Mesdames et Messieurs,

Chers amis,

Aujourd’hui les parfumeurs, ces nez qui forcent la curiosité, « péninsule[s] » que l’on peut admirer avec Edmond Rostand : « Pour un parfumeur, quelle enseigne ! », ces nez dont Gogol nous rappelle qu’en russe ils sont l’anagramme du mot « rêve » et dont ils se font, à dessein, les explorateurs olfactifs,  investissent pour la première fois de son histoire le ministère de la Culture et de la Communication. Je suis très heureux de vous réunir ici dans la maison de la culture et des créateurs, vous, les enchanteurs secrets du quotidien, dont le savoir-faire et la tradition remonte à l’Egypte pharaonique, héritiers des traditions sacrées, rituelles, médicales voire magiques du parfum, qui, de la chair des dieux égyptiens au sang du Christ, se départit progressivement de son rôle de panacée pour, à partir de la cour de Louis XIV, devenir un objet d’hédonisme et d’art.
L’histoire du parfum, c’est à la fois l’histoire de la séduction, celle des hommes ou des dieux, de la maladie et des précautions hygiénistes comme le montre Alain Corbin dans Le miasme et la jonquille, du plaisir de la toilette, c’est l’histoire de notre propre animalité. Se joue dans le parfum l’étroite ambivalence de l’homme assis entre la civilisation et l’animalité ; c’est l’histoire du raffinement des sécrétions de la nature. Le parfum, c’est également une langue, une terminologie d’une richesse inouïe, qui tisse avec les mots les plus savants comme les expressions les plus familières, des liens entre les odeurs et nos représentations. Condensé de croisements artistiques dont l’art du parfum est l’expression, avec sa parure de verre, de cristal, sa poire, ses flacons ornementés, sculptés, taillés comme des pierres qui ont tout lieu de siéger dans les cabinets de curiosités : l’objet parfum recueille et concentre une préciosité proprement mélancolique.

Et enfin il y a la science des parfums, mélange de botanique, de physique, de chimie, d’extractions d’essences, des corps de synthèse, de molécules, recensement des grandes familles olfactives - les boisés, les fougères, les chypres, les hespéridés, les floraux, les cuirs, les ambrés orientaux - qui font de la composition de parfum une idylle complexe entre l’art et la science.
Richard Bohringer explique à Helen Mirren, dans un film de Peter Greenaway, où il joue le rôle d’un cuisinier, que cuisiner des aliments de couleur noire à ses clients, c’est leur rappeler leur propre finitude et leur offrir ainsi, dans la dégustation, l’occasion de vaincre la mort. Il en est un peu de même avec les parfums. Un parfum, une odeur, parce qu’il est aussi bien évanescent que rémanent, aussi fugace qu’inscrit dans une chair, plonge l’être dans un autre temps, devient le véhicule de la mémoire autant qu’il stimule les nerfs de l’imagination. À l’opposé du superficiel, le parfum, c’est le souvenir éclatant d’une nature indiscrète, le règne des évocations. Pour la plupart d’entre nous, ce n’est pas Le Château de ma Mère, mais bien le « Parfum de ma Mère », sur lequel nous bâtissons nos souvenirs d’enfance.
Le parfum a sa place au Ministère de la Culture. Aujourd’hui ce sont des parfumeurs-créateurs ainsi que la grande tradition de la parfumerie française que j’entends valoriser. Jusqu’à assez récemment, l’art de la parfumerie était essentiellement français ; actuellement plus de deux tiers des 700 compositeurs de parfums sont français. Pourtant ces artistes des odeurs, cachés derrière les marques, ne bénéficient pas, dans leur grande majorité, de la reconnaissance qu’ils méritent. Grâce à cette exposition consacrée aux créateurs de parfums et à leur savoir-faire dans les vitrines du Palais Royal, pour laquelle je remercie la commissaire Annick Le Guérer et le Président de la Société française des Parfumeurs, Patrick Saint-Yves, dont le concours fut précieux, le ministère de la Culture et de la Communication souhaite assurer la reconnaissance d’un secteur éminemment créatif et culturel.
J’appelle de mes vœux qu’à l’instar de l’intelligence de la main, soit reconnue l’intelligence du nez comme métier d’art. Car les parfumeurs sont des acteurs du patrimoine culturel français qu’il faut soutenir, pour que soient assurée et pérennisée la transmission de leur savoir-faire, ainsi que leur liberté de création. Qu’ils soient indépendants, rattachés à des maisons de composition ou encore à des marques de luxe, les parfumeurs ont une place à part entière dans le paysage culturel français.
   
 Le parfum, à l’instar de la musique, est un art du temps, comme le concédait une de ses plus illustres représentants, figure de Commandeur et référence historique, Edmond Roudnitska. Il passe l’épreuve du temps, grâce au travail  de l’Osmothèque dont l’objet est de conserver, rassembler les parfums existants, mais aussi reconstituer les chefs-d’œuvre du passé. Bibliothèque des effluves, des évanescentes, laboratoire contre l’usure du temps, je tiens à saluer très chaleureusement l’Osmothèque de Versailles pour son rôle de sauvegarde et de détenteur du savoir artistique de l’une de nos plus belles traditions culturelles.
« Parfumeur, ton nom est personne » : voici une célèbre formule devenue aujourd’hui caduque. C’est dans cet esprit de valorisation et de reconnaissance que j’ai voulu rendre hommage à des créateurs-parfumeurs de grands talents, qui enrichissent, renouvellent et transmettent leurs savoir-faire, leur technicité, qui éveillent nos sensibilités.

Chère Daniela Andrier,
« J’appartiens à un pays que j’ai quitté. À cette heure s’y épanouit au soleil toute une chevelure embaumée de forêts… Viens, toi qui l’ignores, viens que je te dise tout bas : le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose… Tu jurerais, quand l’automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu’une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches, et tu la flaires ici, là-bas, tout près… » Ces mots de Maurice Genevoix dans Raboliot, pourraient, en dehors du contexte géographique, être les vôtres - écho et résonance des odeurs dans la nostalgie du passé, quand perdre le contrôle de ce que l’on perçoit ouvre les portes de la mémoire. Vos apprentissages, vous les devez à de douloureuses séparations, celle de votre pays, l’Allemagne, de votre langue, de votre mère, de son parfum Rive Gauche d’Yves Saint Laurent dont vous réaliserez, bien des années plus tard la mise aux normes de la formule. Pendant vos études de philosophie à la Sorbonne, c’est la découverte du métier de parfumeur qui vous offrira pleinement l’occasion de retrouver vos absents.
Le parfum appartenait pour vous à ce « côté très enchanté du monde » qui donne à la mémoire sa profondeur. Selon vous, « le parfum accompagne notre présent comme une petite musique et il faut qu’il soit puissant pour laisser après notre mort une trace ». Lorsqu’on débouche une bouteille de parfum, quand on presse la poire, ce n’est pas un monde monolithique qui refait surface. Ce qui se projette sur la peau, dans l’espace, ce sont ce que vous appelez ces «petite[s] musique[s] » comme la «petite phrase » de Vinteuil qui chez Proust faisait ressurgir chez Swann les souvenirs du bonheur perdu.
Vous faites d’abord vos classes lors d’un stage chez Chanel, puis un autre chez Robertet, avant d’intégrer l’école de parfumerie de Roure, grâce au parfumeur de la maison Chanel, Jacques Polge. Vous intégrez ensuite la société Roure, aujourd’hui devenue Givaudan, en tant qu’assistante d’Edouard Fléchier, le créateur des provocations mordantes comme Poison de Dior, avant de devenir maître-parfumeur. 
Votre collaboration avec Madame Prada, dont le travail et l’univers vous inspirent, donne naissance à des compositions olfactives dans le sillage de la créatrice de mode,  particulièrement raffinées et originales, dont Iris et Infusion d’Iris, ou encore Infusion de fleur d’oranger, Infusions éphémères, Prada Homme, et le dernier-né Prada Candy aux accents poudrés gourmands, constituent une gamme à part entière de la maison Prada et contribuent à enrichir le monde de fragrances qui n’existaient pas. En dehors d’être le nez attitré de la maison de couture, vous avez également créé et réalisé avec un savoir et une sensibilité peu commune, Le Monde est beau de Kenzo, She d’Emporio Armani, Contradiction de Calvin Klein, Angélique Noire de Guerlain. Vous réinventez sans cesse de nouvelles effluves pour les grandes marques et maisons de luxe, en réinterprétant leur esprit et en les conjuguant avec votre savoir et votre sensibilité. Aventure de liberté et de découverte créative qui font de vous, un créateur-parfumeur très inspiré. À chaque fragrance, sur chaque peau, s’écrit un scénario différent dont vous avez le secret.
Chère Daniela Andrier, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.

Chère Françoise Caron,
L’Eau d’Orange Verte pour Hermès est votre chef-d’œuvre. Créé en 1979, ce « splash Cologne », must indémodable de chic aux notes hespéridées, ne cesse de séduire depuis plus de trente ans. C’est un parfum lumineux et frais, qui évoque aussi bien une jovialité fugace qu’une pudeur distinguée, faisant rimer raffinement avec simplicité. Elle s’inscrit dans le sillage de l’Eau de Cologne, « eau admirable » créée par Jean-Marie Farina qui, au XVIIIème siècle, contrastait avec les essences plus connues comme l’huile de santal, l’huile de cannelle ou encore le musc, tout en apportant à la fraîcheur qui fit son succès, le soleil fruité  de la bergamote, du citronnier, de la mandarine et de l’orange. Jus tonique et fruité, qui ne se résume pas à la sensation de propre quand on s’en frictionne, l’Eau d’Orange Verte, donne un élan altier au corps et à l’esprit. Grâce à votre spontanéité, vous êtes parvenue à apporter à l’Eau de Cologne, cette fragrance légendaire subtile et légère, une rondeur sèche, une douceur amère.
   
Lorsque vous intégrez l’école de parfumerie de Roure, les femmes sont exceptionnellement rares dans la profession, vous faites alors figure de pionnière. Depuis votre enfance grassoise vous baignez dans l’univers des senteurs : il s’agit d’une sensibilité familiale dont votre frère, Olivier Cresp, aura également hérité. Après 23 années passées dans la maison de composition Givaudan, vous entrez chez Quest International en 1995, et depuis 5 ans c’est chez Tagasako que vous continuez d’enrichir votre langage volatil.
Vous avez composé de nombreux floraux comme Michèle de Balenciaga, Ombre Rose de Jean-Charles Brosseau, dominée par l’iris d’Italie, rehaussée de notes fruitées et poudrées avec le miel et la vanille, la pêche et l’ylang-ylang, parfum de réminiscence du luxe Art déco jusque dans le flacon, mais aussi Choc de Cardin, ou encore Iris Nobile pour Acqua di Parma, en duo avec Francis Kurkdjian.  Apparition d’Emanuel Ungaro est un floral-fruité où la rose, associée à la fleur de la passion, réchauffe les notes de têtes de framboise. Avec Angel Violet, fragrance culte de Thierry Mugler créée par votre frère, vous faites entrer la violette parmi les essences « Very Irresistible » du mythique et novateur Angel.
Si vous travaillez pour les grandes marques, vous aimez également créer pour les marques dites de « niche » pour la liberté qu’elles laissent aux parfumeurs. Vous avez ainsi créé, pour Astier de Vilatte, une Eau Chic, une Eau de Cologne, une Eau Fugace et une Eau de la Commune, et pour Le Labo, Fleur d’Oranger 27, un jus qui s’inspire de tous les agrumes du jardin de vos parents.
Chère Françoise Caron, vos créations gracieuses, à mille lieux des essences empesées propres aux séductions gauches et des étiquettes trop sexuées, nous offrent des fragrances simples, pures, inoubliables. Je suis très heureux, au nom de la République française, de vous faire Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. 

Cher Olivier Cresp,
Dans l’odeur du patchouli, on dit reconnaître les routes de l’Asie, la pureté du camphre et la chaleur mêlée de l’humus.
Essence malmenée si elle est indélicatement extraite, essence presque disparue pendant dix années après le ravage d’El Niño dévastant les plantations d’Asie du Sud-est, essence camouflée à coup de roses ou d’ylang-ylang, il fallait l’inventivité d’un parfumeur aussi gourmand qu’Olivier Cresp pour associer la brutalité et la splendeur du patchouli avec quelques grammes de chocolat et le sucre d’une pomme d’amour, celle des fêtes foraines de nos enfances, pour révolutionner la parfumerie.
En 1992, vous créez Angel, pour Thierry Mugler : un parfum novateur, un parfum « blockbuster », pourrait-on dire, tant son succès est international, féminin et masculin, intimiste et séducteur à la fois. Avec Angel, c’est également le patchouli, cette fragrance que vous chérissez tant, que vous remettez au goût du jour. Une révolution, si l’on en juge par les centaines de dérivés d’Angel qui ont vu le jour depuis.
Dans le domaine des parfums phares, vous êtes le roi du trouble. Ni masculins ni féminins, ils révèlent les personnalités en fusionnant avec la peau. Les hommes portent depuis longtemps Angel et les femmes portent déjà votre dernier-né, Kokorico, siglé Jean-Paul Gaultier. Célèbre lanceur de tendances aux notes sucrées, Angel n’est qu’un exemple des multiples « réveils » olfactifs que vous avez fait naître.
En naissant à Grasse, on pourrait croire votre destinée déjà toute tracée. Depuis vos arrière grands-parents, votre famille brasse les cultures de rose et de jasmin les plus nobles, en tant que négociants de matières premières. Les senteurs pures d’hespéridés, de tubéreuses, d’œillets et d’aldéhydes sont les mélodies que votre père vous fait découvrir. À vous, à votre frère Jean, et à votre sœur Françoise Caron. Un talent de famille.
À sept ans, en tout cas, vous savez que vous serez parfumeur et dans votre chambre, vous découvrez en cachette la joie des subtils mélanges d’essences. Le bac en poche, vous partez aux Etats-Unis travailler pour la société Biddle Sawyer qui vous fait découvrir la chromatographie et les arômes alimentaires. Pour ceux qui connaissent votre univers, on sait combien cet apprentissage a été crucial. Les connotations gustatives dans vos créations font partie de votre signature, depuis les pralines-chocolat d’Angel, aux citrons de l’Eau de Kenzo pour homme ou café et fève de Tonka dans Gloria de Cacharel.
Vous rentrez à Paris auprès de De Laire, connue pour la qualité de ses bases pour les marques Guerlain et Chanel, et passez par la Hollande chez Naarden -devenu Quest, où vous rencontrerez un autre mentor, Pierre Bourdon, avant de revenir à Grasse. Depuis 1992, c’est chez Firmenich que vous œuvrez en magnifiant la « fragrance fine ». Vos idées émergent après une ballade en forêt, une cueillette de champignons, un plat cuisiné, ou une chanson comme celle des Rolling Stones qui vous inspirera Gloria.
Nommé maître parfumeur en 2002, titre très convoité dans votre profession, vous avez branché l’art du parfum sur une époque, en utilisant toutes les ressources possibles des évocations épicuriennes.
Cher Olivier Cresp, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

Cher Dominique Ropion,
Le parfum prend chez vous le chemin de l’euphorie, avec Nuit de l’homme, celui de l’étrangeté aussi, du Poison pur.
Vos créations évoquent la densité, la réflexion, les âges et les époques à venir. Des rencontres, des chocs d’avant-garde aussi lorsque vous collaborez avec Frédéric Malle - je pense par exemple au Géranium pour Monsieur.
Votre mère et votre grand-père travaillent pour Roure, aujourd’hui Givaudan, considéré alors comme l’une des grandes sociétés de la parfumerie du 20ème siècle. Même si cet univers vous est familier, vous lui préférez les rigueurs de la physique que vous poursuivez lors de vos études supérieures, jusqu’au jour où un stage en chromatographie vous mène de nouveau à Roure. Encouragé par son président, Jean Amic, ainsi que par les parfumeurs Jean-Louis Sieuzac et Pierre Bourdon, vous intégrez l’école de parfumerie de la société pour laquelle vous travaillerez, après trois années passées à Grasse.
Votre premier coup d’éclat apparaît pour Givenchy en créant en 1984 - et à seulement 27 ans - l’opulent et désormais très classique Ysatis. Vos partenariats avec Florasynth, Dragoco et International Flavors & Fragrances que vous intégrez en 2000, accompagnent votre brillante carrière de parfumeur de caractère, autant que d’esthète raffiné et exigeant.
Vous développez des idées tournées vers les fleurs : jasmins, roses tubéreuses, fleur de cassie, sans oublier la fleur d’oranger avec laquelle vous aimez jongler sur ses métamorphoses. Côté animal, c’est la civette, le castoréum ou l’ambre gris. Le tout se révèle avec le santal.
On vous dit perfectionniste et humble, aussi manuel que technique. Vous abordez la matière en artisan et en scientifique, pour cerner la constitution profonde de la matière que vous affectionnez, puis vous magnifiez ses contours, ses volumes et ses contrastes pour en faire surgir une personnalité, tel un sculpteur ou un architecte, déclinant ainsi une véritable « forme » olfactive.
Vos œuvres olfactives ne s’adressent pas seulement à un circuit restreint. Votre neuvième collaboration avec l’éditeur Frédéric Malle, A Portrait of a Lady a été récompensée du Prix France 2011 du parfum de l’année ; et vos quelques soixante fragrances dont les aspérités parfois ont été arrondies telles qu’Alien de Thierry Mugler, Code for Woman d’Armani, L’Homme d’Yves Saint Laurent ou Soir de lune de Sisley, appartiennent aux circuits larges de la parfumerie classique et sont considérés comme d’immenses succès. Le prix international du parfum que l’on vous a décerné en 2008 en atteste.
Rendant grâce à l’artisanat noble de la parfumerie, associant à votre rigueur l’exigence de la forme et de la réflexion, vous contribuez à l’excellence et à l’avant-garde de l’univers olfactif français.
Cher Dominique Ropion, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.

Cher Maurice Roucel,
De la recherche scientifique à la matière sensible, vous êtes un penseur en senteurs dont les créations expriment un retour aux matières premières, en quête des sources mêmes des émotions olfactives..
Chimiste de formation, vous avez débuté vos recherches au CNRS sur la synthèse organique, puis vous vous dirigez vers la chromatographie, qui vous permet de séparer et d’identifier les matières premières. L’amour de l’analyse, des molécules, de la réduction de la matière ont fait de vous un « explorateur qui se promène dans les formules ». Quand la maison Chanel recherche un chimiste, vous vous présentez  chez Henri Robert et mettez un pied dans le monde de la parfumerie. Votre passion : connaître les propriétés des senteurs, et l’expérience des émotions olfactives : l’Eau Sauvage de Dior, que vous avez découvert jeune homme et le n°19 de Chanel, qui vous fait « l’effet d’un diamant  dont chaque facette reflèterait une lumière différente ». Le nez dans les livres, vous peaufinez votre savoir dans la vaste bibliothèque de Chanel. Votre signature va finir par émerger, simple, généreuse et sensuelle, à la fois épurée et proche d’un courant pictural qui vous est cher, le fauvisme.
   
Pendant six ans, vous apprenez à connaître les multiples richesses des matières premières. Vous êtes embauché comme parfumeur chez International Flavors&Fragrances, puis rejoignez PPF Bertrand Frères, devenu Quest, puis Givaudan. Aujourd’hui vous travaillez chez Symrise.
Fasciné par l’Ambroxan, molécule de synthèse devenue indispensable dans la parfumerie d’aujourd’hui, qui se rapproche de l’Ambrox, et permet de remplacer l’Ambre gris naturel, mais aussi par le Muscone, qui donne une odeur musquée ou érotique, doucement animale, par la fleur de Magnolia, que vous avez utilisé pour la première fois dans 24 Faubourg pour Hermès, vous  avez ce don de renouveler des odeurs familières : la fleur de violette, qui nous semble à la fois inédite et familière dans votre création pour Guerlain, Insolence, dans lequel vous n’hésitez pas à lui ajouter des fruits rouges ainsi qu’une touche de fleur d’oranger et de rose.
L’ensemble de vos créations s’appuient sur votre découverte de toutes les familles olfactives que vous aimez parcourir, et leurs déclinaisons en une formule personnelle, comme pouvait le faire Edmond Roudnitska. L’Instant de Guerlain est né ainsi de la rencontre avec l’univers de Sylviane Delacourte.
Il y a aussi l’extraordinaire Musc Ravageur, théâtral et mystérieux, conçu comme un « acte de séduction et de générosité », et Dans tes bras,  un quatremains avec Frédéric Malle, parfum sculpté dans de gros blocs de « bois de Cachemire », de santal, de musc et de patchouli, renforcé d’un cocktail de salicylates et d’encens, adouci d’héliotropine, et coloré par un accord de violette.
Parfumeur primé du Prix François Coty en 2002, vous êtes un créateur prolixe, d’une inventivité particulièrement variée. Nez libre et esprit aventureux, au service de l’élan, de la quête et du spirituel.
Cher Maurice Roucel, au nom de la République française, nous vous faisons Chevalier de l’ordre de l’Arts et des Lettres.