Paris, le 5 avril 2011

Chère Yun Jung Hee,
Votre pseudonyme qui signifie « jeune fille calme » reflète parfaitement
cette douceur qui vous caractérise, cette lenteur du geste et ce regard
énigmatique qui continue de nous faire rêver. Un grand photographe
comme Stanley Greene explique qu'il a été frappé par « la grâce de [vos]
mains et par [votre] manière douce de lever le visage au ciel ».
Vous avez véritablement incarné la femme pour des générations de
Coréens du Sud. Les quelques 330 films dans lesquels vous avez joué ont
accompagné l'essor du cinéma coréen et son affirmation face à la
domination du cinéma américain. Car le cinéma coréen est l’un des rares
cinémas à avoir su développer, à Chungmuro, une production et une
distribution propres, d’une qualité exceptionnelle, avec laquelle la France
se sent de si fortes affinités.
Pourtant, vous dites n'avoir jamais voulu être actrice. Vous vous prépariez
à devenir diplomate lorsque des amis vous ont poussée à participer à un
casting pour le nouveau film de Kang Tae-Jin, Scènes de Jeunesse -
Chongchun kukjang [prononcer Kang Té Djinn]. Parmi plus de 1200
candidates, votre prestation est remarquée alors que vous n'avez jamais
suivi de cours de comédie.
Ce film obtient un succès considérable et marque le début de votre carrière
d'actrice. Très vite, vous êtes sollicitée pour jouer dans de nombreux films
tels Kang myung wha [prononcer Kang myong rwha], Le Brouillard ou
encore Les Eunuques en 1968, ce film si moderne et si innovant de votre
ami Kim Su-Yong [prononcer Kim Su-Yonn], celui que l’on désigne souvent
comme le « Kurosawa » coréen. Votre jeu dans La Barbe du général, la
même année, vous vaut le prix de l'interprétation féminine. On vous
retrouve dans les grands classiques du cinéma coréen tels L'Histoire de
Boun Lyé, primé à six reprises, La fille Chung [prononcer Chong] en 1972,
primé lui aussi, ou encore La Dame de Cour en 1972 qui obtient le Prix de
la popularité à l’Asia Film Festival. Parmi vos rôles les plus marquants,
ceux que vous interprétez dans Une femme libre en 1981, Une femme
rompue en 1987 et surtout Les deux drapeaux en 1994, pour lequel vous
obtenez un nouveau Prix d'interprétation féminine en Corée. Ce film est
d'ailleurs sélectionné au Festival de Montréal, où vous êtes ovationnée.
Votre carrière d'actrice a incontestablement accompagné l'âge d'or du
cinéma coréen. Elle y a d'ailleurs contribué en faisant de vous, si l’on en
croit un récent sondage, la meilleure actrice de l'ensemble du cinéma
coréen, dont vous êtes à la fois la mémoire et l’icône. Dans les années
1960, la vitalité de ce cinéma a été exceptionnelle, dans un contexte
marqué par la sclérose culturelle imposée par la Guerre froide et par un
confucianisme moralisateur, avant la « renaissance » du jeune cinéma
coréen dans la seconde moitié des années 1980. Les splendides
personnages féminins ont ouvert les « chemins de la liberté » à de
nombreux Coréens.
En 1974, consciente de l'écart entre votre vie d'actrice et celle des
femmes coréennes, vous commencez une thèse de doctorat à la
Sorbonne sur « la Condition des femmes dans le cinéma coréen ». Vous
y développez une réflexion sur le décalage entre les très beaux rôles
féminins présents à l'écran et le métier d'actrice. Plus largement, vous
portez alors un regard critique sur la situation de la femme en Corée.
En refusant un destin tout tracé, vous avez su trouver votre propre voie.
Femme de culture, exigeante avec vous-même, vous choisissez les rôles
qui vous tiennent le plus à coeur. Vivant en France depuis plus de 30 ans,
vous avez été soucieuse de favoriser les liens entre nos deux pays : vous
êtes membre de l'Association franco-coréenne, membre du Comité
d'organisation de l'Académie du cinéma coréen, vous participez au jury de
nombreux festivals de cinéma en France, - comme celui de Deauville ou
celui de Dinard - mais aussi ailleurs dans le monde. Mariée au pianiste
virtuose Kun Woo Paik, vous avez assumé de manière magistrale un rôle
de « passeur culturel » entre la Corée et la France. Dans les matins gris
et brumeux de la périphérie de Séoul, dans les bars enfiévrés par l’alcool
de riz, les spectateurs français retrouvent souvent sous une autre lumière
les codes du mélodrame existentiel et du film noir qui ont fait aussi le
succès d’un certain cinéma français. Nos « affinités électives » avec le
cinéma coréen sont bien réelles, tant esthétiquement que dans la
similitude des institutions qui portent nos cinémas dans chacun de nos
deux pays.
Vous êtes aujourd'hui la seule actrice coréenne à avoir reçu 24 prix
d'interprétation féminine. Votre rayonnement dépasse les frontières de
votre pays : en 1972, vous avez le prix de l'actrice la plus populaire d'Asie,
et le Prix Spécial du Festival d'Asie l'année suivante.
Mais c'est surtout votre prestation dans le film Poetry de l’écrivain et
réalisateur Lee Chang-dong – qui fut aussi Ministre de la Culture de la
Corée du Sud (et oui, il y a d’autres cinéastes qui deviennent ministre de
la Culture !) - sélectionné au 63ème Festival de Cannes, en 2010 et
récompensé du Prix du Scénario, qui témoigne de l'exceptionnelle qualité
de votre jeu. 15 ans après votre dernier passage devant la caméra, vous
retrouvez votre famille, cette famille du cinéma qui a façonné votre
existence. J'ai admiré personnellement, comme un très large public, votre
interprétation magistrale de cette grand-mère victime d’Alzheimer, perdue
dans la quête des mots, confrontée à la violence de son petit-fils, dont le
destin traduit l’incompréhension sourde entre la génération du verbe et
celle, mutique, qui s’immerge dans la bulle de la télévision et d’internet.
Beaucoup se sont accordés à saisir dans Mija une étrange ressemblance
avec vous-même, dans l’alliage subtil et délicat entre douceur et
résolution, entre rêve et réalité.
Dans un récit empreint de romanesque, le « peintre de la vie moderne »
qu’est Lee Chang–Dong révèle de somptueuses natures mortes mêlant
rêves bucoliques et champs d’oiseaux ou de ruisseau. Dans le drame du
quotidien, vos robes à fleurs et vos élégants petits chapeaux soulignent
une poésie à laquelle vous aspirez, dans une lutte éperdue face à l’oubli
des mots, dans le souci que vous avez de vous accrocher à un
« printemps de la langue » qui s’efface progressivement de votre
mémoire. Votre aura et votre présence font assurément de Poetry une
oeuvre maîtresse, véritable point d’orgue de votre carrière
impressionnante placée sous le signe du « réenchantement du monde »,
en d’autres termes de ce que ne devrait jamais cesser d’être le cinéma.
Pour votre contribution majeure au cinéma coréen, pour votre amour de
ceux qui font et construisent le 7e art, pour votre attachement à la France,
chère Yun Jung-Hee, au nom de la République Française, nous vous
remettons les insignes d’officier dans l'ordre des Arts et des Lettres.
Chère Elsa Zylberstein,
À 17 ans, vous vous exclamez : « je suis une actrice ». Très tôt, donc,
avant même de jouer la conviction s’était installée en vous. C’est la
grande Isabelle Adjani, dans Adèle H. de Truffaut en 1975, qui vous
donne l’impulsion.
Vous passez un bac littéraire et commencez des études d’anglais, par
sécurité plus que par choix, puisque, parallèlement, vous suivez les cours
Florent où vous bénéficiez des leçons de Francis Huster, et participez à
des stages à l’Actors Studio. Un petit rôle dans Baptême de René Féret
en 1989 vous ouvre les portes de la figuration pour le Van Gogh de
Maurice Pialat. Puis le rôle de Cathy, l’amie prostituée du peintre, se
trouve libéré : il est pour vous. Votre talent est immédiatement reconnu et
vous décrochez le prix Michel-Simon en 1992 ainsi qu’une nomination aux
Césars. Les propositions affluent pour cette jeune madone aux grands
yeux vert, au teint de porcelaine et aux cheveux de jais. Les réalisateurs
et les metteurs en scène vous donnent l’opportunité d’incarner un large
spectre de sensibilité et de complexité féminine.
Par l’image contrastée que vous renvoyez d’une femme à la fois forte et
fragile, classique et originale, vous développez une carrière étonnamment
éclectique, entre films intimistes et vastes fresques populaires. Vous
tournez trois films avec Raúl Ruiz, dont Ce jour-là, mais également avec
Laetitia Masson ou Jacques Doillon. Prostituée délurée, chanteuse
lyrique, juive orthodoxe, vous incarnez successivement des rôles très
variés qui révèlent l’ampleur de votre gamme de jeu. Pour Mina
Tannenbaum, vous obtenez le prix Romy Schneider en 1993. En
choisissant vos personnages, vous privilégiez les femmes qui oscillent
entre fragilité et intensité : « Je joue un personnage quand je sens
vraiment que je ne peux pas y échapper. J’ai l’impression de le choisir,
mais il me choisit aussi. Il faut qu’il y ait quelque chose de vital pour que
j’accepte, comme si je ne pouvais pas imaginer ne pas dire ces mots, ne
pas donner mon corps et mes yeux à un rôle. ».
C’est cette exigence de la justesse que les réalisateurs lisent en vous.
Elle s’exprime d’ailleurs de façon magistrale dans ce merveilleux film de
Philippe Claudel, Il y a longtemps que je t’aime, dans lequel vous êtes à la
fois une mère et une petite soeur, aux côtés de Kristin Scott Thomas. Pour
ce rôle si sobre et émouvant, vous recevez le César de la Meilleure
actrice dans un second rôle en 2009.
Votre jeu d’actrice se déploie également sur les planches où l’on vous voit
avec bonheur dans Eurydice de Jean Anouilh, Six personnages en quête
d’auteur de Pirandello, Le Malin Plaisir de David Hare ou encore La
Preuve de David Auburn. Et puis, malgré une nette préférence pour le
cinéma, on vous retrouve en ce moment avec Vincent Perez dans Le
Temps qui passe, au théâtre des Mathurins, où vous jouez le rôle d’une
femme qui a perdu tout souvenir de son père et qui souhaite se le
remémorer.
L’audace théâtrale ne vous fait pas peur quand, dans Laissez-moi de
Marcelle Sauvageot mis en scène par Laetitia Masson sous le titre de
Commentaire, vous vous retrouvez seule sur la scène des Bouffes du
Nord pour camper le rôle d’une femme éperdue d’amour, atteinte par la
maladie et dont le cri témoigne de la plus grande solitude.
Paradoxalement, le théâtre construit à vos yeux un rapport à la vérité plus
lâche que ceux que la caméra parvient à capter dans les instants de jeu
total et de laisser-aller. D’ailleurs, vous le dites également, vous avez
besoin d’être regardée et aimée par l’oeil de la caméra. Vous êtes une
séductrice qui trouve son équilibre dans le regard des réalisateurs. Vous
avez en vous toute l’intense fragilité de l’actrice dirigée, femme-enfant, en
quête d’émotions. Car « séduire, c’est être soi-même » dites-vous. Une
capacité que vous développez également avec des expériences
télévisuelles tout aussi enrichissantes, au travers de mini-séries comme
Vénus et Apollon, Jean Moulin, Petits Meurtres en famille dans lesquels
vous découvrez encore une autre façon de jouer.
Vous dites que vous auriez pu être un modèle de peintre, en référence
aux différents films sur des peintres célèbres tels Van Gogh de Maurice
Pialat, Lautrec de Roger Planchon, ou Modigliani de Mick Davis. Mais
Elsa Zylberstein, c’est aussi celle qui peut tout aussi bien incarner Hannah
Arendt face à Martin Heidegger dans Le Démon de Hannah d’Antoine
Rault, que vous avez joué à la Comédie des Champs-Elysées il y a moins
de deux ans : seuls des talents exceptionnels comme le vôtre sont
capables de révéler les passages secrets qui mènent de l’intime au
politique.
Chère Elsa Zylberstein, au nom de la République Française, nous vous
faisons chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Chère Linh Dan Pham,
Depuis vos 16 ans, vous n’avez eu de cesse, en polyglotte et « globetrotteuse
», de développer les aventures artistiques internationales, d’un
continent l’autre.
Tout a commencé lorsqu’une de vos amies vous a persuadée de
répondre à une petite annonce « cherchons jeune fille pour tournage avec
Catherine Deneuve au Vietnam » dans un restaurant du XIIIème
arrondissement de Paris. Votre première aventure cinématographique
vous a alors permis, à travers le personnage de Camille dans Indochine,
de renouer avec votre pays d’origine. Lors de la sortie du film, vous vivez
en Hollande et ne prenez pas la pleine mesure du succès retentissant qui
valut au film de Régis Wargnier l’Oscar du meilleur film étranger et
pléthore de Césars, ni celle de votre nomination au César du meilleur
espoir féminin en 1993. Cette même année vous acceptez de tourner en
Asie centrale sous la direction de Monica Teuber dans Jamila. Après ces
débuts fulgurants, l’étoile franco-vietnamienne gracile, erratique et
inquiète de son avenir disparaît des écrans français pendant dix ans.
Diplômée d’une école de commerce américaine à Paris, vous partez
travailler dans le marketing au Vietnam et à Singapour. C’est une grande
surprise pour vous lorsque les directeurs de casting cherchent à vous
contacter, en vous annonçant qu’ils étaient depuis longtemps à votre
recherche.
Vous vous laissez tenter et optez à nouveau pour le métier d’acteur ; mais
cette fois, vous donnez la priorité à votre formation. Fascinée par la
méthode de l’Actor’s Studio, vous apprenez l’art dramatique au Lee
Strasberg Theatre Institute de New York. 2005 est l’année de votre grand
retour avec deux films sombres, âpres et tendus : vous rejoignez les
travailleurs dans un Paris populaire aux côtés de Pascal Elbé, Simon
Abkarian dans Les Mauvais Joueurs de Frédéric Balekdjian, et Jacques
Audiard vous sollicite pour De battre mon coeur s’est arrêté aux côtés du
talentueux Romain Duris. Si le rôle vous intéresse, c’est qu’il est loin des
stéréotypes des jeunes et belles silencieuses et des idées reçues sur les
barrières de la langue et des cultures. Le piano que vous pratiquez à très
haut niveau est pour ces deux êtres déracinés le seul vecteur de
communication ; vous vous plongez corps et âme dans ce rôle magnifique
et obtenez le César du meilleur espoir féminin en 2006.
Trois ans plus tard vous êtes Elisa, une scientifique ambitieuse dans
Dante 01 de Marc Caro aux côtés de Lambert Wilson, qui nous fait le
plaisir d’être avec nous aujourd’hui. Un film ambitieux tant par son
esthétique que par ses références mythologiques et bibliques, qui ne
reçut pas l’accueil qu’il aurait pu mériter auprès du grand public.
S’ensuivent Le bruit des gens autour, de Diastème, et le kaléidoscope
autodérisoire au féminin de Maïwenn Le Besco, Le Bal des actrices.
Dans votre filmographie, Mister Nobody de Jaco Van Dormael et Vertiges
(Choï Voï) du réalisateur vietnamien Chuyên Bui Thac occupent une place
de choix. En bourgeoise malheureuse, puis en romancière manipulatrice
et masochiste prise de vertiges, à la dérive dans un triangle amoureux
dans une famille d’Hanoï, vous révélez votre exigence d’un cinéma
éclectique qui questionne les individualités déboussolées dans les
sociétés modernes.
The Shape of Art to Come du Julien Levy, oeuvre à mi-chemin entre le
cinéma et l’art contemporain, puis De Force, film de gangster auto-réalisé
par un ex-bandit où vous donnez la réplique entre autres à Isabelle
Adjani, Eric Cantona et Simon Abkarian, sont caractéristiques de
l’intelligence et de l’audace que vous mettez dans le choix d’un rôle.
Je tiens aujourd’hui à rendre hommage à la carrière internationale déjà
brillante d’une jeune actrice franco-vietnamienne, dont le très grand talent
donne également envie de remercier ceux qui ont réussi à vous
convaincre d’emprunter la voie de l’image et non celle du commerce.
Chère Linh Dan Pham, au nom de la République française, nous vous
faisons Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.
Cher Lambert Wilson,
Jeune dauphin d’un père pharaonique passé du saxophone à la direction
du TNP et aux firmaments de la mise en scène, vous ne pensiez pas être
comédien un jour tant les professionnels du métier vous paraissaient à la
fois possédés et absents quand vous étiez enfant. Mais c’est le naturel qui
est revenu au galop quand à 15 ans vous vous décidez à devenir acteur
américain après avoir vu Les Trois Mousquetaires de Richard Lester.
Apparenté par votre arrière-grand-père à la verte Erin, fasciné par
l’Angleterre des « swinging sixties », encouragé par votre professeur de
français à entrer dans la profession, vous mettez le cap, en solitaire, sur la
capitale britannique et entrez au Drama Centre à peine âgé de 16 ans, où
vous apprenez « à la dure » l’art dramatique, le chant, la musique et le
nettoyage des toilettes. Tout en vous libérant de l’emprise paternelle, vous
avez l’intelligence de tirer de votre père des enseignements précieux
grâce à deux de ses mises en scènes auxquelles vous participez : avec
Ubu à l’Opéra Théâtre musical, en 1974 et Othello dans la Cour
d’honneur du Palais des Papes au Festival d’Avignon, les fantasmes du
faste de la jeunesse s’étoffent de sagesse.
Votre première apparition au cinéma est sous le signe d’un petit miracle :
en 1977 Fred Zinnemann, qui vous offrira un premier grand rôle cinq ans
plus tard dans Cinq jours ce printemps-là face à Sean Connery, vous
propose de débuter aux côtés de Jane Fonda dans Julia. Malgré un
physique qui vous catalogue comme un acteur romantique, vous prouvez
dès vos débuts votre désir de ne pas vous y cantonner – ce que vous
aurez l’occasion de prouver à de si nombreuses reprises sous la direction
des réalisateurs français et internationaux les plus hétéroclites.
1979 sonne le coup d’envoi de ces parcours caractérisés par un
formidable éclectisme transformiste qui caractérise les grands acteurs.
Vous enchaînez entre autres Les Gendarmes et les Extra-terrestres de
Jean Girault face à Maurice Risch, Lady Oscar de Jacques Demy, New
génération de Lowf-Legoff et De l’enfer à la victoire d’Umberto Lenzi.
Dans Les Possédés de Wajda, vous incarnez un Stavroguine à jamais
inquiétant dans cette adaptation très resserrée de Dostoïevski. Sophie
Marceau avec qui vous tournez La Boum 2 et Chouans !, vous a appris
l’art primordial du baiser à l’écran ; Sean Connery l’économie de moyens,
et Valérie Lemercier pour qui vous interprétez un prince goujat dans
Palais Royal, a su vous pousser loin dans l’autodérision.
Vous tournez donc avec les grands réalisateurs comme André Téchiné,
Peter Greenaway, Philippe de Broca ou Andrzej Wajda. Deux films
marqueront à jamais à la fois les critiques et le grand public : La Vouivre,
adapté et réalisé par votre père et Hiver 54, L’Abbé Pierre, de Denis
Amar, où votre remarquable incarnation de l’homme de foi vous vaudra le
très mérité Prix Jean Gabin.
Mais quand on persévère dans son être, le cantonnement à soi peut
devenir lassant. C’est pourquoi vous ne cesser de vous diversifier depuis
la comédie populaire en passant par la science-fiction jusqu’au drame : je
pense à Mérovingien, châtelain inquiétant et amateur de jurons dans
Matrix Reloaded, aux côtés de Monica Belucci ; au gendre idéal dans la
comédie musicale d’Alain Resnais On connaît la chanson ; au dandy
s’autoparodiant dans Jet-Set. Vous aimez aussi oeuvrer aux films qui
ouvrent des débats de fond, avec par exemple Comme les autres redéfinit
la notion de la famille, ou Des hommes et des dieux, qui invite au dialogue
interreligieux et à une pause réflexive sur nos manières de vivre.
L’artiste complet que vous êtes se veut aussi très présent sur le petit
écran, sur les planches, comme interprète mais également comme
metteur en scène de Jean-Luc Lagarce, Marivaux ou Racine, récitant de
poésies et lecteur des grands textes littéraires, et de surcroît chanteur.
Vous entonnez aussi bien Bach, Purcell, Haendel comme baryton Martin
que le répertoire de la comédie musicale américaine. Vous enregistrez
entre autres Musicals avec l’orchestre philarmonique de Monte-Carlo sous
la direction de John McGlinn et Peer Gynt [prononcer Peer Günt] sous
celle de Guillaume Tourmiaire. L’année dernière, peu de temps après la
perte de votre père, vous triomphiez avec Leslie Caron sur la scène du
Théâtre du Châtelet dans la comédie musicale A Little Night Music.
Cher Lambert, la maturité vous va bien. Le temps et la vie donnent
souvent aux artistes la capacité de se déprendre de soi pour apprendre à
donner plus de vous-même, au profit d’un art qui parfois touche encore
plus juste. À l’instar de ceux qui forcèrent un jour votre admiration,
auréolés de l’expérience et de sagesse, c’est à votre tour aujourd’hui de
fasciner les autres. Je tiens à saluer chez vous votre extraordinaire talent,
vos talents devrais-je dire, mais aussi à souligner cette exigence sans
faille, ces remises en question qui ont fait de vous un dandy à la
sprezzatura d’autant plus parfaite qu’elle fait de vous un adepte de
l’inquiétude et de l’impertinence. Chez vous, l’honnête homme se construit
tous les jours. Pour reprendre le titre d’Alain Resnais, avec Lambert,
« vous n’avez encore rien vu » !
Cher Lambert Wilson, au nom du Président de la République, nous vous
faisons Officier dans l’ordre national du Mérite.