Ce dîner marque une rencontre : celle de l'institution culturelle avec le monde de l'aéronautique.
La conquête de l’air et la fulgurante avancée de l’aéronautique, en à peine plus d’un siècle, ont été l’une des plus grandes aventures technologiques de notre modernité. C’est une mémoire récente, et pourtant déjà si riche, qui occupe une place de choix dans des domaines les plus variés de notre création artistique : depuis le design jusqu’à notre littérature ou notre cinéma.
Pour autant, le patrimoine aéronautique français est resté en quelque sorte, au même titre d’ailleurs que le patrimoine automobile, un « parent pauvre », en comparaison avec les véhicules ferroviaires ou encore les bateaux protégés : le patrimoine industriel, scientifique et technique a beau avoir été reconnu, dans sa composante mobilière, comme pouvant être classé monument historique en 1970, les aéronefs classés en 2009, lorsque je suis arrivé au Ministère, pouvaient se compter sur les doigts de la main.
Ce sont ces raisons qui ont justifié la signature, le 1er juillet 2009, entre l'Aéroclub de France et le ministère de la Culture et de la Communication, d'une convention visant à développer la protection au titre des archives et des monuments historiques de spécimens, de documents, de souvenirs et d'archives provenant du monde aéronautique français.
Une initiative d’autant plus importante que depuis le « saut de puce » de Clément Ader en 1890, depuis la traversée de la Manche par Louis Blériot en 1909, la France a été pionnière en matière d'aviation.
Un autre aspect de cette histoire relativement courte et si dense à la fois, qui motivait encore plus cette initiative patrimoniale : l'industrie aéronautique a connu une histoire riche et tourmentée du fait du passage rapide de l'ère l'artisanale à celle de la grande industrie, avec des restructurations, des nationalisations. Beaucoup de firmes ont aujourd'hui disparu, et seules Air France et Latécoère ont su conserver l’intégralité de leur documentation. Reconstituer cette mémoire entrepreneuriale, c’est enrichir la connaissance de l’histoire scientifique et technique ; c’est aussi mettre en valeur des pages oubliées de grandes aventures au croisement, bien souvent, de l’esthétique et de l’industrie. Des initiatives remarquables existent déjà dans ce domaine – je pense au travail mené par le Groupement pour la préservation du patrimoine aéronautique, installé près d’Angers.
Il fallait donc agir pour contrecarrer cette relative indifférence que l’on connaît en France vis-à-vis du patrimoine technique.
Le premier objectif de la convention entre l'Aéroclub de France et mon ministère est précisément de recenser, en vue de leur protection au titre des monuments historiques, les aéronefs civils et militaires de construction française ou qui, d'origine étrangère, ont été produits en France et ont joué un rôle important dans l'histoire de notre pays, qu'il s'agisse du Blériot XI, des avions Maurane-Saulnier de l'entre-deux-guerres dont cinq exemplaires, provenant de la collection Salis, unique en France, viennent d'être classés ; du quadrimoteur de transport long-courrier Lockheed Super-Constellation ou du mythique moyen-courrier biréacteur Caravelle de Sud-Aviation - symbole, avec les chasseurs Mystère et Mirage de Dassault-Aviation, d’un renouveau industriel national dans la seconde moitié des années cinquante. Nous célébrons d’ailleurs cette année les soixante ans du premier vol du Mystère IV.
Si la politique de protection du patrimoine de mon ministère se devait de s’ouvrir aux objets mobiliers du patrimoine aéronautique, c’est aussi parce qu’elle s’est modernisée, parce qu’elle vise à protéger et à mettre en valeur des pans entiers de notre mémoire collective qui jusque-là n’étaient pas pris en compte, ou pas assez, par nos dispositifs de classements : et j’ai à cœur que les avions Maurane-Saulnier puissent bénéficier des dispositifs de préservation, de restauration, d’expertise et de mise en valeur dont l’Etat dispose au même titre, par exemple, que ce patrimoine extraordinaire que sont les phares de notre littoral ou encore le canot de sauvetage de l’île d’Ouessant.
À ces aéronefs hors du commun dont la dimension esthétique évidente est porteuse de rêves, il faut également ajouter les reliques de grandes personnalités de l'aviation française, les archives liées à des entités disparues et les œuvres picturales représentant des aéronefs français ou des faits éminents de l'histoire de l'aviation française.
Le second objectif, non moins ambitieux, de notre convention, est de faire en sorte que l'Aéroclub de France puisse apporter au ministère de la Culture une aide à la méthodologie et aux travaux sur les objets protégés.
Ce partenariat exemplaire qui nous lie est destiné à faire école. Mon ministère envisage en effet d'adapter à présent cette formule au recensement, à la protection, à l'aide à la méthodologie de restauration du patrimoine automobile. Je tiens à profiter de cette occasion pour saluer le travail remarquable mené par l'Institut national du patrimoine, pour la formation des restaurateurs, qui s'applique aujourd'hui aux objets issus du patrimoine industriel et, en particulier, de ce que l’on appelle les « patrimoines de la mobilité ».
Mais les machines ne seraient rien sans les hommes qui les conçoivent, les fabriquent et les servent : mettre en valeur la mémoire de l’aéronautique, c’est bien sûr faire une place de choix à des personnalités comme les frères Robert et Léon Maurane et leur associé Raymond Saulnier dont on vient de fêter le centenaire de l'association, Henry Farman, Pierre- Georges Latécoère, Henry Potez, Émile Dewoitine et Marcel Bloch-Dassault, parmi d’autres figures éminentes.
C’est aussi mettre en lumière la mémoire des pilotes illustres, depuis Georges Guynemer, l’as légendaire de la Première Guerre mondiale, et les grands anciens de l'Aéropostale, Henri Guillaumet, Jean Mermoz et Antoine de Saint- Exupéry, dont on commémorera l’année prochaine la première traversée de la Méditerranée ; ou encore celle des grands pilotes d'essais comme Marcel Doret, Léopold Galy ou, plus proche de nous, André Turcat, qui effectua le premier décollage du prototype du Concorde le 2 mars 1969.
L’histoire de l’aviation, c’est aussi, celle des femmes qui très tôt y ont joué un rôle très important, depuis que la baronne de la Roche obtint en 1910 son brevet et les exploits d'Adrienne Bolland, Maryse Bastié, d’Hélène Boucher et de Jacqueline Auriol qui avaient fait la une des journaux du siècle dernier, jusqu'à nos jours avec Catherine Maunoury, double championne du monde et dix fois championne de France de voltige aérienne, aujourd'hui à la tête du musée de l'Air et de l'Espace.
Comme vous pouvez le constater, et vous le savez mieux que moi, la matière ne manque pas. À nous de faire en sorte, ensemble, que cette conviction qui est la nôtre soit plus largement partagée par nos concitoyens. Le travail qui va être mené en commun par l'Aéroclub de France et le ministère de la Culture et de la Communication va nous permettre de mieux restituer le passé d’un patrimoine vivant et de lui garantir une mise en valeur auprès d’un public le plus large possible.
Je vous remercie.