Monsieur le Président de la Société civile des Auteurs-Réalisateurs-Producteurs (l’ARP), cher Radu MIHAILEANU,Monsieur le Député, Président du Conseil général, cher François SAUVADET Monsieur le Sénateur-Maire de Dijon, cher François REBSAMEN,Chers amis,

Si je vous dis : « Ensemble, c’est tout », vous comprendrez tout de suite le sens de ma visite à Dijon et de ma présence parmi vous.
C’est d’abord pour rendre hommage au créateur de l’ARP et de ces rencontres, dont vous avez honoré la mémoire hier, à celui qui a rejoint, au début de cette année, d’autres figures illustres du cinéma français qui nous manquent tant aujourd’hui.
Oui, la première raison de ma présence parmi vous est de l’ordre de l’émotion, qui est le moteur de nos métiers, et c’est une pensée intense qui me porte vers Claude BERRI, qui était l’exemple même de l’auteur-producteur, qui a marqué de manière si profonde et tellement singulière les quarante dernières années de notre cinéma. Il sera toujours présent parmi nous, puisque par le cinéma, nous le savons tous, « la mort cesse d’être absolue ». C’était un homme avec ses failles et ses souffrances aussi, qu’il nous avait dépeintes sans ornements, de manière touchante et juste, dans son livre de mémoires ; un amateur d’art hors pair ; un ami fidèle et engagé.
Avec vous, je pense à lui, je pense à CLAUDE et, bien sûr, à sa famille qui poursuit son œuvre.
La seconde raison de ma présence parmi vous, c’est que j’ai voulu marquer ma reconnaissance à l’égard de l’ensemble des membres de l’ARP qui ont été ces derniers mois un soutien précieux, parce qu’indéfectible et courageux, lors des débats que nous avons menés, ensemble, en faveur de la défense et de la réhabilitation du droit d’auteur, avec les deux lois dites HADOPI.
Car cet engagement qui, sans doute, allait de soi pour une société civile d’auteurs, a été renforcé, et c’est un point capital, par des prises de position individuelles courageuses, qui sont allées très largement à contre-courant d’une certaine démagogie, qui n’était, en fait, que le masque jovial du défaitisme. Les droits des auteurs ont été conquis de haute lutte au fil des siècles, depuis BEAUMARCHAIS, et au gré des évolutions technologiques qui les ont régulièrement mis au défi. HADOPI n’est qu’une nouvelle page de cette histoire du droit des auteurs.
Et je suis heureux de constater que cet engagement a été partagé par les élus de la ville et de la circonscription où les « Rencontres de l’ARP » ont désormais, depuis 4 ans, leur domicile. J’ai donc à cœur de remercier François SAUVADET dont le soutien a été sans faille et qui a entraîné dans son sillage la majorité de son groupe à l’Assemblée nationale ; merci, Monsieur le Président !
Je tiens aussi à remercier François REBSAMEN qui, avec nombre des collègues de son groupe au Sénat, a adopté une attitude souvent bienveillante et constructive à l’égard des intentions du gouvernement sur ce texte : merci également à vous, Monsieur le Sénateur-Maire !
Le texte, vous le savez, a été adopté ; le Conseil constitutionnel ne devrait plus tarder maintenant à se prononcer. Le processus, plus préventif que répressif, je le répète, lancé par la mise en place de la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet, sera effectif dans les semaines qui viennent
L’envoi du premier mél d’avertissement à l’internaute indélicat va sans doute soulever bien des commentaires et nourrir des milliers de pages de blogues incandescents ! Cela ne doit pas nous détourner de ce qui, pour le ministre de la Culture et de la Communication que je suis, constitue l’essentiel : comment faire pour que l’offre légale des films de cinéma sur Internet devienne un succès ?
Notre devoir à tous, c’est de réinventer des règles du jeu favorables au cinéma français et à sa créativité dans l’horizon numérique qui est désormais le nôtre. Car c’est dans l’écran d’Internet notamment que nous trouverons l’instrument du renouvellement et de l’élargissement du public du cinéma. La dernière Enquête sur les pratiques culturelles des Français, publiée cette semaine au Ministère de la Culture et de la Communication, le confirme amplement.
C’est pourquoi j’ai toujours dit que les lois HADOPI ne sont qu’un préalable nécessaire, mais non suffisant. La régulation mise en place est le premier trait d’un cercle vertueux de financement de la création, et notamment du cinéma, à l’image de celui qui a fait ses preuves à l’ère analogique.
C’est pourquoi je veux aujourd’hui vous inviter à ce que nous élaborions ensemble un nouveau pacte pour la création cinématographique à l’ère numérique.
Ce nouveau pacte, qui réunira tous les acteurs de la filière numérique, doit nous permettre de construire un nouveau cycle, équivalent à celui qui présidait au financement du cinéma à l’ère analogique.
Je sais que les débats et les propositions vont bon train. On a parlé de « contribution créative », on parle aussi de nouvelles taxes. Mais pour moi, le chantier qui s’ouvre à nous ne peut évidemment se réduire à de telles formules.
Entendons-nous bien : je n’ai rien contre les contributions, rien contre les taxes, mais je souhaite que le nouveau dispositif s’inscrive dans la continuité du financement solide et durable de la création cinématographique, tel que nous l’avons connu dans l’ère analogique.
Je tiens, en particulier, au principe d’une contribution active à l’économie du secteur de la part de tous ceux qui diffusent le cinéma : c’est le sens de ce nouveau pacte auquel je vous appelle aujourd’hui à associer les nouveaux acteurs de la diffusion cinématographique.
Je sais qu’à travers les thèmes des différentes tables rondes que vous avez organisées, ici à Dijon, se dégage une même attente et un même principe : le besoin absolu de solidarité de l’ensemble de la filière, qui est le soubassement de notre système de régulation culturelle « à la française ».
Ce nouveau pacte de développement de la création nous demandera d’articuler et de faire converger intelligemment les différentes pistes de travail explorées actuellement et que voudrais rappeler brièvement :
Autour de la loi HADOPI, nous avons, par l’accord signé rue de Valois le 6 juillet dernier, modernisé sérieusement la chronologie des médias, qui est un élément déterminant du financement des films. Cet accord me semble adapté à la situation de transition dans laquelle nous nous trouvons, où les services dits « non linéaires » sont en train de se développer, sans avoir encore pris le relais des financements traditionnels de la création. Il a certainement vocation à évoluer à l’avenir et il doit le faire en fonction de ce que sera la contribution de ces nouveaux services.
Car il faut maintenant définir les contributions au financement de la création cinématographique apportées par les « Services de médias audiovisuels à la demande », les fameux « SMAD ». C’est un exercice très complexe, compte tenu de la diversité des offres et des opérateurs, et un défi que, là aussi, nous ne pourrons relever qu’ensemble.
Enfin, la question maintes fois soulevée du principe d’une rémunération minimale des ayants droit, quel que soit le prix payé par le public pour l’accès à une œuvre est traitée dans une ordonnance que je vais bientôt présenter au Conseil des ministres. Ce sera un progrès important dans les relations entre éditeurs, distributeurs et ayants-droit.
- J’ai aussi, vous le savez, souhaité que s’ouvre une réflexion plus large sur le développement de l’offre légale. Patrick ZELNIK, Jacques TOUBON et Guillaume CERUTTI, qui ont d’ores et déjà mené un travail efficace de consultation des organisations professionnelles, d’entreprises, d’associations de consommateurs et d’internautes, me remettront dans les prochaines semaines leurs propositions. Je voudrais vous dire qu’au-delà des conclusions des rapporteurs, je n’exclus pas la création d’un groupe de travail permanent de veille sur ces sujets en évolution constante et rapide.
3 – De même, la mission que le Premier ministre a confiée à Marie-Dominique HAGELSTEEN sur les relations d’exclusivités dans le domaine de la télévision payante doit retenir toute notre attention. La question des exclusivités est, en effet, au centre des accords que je vous encourage à conclure avec les opérateurs de télévision. Le régime des exclusivités dans le cinéma doit être mesuré à l’aune de la question du financement des œuvres, dans l’intérêt général.
4 – Enfin, j’ai proposé que soit inscrit, dans le cadre du Grand Emprunt lancé par le Président de la République, un plan de numérisation du patrimoine (qu’il s’agisse de films, de programmes audiovisuels ou de livres), car il y a là un enjeu culturel de premier ordre et un investissement pour l’avenir. L’exception culturelle n’aurait plus grand sens si les œuvres n’étaient plus aux normes techniques exigées pour leur diffusion. L’enjeu concerne aussi bien la création d’aujourd’hui que celle du passé, dont la pérennité dépend aussi des techniques que nous sommes capables de mettre à leur service. C’est aussi dans cette perspective que j’ai confié une mission à un groupe d’experts conduit par Marc Tessier afin d’étudier les conditions de la numérisation et de la mise en ligne des fonds des bibliothèques.
Dans le même ordre d’idées, il faut garantir la possibilité que les œuvres soient légalement exploitées. Vous avez, ce matin, évoqué le copyright et le droit français. Je ne veux plus que des organisateurs de rétrospectives puissent se plaindre de ne pas avoir accès à telle ou telle copie de films pourtant essentiels à la culture de tous, à cause d’un obscur conflit entre ayants droit, alors que des versions pirates du même film circulent souvent allègrement sur Internet ! La numérisation et la garantie d’une exploitation permanente et suivie des œuvres vont à mon sens de pair.
C’est donc à partir de l’ensemble de ces travaux que nous devons rassembler des propositions cohérentes, qui permettent au cinéma, à tous les cinémas, d’entrer avec assurance dans le monde numérique.
J’ai déjà eu l’occasion de dire en d’autres lieux que mon projet le plus cher est de développer dans notre pays la culture pour tous et pour chacun.
L’évolution des pratiques culturelles de nos concitoyens montre qu’il reste encore beaucoup à faire et renforce ma détermination à agir. Il apparaît aussi clairement que c’est dans le domaine du cinéma que l’accès du plus grand nombre à la culture a connu les progrès les plus tangibles au cours de ces dernières années.
C’est ma responsabilité, mais c’est aussi la vôtre, de faire en sorte que cette tendance se confirme et qu’Internet y participe pleinement en facilitant l’accès aux œuvres. Vous allez cet après-midi évoquer les salles de cinéma. Je voudrais redire ici le message que j’ai transmis il y a quelques semaines aux exploitants : je suis particulièrement attaché à l’existence des salles de cinéma de proximité, qui sont une spécificité très française. Je mettrai tout en œuvre pour leur permettre de retrouver un nouveau souffle au moment où certaines d’entre elles sont fragilisées par la crise. Là encore, la solidarité doit être totale.
Depuis plusieurs mois, beaucoup de films m’ont convaincu de la vitalité et de la créativité remarquables de notre cinéma aujourd’hui. Croyez que je suis, plus que tout autre, conscient que cette créativité a un prix ; qu’elle ne s’impose pas toujours comme une évidence à ceux qui ont le pouvoir de décider du financement d’un projet.
En somme, ce nouveau pacte auquel je vous appelle aujourd’hui, n’est qu’un moyen en vue d’un fin qui est toujours de favoriser et de développer une production vivante et abondante, mise au service de l’exigence, de l’audace et de l’innovation, afin que le cinéma puisse continuer de nous étonner, de nous émerveiller, de nourrir nos interrogations sur « le monde comme il va ». Pour défendre cette conception, vous savez que vous me trouverez toujours à vos côtés.
Louis DELLUC a dit du cinéma qu’il était « le fils de la mécanique et de l’idéal des hommes ». Aujourd’hui qu’il est devenu en quelque sorte « le fils du numérique », c’est notre ambition qu’il continue d’incarner « l’idéal des hommes ».