Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remisedes inisgnes d'Officier dans l'Ordre des Arts et des Lettres à FayeDunaway

Chère Faye Dunaway,

La première fois que vous êtes venue à Cannes c’était pour remettre la
Palme d’or à Wim Wenders pour son film Paris-Texas. Aujourd’hui, si vous
êtes l’égérie de la 64ème édition du festival de Cannes, c’est qu’en dehors
d’une beauté menaçante aux jambes interminables et aux yeux ciselés
dans le jade, vous incarnez, par votre grâce, votre sophistication et votre
intelligence des personnages, un « rêve de cinéma ». Je suis
particulièrement heureux de rendre hommage à une actrice qui a su
concilier le glamour et la vulnérabilité, le chic et le névrosé enfin, une
actrice pour qui, selon la formule heureuse de Rourke/Bukowski à propos
de Wanda dans Barfly de Barbet Schroeder, « déesse » peut rimer avec
« détresse ». Car vous êtes, en effet, l’actrice des conflits internes, de
toutes les ambivalences.

Bonnie Parker est selon vos dires le personnage dont vous vous êtes
sentie le plus proche, n’est-ce pas ? Un an après la sortie du film d'Arthur
Penn, Serge Gainsbourg et Brigitte Bardot chantaient « Vous avez lu
l’histoire de Jesse James ? Comment il vécu, comment il est mort ? Ça
vous a plu, hein ? Vous en d’mandez encore. Et bien, écoutez l’histoire de
Bonnie and Clyde… » Si les destinées diffèrent, si vous ne les suivez pas
dans l'enfer de gang Barrow, c'est tout le contraire..., vous avez eu le
sentiment, comme elle, qu’un jour la petite fille du sud que vous étiez
tiendrait sa revanche. Alors écoutons maintenant l’histoire d’une ascension
fulgurante, l’histoire de Faye Dunaway.

Après avoir suivi des cours de théâtre à l’American National Theater and
Academy, vous êtes remarquée par Lloyd Richards dans « Sorcières de
Salem » d’Arthur Miller et recommandée à Elia Kazan, alors en quête de
jeunes talents pour le Lincoln Center Repertory Company qui venait d’être
créé. C’est un rôle dans « Hogan’s goat » qui vous fait un nom dans le
milieu du spectacle. En 1967 Sam Spiegel vous fait signer votre premier
contrat pour « The Happening » d’Elliot Silverstein avec Anthony Quinn
pour partenaire. Puis vous êtes engagée par Otto Preminger pour tenir le
rôle inattendu d’une jeune fermière sudiste pour les besoins de « Hurry
Sundown ». Ensuite la belle Faye fait entendre son talent au monde entier
aux tac-tac-tac rythmés des mitraillettes dans « Bonnie and Clyde », qui lui
vaut une première nomination à l’Oscar et un Donatello italien.

Votre carrière est lancée, vous travaillez avec les plus grands acteurs
hollywoodiens, Kirk Douglas, Steve McQueen, Dustin Hoffman, Robert
Redford, Paul Newman, Johnny Depp en qui vous voyez un prince, une
sorte de Gérard Philippe entre autres, sous la direction de réalisateurs de
renom et continuez à partager avec vos personnages une vulnérabilité mal
dissimulée qui rehausse votre éclat. On se souvient d’une ancienne covergirl
lancée dans une quête désespérée de sa propre identité dans
« Portrait d’une femme déchue », de Louise Pendrake le grand amour de
Dustin Hoffman dans « Little big man », d’une productrice de télévision
inquiétante dans « Network, main basse sur la télévision » en 1977,
couronné d'un Oscar en 1977 et du Golden Globe de la meilleure actrice,
sans oublier la drôle de dame de Chinatown.

Puis vous vous retirez à Londres désireuse d’affirmer votre liberté à l’égard
des productions hollywoodiennes, où cependant vous conciliez brillamment
le métier d’actrice et celui de maman. « Barfly » en 1987 marque le retour
fracassant d’une Faye Dunaway transformée à la mine alcoolisée et aux
cheveux défaits. En 1993 vous décidez de tourner avec de jeunes
cinéastes et tournez dans « Arizona Dream » d’Emir Kusturica, avec son
cortège de fantaisies. Vous ne négligez néanmoins pas le petit écran où
vous devenez l'héroïne d'une sitcom « It Had to be You » ; la série est
malheureusement annulée après quatre épisodes. Puis vous contactez
l'acteur Peter Falk qui attendait de trouver la comédienne idéale pour
interpréter un rôle dans son épisode « Meurtre aux deux visages »,
performance pour laquelle vous recevez l'Emmy Award de la meilleure
actrice. En 2001, après trente-trois ans passés sous les feux des
projecteurs vous devenez productrice et réalisatrice de « Yellow Bird ».

Votre filmographie impressionnante conjugue le cinéma d'auteur et le
cinéma grand public ; elle contribue à forger votre mythologie personnelle
à mi-chemin entre la star inaccessible - à l'instar d'une Garbo ou d'un Ava
Gardner - et la simplicité d'une Jane Fonda. Vous incarnez ainsi un « rêve
américain » frotté aux failles de l’humanité, une Gatsby [titre de son
autobiographie : A la recherche de Gastby, 1996] au féminin belle et
rebelle, une star lumineuse, riche de cet éclat dont certains disent qu’il
vous distingue.

Chère Faye Dunaway, je tiens à saluer en vous une comédienne qui n'a
pas eu peur de se dépouiller des fastes du glamour hollywoodien, de
s'affranchir de l'image stéréotypée des beautés intouchables. Votre
immense générosité a conduit l'héroïne platine que vous étiez à donner
une grandeur aux personnalités qui portent une faille intime, un secret
préservé, une blessure mal refermée.

Aussi, chère Faye Dunaway, au nom de la République française, nous
vous remettons les insignes d'Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres.