Monsieur le député, Jean-Luc Laurent,

Monsieur le Président du conseil départemental, Christian Favier

Monsieur le préfet de la région Ile-de-France, Jean-François Carenco,

Madame la Présidente du Conseil régional d’Ile-de-France, Valérie Pécresse,

Monsieur le Maire d’Ivry-sur-Seine, Philippe Bouyssou,

Mesdames, Messieurs les élus,

Chère Alice Gosnat,

Chers Elisabeth Chailloux et Adel Hakim

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Inaugurer aujourd’hui cette Manufacture des œillets c’est prolonger et renouveler ce qui est sans aucun doute l’une des plus belles expériences politiques du siècle dernier, celle de la décentralisation théâtrale.

Je veux vous dire la fierté qui est la mienne aujourd’hui, en tant que Ministre de la culture, d’avoir la chance d’accompagner ce mouvement. Ici où Patrice Chéreau a mis en scène Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, j’en mesure toute l’importance autant que la force symbolique.

Convoquer l’histoire de la décentralisation théâtrale, c’est d’abord convoquer l’esprit d’un certain nombre de femmes et d’hommes convaincus et engagés.

Celles et ceux qui, avant même que deux guerres n’aient bouleversé l’ordre du monde, décidèrent de libérer le théâtre de son tropisme parisien et de le partager avec le plus grand nombre, dans les villes comme dans les campagnes.

Je pense bien sûr, au début du XXème siècle, à Firmin Gémier ou à Léon Chancerel. Je pense aussi durant l’entre-deux guerres à l’action menée par Jacques Copeau, Louis Ducreux, Romain Rolland ou Charles Dullin. Je pense encore, à partir de la Libération, à Jean Vilar, Jean Dasté, Hubert Gignoux, Maurice Sarrazin, André Clavé. Je pense aussi et plus particulièrement, parmi tous ces hommes, à une femme, Jeanne Laurent.

Citant ces grandes figures du théâtre français, je veux rendre hommage à Bruno Bayen, qui en faisait partie, et qui nous a quittés il y a quelques jours.

Les grandes politiques publiques trouvent souvent leurs prémisses et leurs fondements dans les initiatives personnelles de ces femmes et ces hommes qui sont avant tout des militants.

C’est aussi de cette façon qu’est inspiré et nourri le projet politique de la gauche.

L’histoire de la décentralisation théâtrale ne peut être dissociée des valeurs, d’une idée de l’humanité, de la société, d’une vision de la culture qui étaient celles de ses pères – et mères – fondateurs.

La première de ces idées c’est celle de l’art, et du théâtre en particulier, qui émancipe et qui épanouit, qui permet à chacun de refaire connaissance avec lui-même et de se dépasser. Quand ces hommes et ces femmes menaient le théâtre sur les routes de France, c’était pour libérer les corps et les consciences.

Le théâtre est aussi, il faut le redire, au cœur de l’expérience démocratique. Un service public pour reprendre les mots de Jean Vilar.

Si le théâtre est un service public, alors il doit répondre à l’un de ses principes, qui est aussi un fondement de la République, celui de l’égalité.

La décentralisation théâtrale, c’est la mise en œuvre de l’égal accès à la culture et c’est aller au-devant des populations dans toute leur diversité sociale afin de répondre à Roger Planchon lorsqu’il dit que « les ouvriers ne vont dans les théâtres que pour les construire ».

La politique étatique initiée par Jeanne Laurent à la Libération porte ainsi le sceau de ces deux grandes ambitions.

D’une part la décentralisation, c’est-à-dire faire en sorte qu’il n’y ait plus « Paris et le désert français » mais au contraire décentrer les lieux où se fabrique le théâtre.

D’autre part la démocratisation, c’est-à-dire ouvrir les portes de ces théâtres à tous les habitants de ce pays.

Si la première ambition peut sembler atteinte, grâce au maillage exceptionnel que nous avons bâti, la seconde ne l’est pas et doit encore guider l’action publique aujourd’hui. Ce sont ces mêmes ambitions qui sont à l’origine des cinq premiers centres dramatiques nationaux (CDN), à Colmar, Saint-Etienne, Rennes, Toulouse et Aix-en-Provence. On en compte aujourd’hui 38 qui irriguent l’ensemble du territoire national. Nous fêterons en 2017 leur 70ème anniversaire.

Il me tenait à cœur d’être présente parmi vous aujourd’hui parce qu’il n’y a à mes yeux plus bel endroit pour lancer cet anniversaire que l’enceinte du dernier théâtre à avoir reçu le label de Centre Dramatique National.

Aujourd’hui le théâtre se fabrique partout en France, dans sa capitale avec les théâtres nationaux et dans les Régions avec les CDN. C’est un beau maillage, un réseau dont il faut être fiers.

Un réseau de CDN que nous entendons consolider. Après Ivry ce sera en 2017 l’achèvement des travaux de la nouvelle Comédie de Saint-Etienne, autre CDN emblématique puisqu’il fêtera aussi l’an prochain ses 70 ans. Nous engagerons ensuite la réhabilitation des Amandiers à Nanterre. Et je ne peux manquer de citer le lancement de la Cité du Théâtre il y a quelques semaines par le Président de la République, là aussi dans un quartier inscrit dans un passé ouvrier, celui des ateliers de décors de l’Opéra national de Paris.

Ici à Ivry, l’obtention de ce label, la création de ce lieu nouveau, sont en réalité l’aboutissement d’une longue histoire dont les traits marquants se confondent avec ceux de la décentralisation dramatique.

Je veux parler de l’engagement militant qui est celui d’Antoine Vitez lorsqu’il crée en 1972 un théâtre dans lequel la pratique amateur est au cœur de la démarche artistique. Une conviction forte qui sera transmise à Philippe Adrien et Catherine Dasté hier, et aujourd’hui à Elisabeth Chailloux et Adel Hakim que je salue très chaleureusement.

Ici on renoue avec l’éducation populaire. Il ne s’agit pas seulement d’ouvrir grand les portes du théâtre, même si cela est un préalable nécessaire. Il s’agit de faire naître le débat et faire participer les gens au travail de création.

Entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas, ceux qui ont la parole et ceux qui ne l’ont pas, la fracture grandit jour après jour. La décentralisation dramatique, la démocratisation théâtrale se placent justement à l’endroit de cette fracture. Dans la société que nous connaissons, seule la création a ce pouvoir de former un espace de dialogue autour des propositions d’artistes.

Le travail que vous réalisez ici, chère Elisabeth Chailloux, cher Adel Hakim, n’est pas réductible à la distraction ou au divertissement, c’est une œuvre d’éducation, de citoyenneté, de rassemblement, de réconciliation sociale. Je veux vous en remercier.

Il faut aussi, je crois, garder à l’esprit la première vocation industrielle de ce lieu construit à la fin du XIXème siècle. Le symbole est beau. Ce lieu était ouvrier, populaire. Il doit le rester.

Dans la Manufacture des œillets, aujourd’hui le théâtre des quartiers d’Ivry. Le théâtre des quartiers comme on dit le bistrot de quartier ou la librairie de quartier. Cela a un sens fort, celui de l’ancrage du théâtre dans son environnement direct.

Je sais aussi que l’architecte, Paul Ravaux, que je salue, a travaillé dans ce sens.

Je n’oublie pas que la décentralisation théâtrale, ici comme ailleurs, si elle est le fait d’artistes, doit aussi beaucoup aux responsables politiques. Ou plutôt à des responsables politiques convaincus du rôle de la culture. C'est le cas de Pierre Gosnat à qui un hommage a été rendu.

C’est aussi à Aubervilliers le soutien sans faille d’un homme engagé comme Jack Ralite qui accompagne depuis toujours l’histoire du Théâtre de la commune, autre CDN emblématique.

Face à cette longue histoire, nous, responsables publics, devons nous poser une question : comment prolonger ce mouvement et l’inscrire dans notre époque ?

Que serait, 70 ans après les pionniers, une nouvelle aventure politique en faveur de la création artistique ?

Le maillage que constituent les labels de spectacle vivant est désormais inscrit dans la loi depuis juillet 2016. Le droit dit notre exigence et notre volonté.

Nous avons aussi fait entrer dans le droit législatif la liberté de création et de programmation, en cohérence d’ailleurs avec le modèle des CDN qui manifestent aussi la confiance de l’Etat envers les artistes.

Autre étape fondamentale de cette aventure, la consolidation du régime de l’intermittence, en permettant aux artistes et techniciens du spectacle de vivre de leur métier, vient contribuer. L’accord historique que nous avons conclu il y a quelques mois permet de le conforter, de le renforcer.

L’aventure de la décentralisation a été rendue possible par un pacte de confiance entre  artistes et responsables politiques. Cette confiance mutuelle, chacun dans son rôle, est indispensable pour laisser toute sa liberté à la création, toute sa place à l’innovation politique, artistique et sociale.

Il faut aujourd’hui faire revivre cette alchimie qui a rendu les choses possibles. Il faut donner tous les moyens à l’audace, à la confiance et garantir la liberté de création et de programmation dont on voit, ici ou là, les tentatives de remises en cause. Et ce dans un discours décomplexé qui doit nous mobiliser.

Les CDN de demain doivent continuer à toujours mieux rechercher la diversité et l’égalité d’accès, au service d’une société que nous voulons ouverte et inclusive, dans le respect de l’autre et de ses différences.

Dans ce sens, un mouvement de renouvellement y a été engagé pour laisser plus de place aux femmes et à de nouvelles générations d’artistes à la tête des CDN.

Aragon disait déjà : « Jamais peut-être faire chanter les choses n'a été plus urgente et noble mission à l'homme ». Cela est encore vrai aujourd’hui. Dans ce lieu qui a aussi le nom d’une belle révolution c’est à vous, générations d’artistes d’aujourd’hui et de demain, d’être fidèles à cette belle mission de service public, dans des formes et des pratiques que vous réinventerez.

Je vous remercie.