Chacun s’accorde à reconnaitre qu’une véritable rencontre avec une œuvre engage nécessairement la sensibilité et l’émotion. Pour autant, le corps, fondement des sensations et donc des émotions qui en découlent, est-il systématiquement et suffisamment pris en compte dans les propositions culturelles et dans les politiques culturelles qui définissent leurs conditions de mise en œuvre ?
Se posent tout d’abord de très importantes questions de confort et d’ergonomie des lieux ou dispositifs liés à telle ou telle proposition culturelle (concert en plein air, salle de cinéma, scénographie d’exposition), qui nécessitent d’être pensées en tenant compte notamment des nouvelles contraintes d’adaptation au changement climatique, mais peut-être aussi aux changements même des corps contemporains qui sont encore peu pris en compte dans les normes d’équipements (personnes en surpoids, personnes âgées, rapport au genre, etc..)
Mais ces questionnements sont sans doute insuffisants, s’ils consistent à seulement faire que notre corps ne se rappelle pas à nous par la fatigue, la soif, la chaleur, pendant l‘expérience culturelle. Comment engager la motricité et tous les sens dans ces moments d’intensité, d’apprentissage et de partage ? Comment penser aussi le rassemblement des corps, condition longtemps essentielle d’un partage, et de la création d’un espace public ?
Le numérique culturel, et par là même l’espace public qu’il constitue, n’échappe bien sûr pas à cette interrogation sur l’importance des corps. Tout d’abord parce que même la simple consultation d’un site web engage des postures de corps, et des fatigues spécifiques associées. Mais aussi parce que c’est par le numérique que se sont développées des propositions dites « immersives », dont l’objectif est bien de permettre une expérience sensorielle la plus complète possible. Pour autant, certains de ces dispositifs (casques audio ou plus encore VR) peuvent se révéler enfermants, et réduire la possibilité de partage de l’expérience culturelle. A un moment historique où la séparation des corps a été rendue nécessaire pendant de longs mois, et où la communication en distanciel est devenue pour tous une habitude, peut-on se passer des expériences de partage à corps présents, même en ayant recours à des avatars et des technologies haptiques et de contrôle de mouvement ? Comment la culture peut-elle, dans toutes ses dimensions, encourager la convivialité ?
Enfin, cette réflexion sur l’importance du corps en culture permettra peut-être de repenser à nouveau frais le statut des productions dites artistiques des intelligences artificielles.
RÉFÉRENT : CATHERINE TSEKENIS, directrice générale du Centre Nationale de la Danse
Membres du groupe :
- Héloïse BIARD, cheffe du département du numérique pour la transformation des politiques culturelles et l'administration des données, Secrétariat Général, Ministère de la Culture
- Anne D'ABOVILLE, directrice déléguée à La Seine Musicale, Département des Hauts-de-Seine
- Karine EMONET-VILLAIN, directrice adjointe au développement des publics et de la communication à Universcience, maire-ajointe déléguée à la culture et au patrimoine de la Ville de Poissy
- Jérôme FELIN, conseiller arts plastiques, DRAC Normandie, Ministère de la Culture
- Lieko LELONG, cheffe du service des publics, Etablissement Public du Palais de la Porte Dorée
- Veneranda PALADINO, journaliste Dernières Nouvelles d'Alsace
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