Monsieur le vice-Président de la Commission européenne, cher Andrus Ansip,

Mesdames les députées européennes, cher Jean-Jacques Annaud, chère Aïda Touihri que je remercie d’avoir accepté d’animer avec talent ces échanges,

Mesdames et messieurs,

Chers amis,

 

Je ferai un bref mot de conclusion, d’abord pour remarquer qu’il faut la force d’attraction du Festival de Cannes pour réunir à une même table – ce qui n’est pas si fréquent – YouTube, Amazon, nos cinéastes, nos auteurs, SFR, Orange et tous ceux que vous avez entendus ce matin.

 

Vous avez pu échanger sur deux mondes qui, en réalité, se connaissent déjà, se fréquentent, mais ne dialoguent pas vraiment sur ce qui constitue, pour nous, les fondements de la diversité culturelle. Au cours de nos échanges de ce matin, nous avons vu la force du numérique dans la diffusion des œuvres et des programmes, mais aussi dans la détection et l’éclosion de nouveaux talents. Nous avons aussi vu les nouveaux usages et services que développent ces plateformes, qui sont très séduisants pour le public.

 

Mais le sujet, pour les pouvoirs publics et l’Europe, est de faire en sorte que cette richesse, ce foisonnement, soient véritablement mis au service de la création européenne – et pour nous française. Nous avons très vite constaté, il y a déjà plus de dix ans, les effets plutôt négatifs de la transition numérique, avec le piratage et la baisse de valeur dont les industries culturelles ont fait l’expérience, notamment la musique qui commence à peine à retrouver un modèle économique grâce au streaming.

 

La question qui était posée ce matin était la suivante : comment créer, produire et diffuser dans un environnement numérique ? Il ne faut pas faire preuve de naïveté. Si les plateformes et les opérateurs de télécoms s’intéressent aux programmes et aux œuvres, c’est bien parce que l’on en revient à l’endroit où est créée la valeur. C’est parce qu'il y a une force d’attraction sur le public et sur leurs clients qu’ils se retournent vers les programmes en cherchant à investir. Ceci est manifeste au Festival de Cannes, mais aussi dans la stratégie de SFR qui vient sur le terrain des droits exclusifs de programmes créés par vous.

 

Vous le savez, la Commission européenne a une grande ambition de création du marché unique numérique – trois termes qui nous effraient parfois quand ils sont accolés. Le monde de la création, comme le rappelait Monsieur Ansip, n’a d’abord pas compris pourquoi le droit d’auteur était ressenti comme un obstacle à la diffusion des œuvres par les instances communautaires. De notre point de vue, nous considérons que le droit d’auteur constitue un outil moderne qui permet la circulation des œuvres et qui, dans le même temps, assure une rémunération aux créateurs et à ceux qui ont investi dans la production et financé ces œuvres. Après 18 mois de discussion intense, j’entends que la Commission européenne a pris conscience que le droit d’auteur était parfaitement compatible avec la volonté de faire circuler les œuvres en Europe. Je crois que c’est une évolution notable. La négociation des droits est le moyen de rémunérer les créateurs et les films de demain.

 

La France fait des propositions qu'il faut entendre, me semble-t-il, parce que la France a beaucoup fait pour protéger la création et la diversité. Comme cela a été rappelé, nous voyons ici, à Cannes, le rôle qu’elle joue non seulement pour le cinéma français, mais aussi pour le cinéma mondial. C’est donc un exemple qu’il peut être intéressant de regarder. La France a aussi beaucoup à perdre à une absence de régulation au niveau européen, puisque nous avons affaire à des acteurs qui sont multinationaux mais qui interviennent sur un marché qu’elle a structuré et protégé.

 

Nous avons mis en avant, dans le débat communautaire, les questions majeures qui se posent dans le monde numérique : la reconnaissance des droits, la lutte contre le piratage, le financement et la protection de la création européenne, les problématiques de transfert de valeur, la question de l’interopérabilité qui deviendra majeure, et enfin l’équité en matière de régulation et de fiscalité. Je remercie la Commission européenne d’avoir été à l’écoute dans la période récente et d’avoir inscrit ces interrogations dans sa communication du 6 mai 2015.

 

Désormais, il y a de nombreux chantiers à explorer qui, je crois, vous intéressent tous au plus haut point. Le premier de ces sujets, qui était très fort l’année dernière mais a bien évolué, résidait dans le débat sur la territorialité des droits, qui a aujourd'hui cédé la place à une discussion sur la portabilité des services payants. La France est favorable à cette évolution, mais, comme je vous l’indiquais ce matin, Monsieur le vice-Président, sera soucieuse que les conditions d’accès à cette portabilité soient bien contrôlées – faute de quoi cela reviendrait à mettre à nouveau en danger la territorialité des droits.

 

D’autres consultations ont été lancées. L’une me semble majeure, celle qui porte sur la directive des services de médias audiovisuels. C’est pour nous prioritaire. En effet, comme cela a été bien montré ce matin, la frontière entre le linéaire, le non linéaire et les plateformes n’a plus vraiment de sens aujourd'hui. Cette réglementation est datée. Les diffuseurs linéaires – et ils ont bien raison, chère Delphine Ernotte et chère Véronique Cayla – vont évidemment vers le non linéaire et investissent pleinement l’univers numérique. Les services qui diffusent des programmes en non linéaire devraient avoir les mêmes responsabilités dans le financement de la production, puisque ce qui compte n’est pas qu’il y ait une suite ordonnée de programmes mais bien une présentation de ces programmes au public. L’ouverture du chantier sur la directive des services de médias audiovisuels linéaires et à la demande montre que quinze ans après l’adoption des grandes directives qui ont encadré la naissance de l’économie numérique, il était nécessaire de revoir le cadre réglementaire. Les débats qui ont eu lieu ce matin ont montré que les nouveaux acteurs sont devenus majeurs dans la distribution et le financement des œuvres. Or ces outils de régulation, aujourd’hui réglementaires, ont été pensés à un temps qui n’est plus adapté à ces nouveaux acteurs – et je partage ce qu’a dit Viviane Reding sur le retard qui a été pris dans ce domaine. Il existe même des exemples assez flagrants en la matière.

 

Un autre point majeur de la directive SMA, que nous devons appliquer de façon plus générale, concerne les obligations en termes d’exposition et de financement de la création européenne. Il n’est pas justifié que les nouveaux diffuseurs ne soient pas soumis aux règles qui ont été fondées pour préserver et encourager la diversité culturelle.

 

Par ailleurs, des sujets tels que la protection des mineurs ou l’incitation à la haine sont apparus avec force dans le débat public et dans les défis que connaissent les sociétés européennes. Je crois que nous ne devons pas les négliger dans nos réflexions. Dans un contexte de montée des violences et de tentation du repli sur soi, plus personne ne peut accepter que ce qui est inacceptable sur une chaîne de télévision soit parfaitement admis sur Internet. C’est pourquoi la France a proposé d’étendre la régulation SMA à certaines plateformes qui diffusent de l’audiovisuel et des œuvres cinématographiques.

 

Ces plateformes jouent également un autre rôle, qui a été évoqué et sur lequel je sais que le CNC travaille, chère Frédérique Bredin : la détection de nouveaux talents. Je crois que c’est véritablement un plus. C’est notamment ce que font YouTube et un certain nombre de services des opérateurs de télécoms. Nous pouvons nous appuyer sur cet apport nouveau – sans nous exonérer du reste, ni nous montrer naïfs quant au rôle que ces plateformes jouent en matière de diffusion des programmes.

 

Que grandes entreprises du numérique se tournent vers la production d’œuvres est une bonne nouvelle à condition que ces investissements stimulent la création et la diversité. Je crois que cela a également été indiqué ce matin, les cinéastes et les auteurs ne demandent pas la charité. Ils demandent l’application d’un principe que nous avons défendu avec constance, selon lequel la diffusion finance la création – et la création européenne. C’est pour cela que nous avons ces réglementations. Le fait que ces entreprises viennent vers la création est une très bonne chose, mais il faut qu’elles le fassent de façon pleine et entière vers la création européenne et pas uniquement selon leurs intérêts du moment, ainsi que l’a rappelé Virginie Rozière.

 

Les outils de régulation qui ont été fondés pour stimuler la création originale dans les divers pays européens doivent pouvoir être appliqués quel que soit le mode de diffusion. Les pays qui, contrairement à la France, n’ont pas mis en place une politique volontariste en faveur de la création ont progressivement perdu toute leur capacité de production.

 

Au-delà de ce sujet de la directive Services des médias audiovisuels, il nous semble que le statut même de l’hébergeur n’est absolument plus adapté aux plateformes qui présentent des œuvres audiovisuelles ou musicales, qui trient, qui exposent, qui filtrent comme elles l’entendent. C’est pour cela que la France a porté à la connaissance de la Commission européenne un certain nombre de propositions, pour que ces plateformes contractualisent avec les ayants droit - ce qu’elles ont commencé à faire. Avec la contractualisation, c’est bien la rémunération des œuvres qui sera permise.

 

Avant de conclure, je souhaite dire un mot sur les problématiques d’exception au droit d’auteur qui ont été citées, ainsi que sur celles de fiscalité, qui ont été plus à la marge de vos discussions mais qui sont importantes. Concernant le droit d’auteur, nous attendons une prochaine proposition de la Commission européenne. La position de la France à ce sujet est constante : préférer les licences et les accords aux exceptions généralisées, sauf à ce qu’il soit démontré qu’il existe un véritable problème en matière de droit d’auteur. Aujourd’hui, en tout cas, nous ne l’avons pas constaté comme obstacle à la diffusion. S’agissant de la fiscalité, nous souhaitons - je sais que la Commission nous a entendus, et nous lui en sommes reconnaissants - une neutralité de la TVA pour le numérique (le livre et la presse, par exemple) équivalente à celle du papier.

 

Enfin, nous avons parlé de retard, tout à l’heure. Il faut aussi rappeler que depuis 2013, le Parlement français a voté une nouvelle contribution des services de vidéo à la demande qui émettent depuis un pays européen qui n’est pas la France mais s’adressent au marché français, où ils réalisent un chiffre d’affaires. Il faut que ces services contribuent à la création française et européenne. C’est un projet que porte aussi l’Allemagne, de façon légèrement différente. Mais depuis 2013, ce projet est en attente d’autorisation.

 

Chers amis, il importe de tenir ensemble et non pas d’opposer les évolutions technologiques, la régulation culturelle, la diversité et la création. Nous pressentons, nous constatons que les nouveaux acteurs numériques ont vocation à devenir les nouveaux partenaires de la création, y compris d’un point de vue économique. Les enjeux qui sont derrière cela, comme l’a dit Radu Mihaileanu dans son manifeste qui sera désormais « le manifeste de Cannes », sont cruciaux car ils concernent l’image de la société que nous voulons transmettre à nos enfants. Et ce sont bien là, je crois, le vrai fondement et la véritable légitimité de l’intervention européenne. Car si ce n’est pas sur cela que l’Europe s’appuie, elle risque de perdre définitivement le cœur des citoyens qui préféreront avoir leurs mécanismes nationaux de soutien à la création. C’est la raison pour laquelle je crois que cet enjeu dépasse en réalité celui du cinéma et de l’audiovisuel. C’est un enjeu plus général sur la légitimité de l’intervention européenne et sur son sens.

 

Je vous remercie.