Quand nous sommes sortis, il y a quelques instants, de la nef vers le parvis au son du grand orgue d’Aristide Cavaillé-Coll, il m’était difficile de ne pas être ému par le poids de l’histoire longue, par la fraternité des communautés ici rassemblées, par la force du monument, par la collision, aussi, de ses codes esthétiques. Les grandes églises ont de fait cette capacité unique de condenser pour le visiteur l’intensité expressive des moments de l’histoire. Que de chemin parcouru, en effet, depuis qu’Anne d’Autriche posa la première pierre d’un monument qui allait se substituer à la petite église paroissiale du Bourg Saint-Germain, devenue trop étroite pour un faubourg en pleine expansion. Devant nous se dresse le résultat d’un chantier multiséculaire, interrompu à plusieurs reprises par les crises politiques à commencer par la Fronde, par les guerres et par le manque d’argent. L’architecte Jean-Nicolas Servandoni et ses successeurs en ont fait l’une des églises probablement les plus italiennes de la capitale, une église dont le portique et la loggia évoquent également la cathédrale Saint-Paul de Londres. Aujourd’hui, c’est l’une des paroisses les plus actives de la capitale : les multiples associations de formation et de soutien que vous accueillez, monsieur le Curé, ont ainsi la chance de fédérer leur action autour d’un lieu où Pigalle, Bouchardon ou encore Delacroix ont laissé leur marque.
C’est la fin d’un chantier très important que nous célébrons aujourd’hui, dont l’échafaudage installé depuis 1999 rendait plus que visible l’existence aux visiteurs et aux Parisiens. Cher Bertrand Delanoë, je suis particulièrement fier d’avoir la chance d’être à vos côtés, aujourd’hui, pour rendre aux Parisiens et aux Français leur église, qui est aussi l’un des monuments majeurs de la capitale. Pour réaliser ce projet, l’Etat a fourni un effort exceptionnel, afin d’apporter un financement à parité avec la Ville de Paris, comme il l’a fait également pour la Tour Saint-Jacques. S’il s’est enfin réalisé, c’est aussi grâce à la collaboration exemplaire des services de la Ville de Paris et ceux de l’Etat, et je tiens à saluer l’engagement remarquable de l’inspection générale des monuments historiques.
Inaugurer une tour, c’est se souvenir du symbole imposant des beffrois qui ont marqué notre histoire. Je pense également à ces vedute de l’époque moderne, où les grandes villes de l’Europe se reconnaissaient à la composition spécifique de leurs multiples clochers. Celui-ci, reconnaissable entre tous par sa taille et son style si caractéristique, a connu comme tant d’autres la fonte des cloches sous la révolution, mais aussi le télégraphe de Claude Chappe, ou encore les obus du siège prussien de 1871. Bien avant le succès récent d’un film américain qui désormais amène ici les visiteurs par milliers en quête de mystères, Saint-Sulpice, c’est pour moi la mémoire de Huysmans.
Dans Là-bas, ce sont les deux compères Durtal et des Hermies qui rendent visite au sonneur Louis Carhaix, ultime représentant d’un métier en voie de disparition face aux assauts de la technique et de la modernité. Au début du roman, ils repèrent une pancarte sur la façade de l’église : « On peut visiter les tours ». 120 ans plus tard, nous nous retrouvons ici à pouvoir répondre à l’invitation du grand romancier.
Je voudrais aujourd’hui rendre hommage au magnifique travail accompli par tous les métiers qui ont rendu possible la réalisation d’un tel projet. Aux côtés des architectes et des ingénieurs, ce sont les grutiers et les tailleurs de pierre, dont le savoir-faire s’inscrit dans la noble histoire des bâtisseurs, qui ont relevé le défi des armatures métalliques, démonté et remonté les colonnes, révisé les structures en bois, remplacé les pierres malades, dans le respect de la cohésion esthétique de Saint-Sulpice. Il s’agissait aussi de rectifier des restaurations antérieures qui s’étaient avérées, tout au long du siècle précédent, peu appropriées en termes de matériaux, le béton et la pierre ne faisant pas toujours bon ménage. Je mentionnerai également la restauration du banc d’œuvre et de la chaire de l’église, un chef d’œuvre d’ébénisterie de la fin du XVIIIème siècle, dont la mise en œuvre, financée par mon Ministère, s’est également achevée l’année dernière. Je suis particulièrement fier aujourd’hui de saluer le travail remarquable de tous ceux qui méritent amplement d’être reconnus comme les magnifiques chirurgiens de Saint-Sulpice.
Aujourd’hui, ce sont Thérèse, Louise, Marie, Henriette et Caroline, les cinq cloches restaurées, entourées des quatre évangélistes, qui vont sonner à nouveau. Elles sont désormais de retour dans ce « paysage sonore » dont Alain Corbin a si finement montré l’importance dans notre histoire du sensible. La sonnerie, qui a si longtemps rythmé la vie urbaine comme la vie rurale de notre nation et de l’Europe, a toujours accompagné toutes les émotions, tous les moments de joie, chrétiens comme laïques. Elle est encore aujourd’hui, pour notre plus grand bonheur, la trace sonore d’un patrimoine partagé.
Je vous remercie.