nos démocraties, d’un audiovisuel public fort et indépendant. Nous y avons œuvré ensemble. De même, en décidant de créer une aide au bénéfice des médias de proximité et des entreprises émergentes qui créent de nouveaux médias, le Gouvernement fait le pari de l’indépendance et des nouvelles formes d’expression journalistique.

 

L’adoption de cette proposition de loi sur l’indépendance des médias va compléter cet édifice – un édifice qui a une grande vocation. Il est question ici de l’indépendance des journalistes, des médias privés et des médias publics, de télévision, de radio ou de presse écrite. Il est question ici de la pluralité, de la fiabilité et de la qualité de l’information. Il est question ici de la confiance de nos concitoyens et de la vitalité de notre démocratie.