Les 12 et 13 janvier derniers à l’occasion du cinquième module de la Session 22-23, le CHEC était accueilli à l’Abbaye de Royaumont puis à la Maison de la Culture d’Amiens pour deux jours de réflexions au rythme du temps de la création, qu’elle prenne la forme du spectacle vivant ou de la création plastique et numérique. Exploration des transformations à l’œuvre et des enjeux à accompagner en territoires francilien et picard.

 

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C’est à l’Abbaye de Royaumont, en salle des Charpentes, que Francis Maréchal,  son Directeur général, a ouvert ce module consacré aux politiques de soutien à la création au sein de ce haut lieu d’effervescence artistique. Dans le prolongement d’une longue tradition d’accueil d’artistes et d’intellectuels (dès 1246 avec Vincent de Beauvais), la Fondation Royaumont créée en 1964 accompagne les artistes sur le temps long grâce à des résidences en musique et en danse qui s’étendent sur 3 à 4 ans.  Ces programmes concernent principalement les artistes émergents en sortie d’études, leur donnant l’opportunité de se professionnaliser tout en expérimentant et en prenant des risques. La Fondation stimule ainsi la création en affranchissant celle-ci, dans sa phase de recherche, d’une obligation de résultat. Un positionnement permis par l’économie mixte du lieu, son réseau de mécènes, son exploitation et les subventions publiques.

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Après une visite du lieu, Michel Orier, Directeur de la musique et de la création de Radio France, a évoqué la nécessité de repenser l’évènementiel dans la création en réfléchissant à  un ralentissement du rythme effréné des saisons qui impacte négativement la diffusion et la diversification des publics. Il y souligne l’enjeu du temps long pour toucher un public diversifié  tout en maintenant une pluralité de l’offre, grâce au rôle  prospectif et de pilotage des  politiques culturelles du Ministère.

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A sa suite, trois auditrices et auditeur ont présenté leurs expériences et appréciations  de ces temps de création au sein de leurs établissements respectifs. Cédric Martin, Directeur délégué-Administrateur de la Biennale de Lyon,  a évoqué les échos calendaires de la Biennale avec son environnement proche (plus de 280 évènements en résonance dans 73 villes alentours) et lointain (ajustements concertés avec les autres grandes biennales mondiales, telles qu’Istanbul.) La Biennale y est  une manifestation majeure de forte dimension internationale, symbolisée par ses curateurs et la présence de 75% d’artistes internationaux parmi les 87 présents, originaires de 39 pays, et les nombreux partenariats avec des institutions étrangères.

Anne Possompes, Adjointe à la directrice générale déléguée du Palais de Tokyo, a rappelé les contraintes de  mixité de programmation et d’équilibre financier de l’établissement, et indiqué les réflexions en cours permises par la philosophie de ‘permaculture institutionnelle’ du centre d’art, stimulée par son Président Guillaume Desange, pour envisager autrement le rythme des activités et leur articulation. Enfin, Caroline Simpson–Smith, Directrice adjointe du Théâtre Sénart – Scène nationale, a  insisté sur l’importance pour cet établissement  de s’insérer dans la vie quotidienne de tous habitants du territoire avec des temps collectifs via une programmation diversifiée, des performances hors-les-murs, ou encore un festival ouvert à tous.

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Le groupe a ensuite échangé avec le jeune ensemble musical Apotropaïk, tout juste arrivé en résidence, et son regard vivant sur les répertoires médiévaux, puis bénéficié d’un temps suspendu avec un concert intimiste que ces musiciens d’exception récemment sortis du Conservatoire national de musique et de danse de Lyon ont donné au sein de la Bibliothèque Henry et Isabel Goüin.

Les auditeurs ont terminé la journée par un temps consacré aux travaux de groupes.

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Le lendemain, le CHEC s’est rendu à la Maison de la Culture d’Amiens, véritable ‘cathédrale laïque de la culture’, scène nationale, la seule disposant de son label, et pôle urbain de production et de diffusion de la création contemporaine. Laurent Dréano, directeur de l’établissement, a rappelé l’histoire de ce lieu emblématique du mouvement de décentralisation théâtrale voulu par André Malraux et réaffirmé que la convivialité était au cœur de ce projet culturel multidisciplinaire, ainsi que l’indique la signalétique dès l’entrée : Ici chez vous.

Expliquant l’importance de travailler main dans la main avec les différents acteurs du territoire, il fut rejoint par Pascal Neveux, directeur du Fonds Régional d’Art Contemporain Picardie – Hauts-de-France , Raphaëlle Peria, artiste plasticienne en résidence au long cours au FRAC d’Amiens et Noémie Ksicova, artiste et metteuse en scène compagne de la MCA d’Amiens.

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Dans un territoire singulier disposant d’un seul centre d’art (hors-les-murs, à Clermont-sur-Oise), sans musée d’art contemporain ni moderne, avec un fort taux d’illettrisme lexical et visuel, le FRAC s’est positionné en pôle de ressource et d’accompagnement, plaçant les artistes au cœur grâce à un maillage territorial fin et le compagnonnage d’un.e artiste tous les ans. Le FRAC s’inscrit dans une véritable tentative d’ancrage dans l’écosystème territorial, couplée à une mission de formation pédagogique sur la création contemporaine. Ses liens débordent la frontière régionale pour atteindre Marseille (avec une résidence croisée au moment du salon du dessin), Québec, Villers-Cotterêts, etc. L’enjeu clé était  l’invention de « temps de présence » pour structurer la filière et visibiliser les initiatives existantes, notamment autogérées par les artistes.

Puis l’artiste Raphaëlle Peria a partagé avec les auditeurs son expérience concrète de son activité, et mis en lumière le fait que l’activité pure de création, la seule prise en compte dans la reconnaissance et le financement, était  très souvent réduite par rapport aux long temps de recherches, de constitution de dossiers pour des bourses ou des résidences, et de travail administratif. Toutes activités pour lesquelles les artistes sont souvent insuffisamment formés et accompagnés, malgré la qualité, par ailleurs, du dialogue avec les institutions sur le travail de création proprement dit.

Un constat partagé par Noémie Ksicova, qui ajoute la relation parfois compliquée avec les subventions publiques, car tous les projets des compagnies d’un même territoire seront financés par la même enveloppe, et, dans un contexte d’inflation, elle confie faire de plus en plus attention aux coûts de ses projets. Et c’est l’injonction même à créer, à intervalles souvent courts, que les quatre intervenants ont remis en question. Mais des initiatives existent pour contrer cette tendance, avec par exemple le campus Amiens-Valenciennes, émanant de l’association de la MCA et du Phénix.

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La table ronde suivante portait sur la transformation de la création artistique, au regard de la révolution numérique. Albertine Meunier, artiste, co-fondatrice de 0x4rt, l'avant Galerie Vossen et NFT Factory, a présenté ses diverses activités et  créations en rapport avec l’art numérique : Le livre infini (2015), dispositif sur lequel on peut charger n’importe quel contenu ; My Google Search History, dont le 3ème tome est récemment sorti, qui rend visible, à travers la collecte systématique de tout ce qu’elle écrit dans sa barre de recherche, notre production continue de données, et ce que celle-ci révèle de nous; French Data Touch (2018), qui évoque en musique et joyeusement les datas ; ou encore les NFTs Hyperchips disponibles sur Objkt, et créées avec l’intelligence artificielle.

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Photo : Phoenix (2022) de Eric Minh Cuong Castaing, NEXT Festival, Sébastien Lefèvre.

A sa suite, Romaric Daurier, Directeur du Phénix, scène nationale, pôle européen de création, a présenté le festival NEXT dont il est curateur, et qui fait la part belle à la création numérique, grâce aux webj notamment, des mixeurs et mixeuses du web, qui emmènent les spectateurs au gré d’une narration construite à partir d’audio et de vidéos présentes sur internet. Il a également réaffirmé l’importance de réinvestir les corps, pour vivre ensemble des expériences collectives, via le numérique ou non. Pour lui, « Les théâtres aujourd'hui deviennent presque des conservatoires du vivant », et le Phénix a notamment mis en place des échauffements de spectateurs gratuits avant le début des spectacles qui changent l’écoute de la salle. Car tous sont confrontés à la transformation des formes et des régimes des spectacles, et de l’attention, au sein d’une véritable bataille du temps dans laquelle les artistes sont pleinement engagés.

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Mathieu Lamblin, Directeur adjoint de la Maison de la Culture d'Amiens, a ensuite relevé le défi de faire visiter les différents espaces de la Maison aux auditeurs et auditrices, dont le fameux studio du Label Bleu. Nous remercions également Joséphine Zameo pour son aide précieuse dans l’organisation de la journée.

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Pour finir, Pierre Savreux, Vice-président d'Amiens Métropole chargé de la culture et du patrimoine, et François Decoster, Vice-Président du Conseil Régional des Hauts de France en charge de la culture, du patrimoine, des langues régionales et des relations internationales, maire de Saint-Omer, ont tous deux présenté le volet politique qui sous-tend le développement culturel d’Amiens. Leur objectif est de faire de la ville une métropole culturelle de premier rang, grâce à ses nombreux atouts : c’est la ville de Jules Verne, l’auteur le plus traduit en Europe, celle d’une cathédrale gothique majeure, de la plus grande collection de dessin d’Europe, et la Bibliothèque nationale de France va d’ailleurs installer l’un de ses pôles à Amiens.

La ville est candidate pour être capitale européenne de la culture 2028, avec un programme conçu sur l’itinérance, dans le but de créer une grande vallée de la culture. Plusieurs chantiers sont mentionnés : structurer la filière d’enseignement artistique, quand jusqu’à 100% des étudiants partent étudier hors du territoire (mise en place de la filière S2TMD cette année), placer les artistes au cœur du processus, favoriser le temps long, celui de la préparation, plutôt que presser les rendus à intervalles courts, investir financièrement dans la culture, et dans l’Éducation Artistique et Culturelle. L’ambition aussi de travailler ensemble avec le territoire, en partageant les diagnostics et en coordonnant les décisions, par exemple en proposant de nombreux évènements hors d’Amiens (telles que les séances de cinéma en plein air aux alentours), pour déplacer les centralité, dans une agglomération qui dispose de la compétence culturelle.

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Avant de repartir en train, le groupe du CHEC a eu la chance de visiter la magnifique Cathédrale d’Amiens grâce à Caroline Dolacinski, architecte urbaniste de l’État, cheffe de l’UDAP de la Somme, et les guides.

Les auteurs et auditrices se retrouveront en février prochain pour un module dédié à l’Architecture au Patrimoine.