Cher François Le Grix,

« Le monde moderne est le mélange de son futur et de son passé ; il estextrêmement peu son présent ». Cette phrase d’apparence assez sibylline,c’est d’André Malraux qui l’a prononcée en 1967 devant l’AssembléeNationale. Elle désigne, je crois, un aspect de notre conditioncontemporaine, sur lequel joue précisément l’architecte d’intérieur quevous êtes : vous savez décorer comme aucun autre, entre classicisme etcontemporain, les intérieurs de nos imaginaires.

Cher François Le Grix,

« Le monde moderne est le mélange de son futur et de son passé ; il est
extrêmement peu son présent ». Cette phrase d’apparence assez sibylline,
c’est d’André Malraux qui l’a prononcée en 1967 devant l’Assemblée
Nationale. Elle désigne, je crois, un aspect de notre condition
contemporaine, sur lequel joue précisément l’architecte d’intérieur que
vous êtes : vous savez décorer comme aucun autre, entre classicisme et
contemporain, les intérieurs de nos imaginaires.

Un premier regard sur le portrait de votre famille suffirait presque à penser
que vous étiez prédestiné à cette vocation. Dès votre plus jeune âge, vous
êtes immergé dans l’environnement des beaux-arts. Votre père, Jean
Metthey, est à l’époque marchand de tableaux et expert ; votre mère, quant
à elle, est artiste peintre. On retrouve aussi cette propension aux arts et à
l’artisanat chez votre grand-père paternel : il était céramiste. Cette culture
artistique, vous la perfectionnerez à l’École du Louvre, dans les classes du
« grand genre ». Jeune diplômé, on pourrait presque dire a posteriori que
votre carrière était déjà lancée.

En 1968, vous êtes nommé assistant décorateur puis, deux ans plus tard,
chef de projet chez Jansen, l'une des plus prestigieuses maisons de
décoration du XXe siècle. C’est marqué de l’empreinte de Stéphane
Boudin, lui aussi décorateur et ancien directeur de la maison, que vous
affinez votre regard. Je rappelle que c’est à lui que l’on doit une grande
part de la rénovation des intérieurs de la Maison Blanche - à la demande
de la Première Dame des États-Unis de l’époque, Jacqueline Kennedy.

Chez Jansen, on vous confie des projets d’envergure. Ce sont cinq années
au cours desquelles vous travaillez auprès de clients de renom, des clients
exigeants, perfectionnistes aussi. Cinq années à scruter les règles du
genre, celles qui fondent la notoriété de Jansen. Puis vous décidez de
quitter la rue Royale pour créer votre propre bureau d'architecture
intérieure. Nous sommes en 1973.

Vous vous hissez rapidement parmi les décorateurs les plus en vogue du
métier. Votre griffe, souvent assimilée à une certaine image du style
français, est très loin d'en résumer toutes les tendances. Les quelque
quatre cents projets d’exceptions que vous signez dans le monde en sont
la démonstration.

D’un côté, il y a vos conceptions de résidences privées, éblouissantes de
finesse. De l’autre, les prestigieux palaces qui n’ont pas hésité à vous
confier le mandat de réaménagement des lieux.

Tâche complexe et délicate, surtout lorsqu’il s’agit d’édifices marqués par
l’histoire.
Je pense notamment à l’élégance sophistiquée de vos projets hôteliers sur
la Croisette, ou encore à l’atmosphère feutrée et chaleureuse du Franklin-
Roosevelt, ici même à Paris. Il suffit de franchir le seuil, ne serait-ce que
d’un seul de ces bâtiments, pour tomber sous le charme de décors où le
goût pour les meubles anciens, qui fait souvent honneur au mobilier
français, se marie au souci du moindre détail.

Le luxe comporte une part de rêve, mais sa matière est l'excellence. La
constante qualité de votre travail vous ouvre ainsi la voie à l’élaboration de
projets pour des espaces où le paraître devient une arme : les résidences
d’ambassadeurs. Celle du Japon au Pays-Bas, celles de l’Arabie Saoudite
à Stockholm, à Lisbonne, à Berlin et à Paris ; celle du Royaume-Uni à
Paris et au Caire. Ajoutons à cette liste non exhaustive, les musées, les
boutiques, les châteaux, les sièges de grandes sociétés… À travers cet
imposant volume d’ouvrages réalisés, on ne peut qu’être impressionné par
tant de somptuosité.

Votre exigence, qui s’exprime dans la subtilité des éléments, se matérialise
dans le mariage habile des grands styles de l’art français. Tant dans le
choix du mobilier, des tentures, du tapis que celui des couleurs : rien n’est
laissé au hasard. Ce talent, vous le devez à une connaissance approfondie
d’une histoire, au service de la tradition.

C’est d’ailleurs le propre du connaisseur que de savoir associer et intégrer
avec justesse les styles, avec une maîtrise des techniques les plus en
pointe. Technique au sens où l’entendaient les Grecs de l’Antiquité, quand
l’art et le savoir-faire des métiers de l’artisanat ne faisaient qu’un. C’est ce
qu’atteste l’exécution et la facture esthétique de chacun de vos projets. En
virtuose au service du Beau, vous savez révéler l’harmonie des styles,
entre opulence et raffinement, noblesse et subtilité - le tout dans une
même pièce, dans un même univers.

Dans votre engagement à la protection du patrimoine et qualité
architecturale, le ministère de la Culture et de la Communication tient aussi
à souligner votre remarquable contribution à maintenir vivant les grandes
traditions de l’artisanat français. Créateur, vous êtes le savant metteur en
scène qui orchestre cette mise en forme des espaces « haut de gamme »,
suivant des standards de qualité qui ne peuvent être atteint que grâce à
une collaboration étroite avec les meilleurs artisans. Et c’est sans doute ici
que réside là la clé de votre succès, au même titre que les grands maîtres
de la haute couture, qui savent tirer le meilleur de la multitude de métiers
dans l’ombre du décor, qui requièrent très souvent des compétences rares.

Vous le savez mieux que moi, céramiste, marbrier, verrier, charpentier,
tapissier, sont autant de métiers fragiles exercés par des hommes
passionnés, par des artisans de grand talent, qui contribuent aux oeuvres
collectives dont vous êtes le concepteur, en redonnant aux lieux leur âme -
et cela, quel que soit le registre emprunté : classicisme, géométrie
Directoire, flamboyance Napoléon III ou encore équilibre Art déco. Autant
de subtilités, de manière de faire et d’habile précision dans l’exécution, que
se soit avec le bois, le cuir, le verre, le tissu, le métal, la pierre ou les
matériaux précieux.

Les ensembles décoratifs des projets de François Le Grix racontent une
histoire tributaire d’un esprit du temps. Votre grammaire s’inspire de
l’incontestable richesse des siècles passés pour faire vivre un lieu ; mais
votre vocation n’est pas pour autant de l’ordre de l’archive ni de la
conservation. La sauvegarde du patrimoine à laquelle vous contribuez si
fortement, c’est celle d’un patrimoine vivant, d’un patrimoine qui s’enrichit
de la profondeur de sa mémoire. Un engagement que vous avez
également mis au service de la défense du patrimoine de Bray-en-Cinglais,
en Basse-Normandie.

Cher François Le Grix, parce que vous êtes un grand ambassadeur de la
diversité des expressions décoratives françaises, parce que votre
sensibilité au patrimoine englobe l’apport des métiers d’art et le souci de
l’usage vécu des lieux, au nom de la République française, nous vous
faisons Officier dans l'ordre des Arts et des Lettres.

Chère Nicole Reverdy-Piel,
Cher Pierre Reverdy,

Dans le domaine des métiers d’art, je crois que nous avons tourné une
page : celle d’une prise de conscience, à laquelle mon ministère est partie
prenante depuis plusieurs années. Les métiers d’art non seulement sont
les garants de nos mémoires matérielles, de notre goût pour l’objet, ils
interviennent aussi de manière essentielle aussi bien dans la conservation
du patrimoine que dans la création contemporaine. Je suis donc très
heureux aujourd’hui de rendre hommage aux deux magnifiques métiers
d’art que vous représentez : l’émaillerie et la coutellerie.

Nicole Reverdy-Piel, vous êtes psychomotricienne de formation. Vous êtes
également émailleuse d'art, illustratrice et sculpteur. Vous créez, dessinez,
concevez des livres d'art et réalisez des émaux cloisonnés sur argent.

L’art de l’émail cloisonné, qui a atteint son apogée à l’époque byzantine,
est l’une des techniques de l'émaillerie les plus exigeantes. Elle consiste à
fixer sur une plaque de minces rubans de métal qui forment les contours
des motifs, avant de placer la poudre d’émail dans les alvéoles ainsi mises
en place. Nos plus grands musées nationaux en conservent
précieusement les traces historiques, mais dans le mutisme des vitrines et
des étiquettes ; votre travail leur redonne la voix. Il est le garant d’un
savoir-faire qui nous a été transmis de génération en génération, que nous
pratiquons encore et auquel nous sommes attachés.

Pierre Reverdy, vous êtes coutelier d'art. Pendant six ans, vous faites le
Tour de France de perfectionnement en métallerie avec l'Association
ouvrière des Compagnons du devoir. Vous êtes nommé maître en
coutellerie et forge en 2000. En novembre 2004, mon prédécesseur
Renaud Donnedieu de Vabres vous promeut au titre de Maître d'art.

Depuis maintenant plus de vingt-cinq ans, vous réalisez des instruments
tranchants uniques qui se distinguent du monde de la coutellerie de table
ou de la coutellerie professionnelle. Vous interprétez également les secrets
de l’acier damassé et feuilleté en l’appliquant à la coutellerie
contemporaine. L’élégance vigoureuse de vos couteaux de collection,
coupe-papier, dagues de chasse et épées d’académicien sont appréciés
des plus grands armuriers et collectionneurs. La haute qualité de vos
lames en font des pièces de luxe où se reflètent votre maîtrise de la
technique du damas, cet assemblage si recherché pour ses propriétés
mécaniques et surtout esthétiques, que l’on reconnaît à son effet de
feuilletage caractéristique. Sa production demande beaucoup d'adresse et
de connaissance, de professionnalisme et de sensibilité.

L’originalité de votre travail, et c’est là-dessus que j’aimerais insister,
dépasse le cadre de la seule tradition. Vous inventez une nouvelle gamme
de décors d'acier que vous nommez « damas poétique ». Cette très jolie
expression suit une technique artistique qui vous est propre et qui vous
permet d’obtenir la rythmique voulue des décors. Chacun de vos couteaux
est une pièce originale, prestigieuse et singulière.

Depuis 1989, date de création des Ateliers Pierre et Nicole Reverdy, vous
créez des objets d'art en « Fusion de 2 » - je fais ici une allusion volontaire
à l’une de vos sculptures datée de 1999 et qui porte le même nom. Cette
pièce représente un support coupe-papier, qui symbolise aussi l’union d’un
couple et de vos savoir-faire. « Fusion de 2 », c’est le fruit de votre
complicité, de votre rencontre toujours renouvelée à travers l'élaboration
d'oeuvres de très grande qualité.

Chez les « artistes équilibristes » que vous êtes, vos deux arts se
maintiennent « sur la corde raide de la technique », pour employer une
métaphore qui vous est propre. Derrière la maîtrise technique, essentielle
à la matérialisation de l’objet, se cachent également des secrets de
fabrication et des secrets d’inspiration.

Cher Pierre Reverdy, c’est votre épouse et partenaire qui insuffle la note
poétique. Vous le reconnaissez, il faut au moins deux éléments pour que la
matière brute devienne oeuvre et symbole, technique et invention. L’aura
des matériaux rares se prêtent bien à votre type d’art : bois exotiques,
ivoires ou cornes, cuirs précieux sont de la partie. Je pense notamment à
l'épée d’Ouroboros, l’une de vos réalisations où se conjuguent un acier
doux au nickel pour les motifs et un acier au carbone pour le tranchant de
la lame, du fer gaulois et du fer de météorite pour la bande centrale de
l'épée. Voici pour l’objet. Mais celui-ci prend tout son sens avec le livre qui
l’accompagne et qui en raconte la légende – un livre enrichi d'aquarelles
peintes par Nicole Reverdy-Piel, qui en réalise aussi les émaux.

C’est précisément cette recherche dans votre travail qui vous a valu,
plusieurs années plus tard, en 2009, le prix de la Sculpture Contemporaine
– un prix décerné par la Société d'Encouragement aux Métiers d'Art pour
votre création intitulé « Le Lien ». Le jury a été sensible à cette poétique
des matériaux mêlant la forge de l'acier au feu de l'émail. Cette
récompense vient saluer votre savoir-faire de haute technicité qui joue sur
la puissance de la matière.

En exerçant vos métiers, vous contribuez à donner un avenir à des
pratiques qui s’inscrivent dans le temps long de l’histoire, de
l’apprentissage et de la maîtrise des techniques. Ce qu’il nous faut
préserver, c’est aussi cet autre usage du temps qui est au coeur de ce
patrimoine culturel immatériel. En France, la Direction générale des
Patrimoines du ministère de la Culture a confié cette mission à l’Institut
National des Métiers d’Art (INMA), qui fait dans ce domaine un travail
remarquable. Le 12 mars dernier, quand j’ai eu le privilège d’assister à la
tombée de métier de la tapisserie « Le Grand silence » de Vincent Bioulès,
à la Manufacture des Gobelins, j’ai eu l’occasion de rappeler mon
attachement à cette mission.

Chère Nicole Reverdy-Piel, cher Pierre Reverdy, vous concevez des objets
d’art contemporain qui possèdent une originalité incontestable. Vous êtes
les dépositaires de savoir-faire rares qui constituent un patrimoine
exceptionnel – un patrimoine que mon ministère tient à préserver, à
valoriser et à promouvoir.

Chère Nicole Reverdy-Piel, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres.
Cher Pierre Reverdy, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres.