C’est demain qu’ouvrira la Foire internationale d’art contemporain et le
nombreux événements, privés et publics, qui y sont associés. Je suis très
heureux de vous recevoir à nouveau dans ces salons à cette occasion.
Grâce à l’énergie et au talent de tous, grâce aux artistes, aux galeristes,
aux collectionneurs, aux fondations, aux musées et à tous les
établissements publics qui accompagnent cette initiative, Paris est la
capitale du monde de l’art contemporain pendant une semaine.
Mais c’est toute l’année que l’art contemporain est au coeur de ce
ministère.
Il y a moins d’une semaine, j’étais à Chaumont, pour le lancement réussi
du Centre Pompidou Mobile, aux côtés du Président de la République et
de Luc Chatel, et avec Bertrand Lavier - une initiative d’Alain Seban que
mon ministère soutient avec l’aide de partenaires privés engagés et
citoyens. La semaine précédente, c’est à Bordeaux que j’inaugurais
l’Evento de Michelangelo Pistoletto avec Alain Juppé. J’ai également tenu
à inaugurer la nouvelle aile du Consortium, à Dijon ; la biennale de Lyon en
septembre, ainsi que sa foire d’art contemporain off, où étaient réunis à
mon initiative plusieurs galeries tunisiennes ; et l’exposition du prix
Duchamp, décerné à Cyprien Gaillard par l’Association pour la diffusion
internationale de l’art français (ADIAF), au Centre Pompidou.
Cet été, j’ai passé un long et agréable moment, avec beaucoup d’entre
vous, à la biennale de Venise, où Christian Boltanski a réalisé encore une
oeuvre majeure ; où l’on pouvait également voir une très belle installation
de Tatiana Trouvé à la Pointe de la Douane, ou encore une exposition du
CNAP dans un palais vénitien, entre autres choses.
J’ai visité une partie de l’exposition formidable sur l’art et la Côte d’Azur au
Château de Villeneuve en compagnie de Philippe Ramette et de Natacha
Lesueur. J’ai remis le premier prix au lauréat du Salon de Montrouge,
Clément Cogitore. J’ai décoré Anish Kapoor, dont chacun a pu admirer le
Léviathan au Grand Palais. J’ai également eu le plaisir d’être guidé par
Jean-Michel Othoniel dans la visite de son exposition au Centre Pompidou,
que jouxtait celle de François Morellet ; celui, aussi, de voir le film de Pierre
Huygue, The Host and the Cloud, tourné dans ce site merveilleusement
poétique du musée des Arts et Traditions Populaires ; l’honneur, enfin,
d’accueillir Takis dans les jardins du Palais-Royal. J’ai souhaité que le
lancement de la commande publique de Jean-Luc Moulène, Fénautrigues,
ait lieu dans ces salons. J’ai eu enfin le plaisir d’échanger longuement sur
des sujets divers avec de nombreux artistes, je pense à Philippe Parreno,
Didier Marcel, Renaud Auguste-Dormeuil, Isabelle Cornaro, Bruno
Peinado, Daniel Firman, Gilles Barbier, Loris Gréaud…
J’en oublie et je m’arrête là. Mais je n’oublie pas ce que toutes ces
rencontres et tous ces déplacements m’ont appris sur l’art contemporain,
sur les artistes, sur les professionnels de ce secteur essentiel, sur vous.
J’ai annoncé, il y a une semaine exactement, dans ces murs mêmes,
quinze mesures pour les arts plastiques issues d’un travail commencé en
janvier, qui a réuni près de 450 participants pendant plusieurs mois à
l’initiative de la Direction générale de la création artistique. Je crois que ces
mesures, qui vont de la professionnalisation du secteur des arts plastiques
à la diffusion de la critique d’art en langue anglaise, en passant par le
soutien aux galeries et le renforcement du réseau en région, sont de
nature à donner une nouvelle impulsion au monde de l’art. Je crois que
c’est une réponse forte et structurée à ce que j’ai vu et entendu tout au
long de l’année, à votre contact.
Je l’ai dit la semaine dernière lors de la présentation de ces quinze
mesures : les arts plastiques, la culture visuelle en général comme on dit
dans le monde anglophone, c’est-à-dire les arts plastiques au sens large,
avec le design, le graphisme, la photo, avec les métiers d’art à l’honneur à
la manufacture des Gobelins en ce moment même, c’est un enjeu
formidablement important à l’heure de la culture des écrans, du numérique
et de la mondialisation. Un enjeu artistique qui est aussi politique,
stratégique, économique. C’est pourquoi je me félicite du fait que le
président de la République ait donné le coup d’envoi il y a quelque jours du
Grand Paris de l’art et de la culture. Le « 1% Grand Paris », c’est
l’occasion de nous projeter ensemble dans une nouvelle dynamique de
très grande échelle pour les arts plastiques, qui sera un laboratoire pour
toutes les autres métropoles françaises, à l’heure où le 1% fête
précisément ses soixante ans.
Demain, je visiterai de nouveau la FIAC en compagnie de sa directrice,
Jennifer Flay, et le soir nous fêterons les artistes contemporains tunisiens
réunis au Musée du Montparnasse par Jean Digne. J’irai voir Georges
Mathieu dans son atelier quelques jours plus tard. Je me rendrai chez
ITEM, où l’on fabrique encore de magnifiques lithographies à l’ancienne.
Les semaines suivantes, je veillerai à ce que les quinze mesures
annoncées soient rapidement mises en oeuvre. Je continuerai aussi le
dialogue entamé avec les Ecoles supérieures d’art. À cet égard, je ferai
bientôt la proposition d’un nom pour succéder à Henry-Claude Cousseau à
la direction de l’Ecole nationale supérieure des Beaux arts de Paris au
Président de la République. Cher Henry-Claude, je salue votre bilan
remarquable à la tête de ce grand établissement et j’ai hâte de découvrir
après-demain votre exposition.
Je tiens donc à veiller à ce que les arts plastiques demeurent une
préoccupation constante de mon ministère. De grands rendez-vous, en
effet, nous attendent, avec l’ouverture du Palais de Tokyo agrandi en avril,
avec la Triennale, avec le prochain Monumenta confié à Daniel Buren en
mai. Et puis, l’année d’après encore, une FIAC qui retrouvera 1000 mètres
carrés supplémentaires, pour accueillir davantage de galeries, notamment,
je le souhaite, de galeries françaises, grâce aux travaux d’agrandissement
menés sous la férule de Jean-Paul Cluzel au Grand Palais, et enfin le
Monumenta des Kabakov, et le nouveau pavillon français de Venise. Et je
n’oublie pas toutes les fondations qui sortent de terre, projets
formidablement généreux, qui contribuent à faire de Paris une ville
essentielle de l’art contemporain, et de la France un pays d’art vivant dans
le monde. La consolidation de la fondation Lambert à Avignon ou de la
fondation Vasarely me tiennent beaucoup à coeur, comme les nouveaux
FRAC, celui de Bretagne, par exemple, qui ouvrira ses portes dans
quelques mois. Et je n’oublie pas le fantastique site de Barjac où a vécu
Kiefer.
Il me tient à coeur également que les artistes et les professionnels
étrangers se sentent chez eux ici. C’est la plus noble des traditions, celle
de l’hospitalité, pour reprendre un mot qui fédère beaucoup de centres
d’art, qui nous commande ce devoir. À ce titre, j’ai demandé à mon chef de
cabinet d’intervenir pour débloquer la situation d’un des plus grands
artistes au monde, Chéri Samba, dont la difficulté à entrer sur notre
territoire était inacceptable. J’ai le plaisir de vous annoncer que cette
affaire est en passe d’être résolue.
Mon intérêt particulier et celui de mon ministère pour les arts plastiques se
manifeste d’une manière sensible aujourd’hui, dans ce lieu même, à
travers la commande faite à Felice Varini que vous avez pu découvrir en
entrant. Il n’y avait plus eu de commandes publiques passées à des
artistes, dans l’enceinte même du ministère, depuis presque 30 ans -
depuis celle, magnifique, intitulée Outre-Mer, faite à Pierre Alechinsky en
1985, qui nous fait l’honneur d’être parmi nous ce soir. C’est chose faite et
admirablement faite avec le « carré au seize disques ». Felice Varini rejoint
ainsi Jean-Michel Alberola, Pol Bury, dont je salue l’épouse, Wilma, parmi
nous ce soir, Daniel Buren, Henri Cueco et Jan Dibbets. Je veux remercier
Felice Varini de nous avoir gratifié de ce cadeau que je traverse avec
émerveillement chaque jour en empruntant ce couloir.
Enfin, je voudrais profiter de ce moment privilégié de convivialité pour que
nous rendions hommage à des artistes et des acteurs du monde de l’art
qui font honneur à la France par la qualité et la constance de leur
engagement. Comme chaque année maintenant, une promotion
exceptionnelle les distingue. Je veux citer Gérard Titus Carmel et François
Trèves, promus Commandeurs dans l'ordre des Arts et des Lettres ; Felice
Varini et Alexia Fabre, promus officiers dans l'ordre des Arts et des
Lettres ; Renaud Auguste-Dormeuil, Jacqueline Blanc, Martin Guesnet,
Subodh Gupta, Patrice Joly, Charlotte Laubard, Chiara Parisi, Suzanne
Tarasieve, Dayanita Singh, Nathalie et Georges-Philippe Vallois, ainsi que
Nathalie Viot, nommés chevaliers dans l’ordre des Arts et Lettres.
Enfin, je veux rendre un hommage tout particulier à une très grande dame
de l’art contemporain, en France et dans le monde : Denise René, que
j’appelle maintenant à me rejoindre.
Chère Denise René,
Tubes fluos, disques girouettes, cubes vibrants, codes optiques
hallucinatoires, aplats impeccables et rigoureux de l’abstraction,
mouvements, tensions et résolutions de lignes et de couleurs ; les formes
d’art dont vous faites la promotion, chère Denise René, prennent pour
objet le changeant et l’aléatoire, par des combinaisons non-figuratives qui
ouvrent les contingences du réel à de nouveaux horizons. S’il y a une
révolution de l’abstraction, c’est bien cette vision d’un réel multiple et
insaisissable, en perpétuel mouvement, rendue possible par l’exploration
des sensations visuelles et auditives, aux croisements de l’art et la
science, contre les pulsions de l’immuable et du définitif.
En défendant l’abstraction géométrique, le cinétisme et l’art optique, votre
démarche, tout aussi expérimentale que le fut celle des artistes que vous
avez fait connaître, s’inscrit dans une réflexion sur l’art vivant que vous
avez entamée depuis plus de soixante ans. Car pour devenir la très grande
galeriste que vous êtes, il fallait d’abord prendre le train en marche des
expérimentations artistiques nées dans l’effervescence de l’après-guerre,
et proposer une alternative aux courants dominants. Ce sont vos
anticipations qui ont permis à ces avant-gardes et à ces esthétiques
nouvelles de s’exposer et de s’imposer.
L’atelier de mode de la rue de la Boétie, que vous transformez en galerie -
sur le conseil d’un jeune graphiste hongrois travaillant alors chez Draeger
que vous rencontrez au Café de Flore, Vasarely -, est devenue, dès la
première exposition des recherches graphiques de ce dernier, en 1944, le
creuset de l’aventure de l’art abstrait.
Le club des abstraits était alors en train de se constituer. De jeunes
peintres viennent se proposer, tels Marie Raymond, Hartung et Schneider ;
les expositions se multiplient - Max Ernst - un artiste allemand exposé
dans le Paris de l’immédiat après-guerre, avec le soutien de Breton et
d’Eluard : cela vous ressemble -, Jean Arp, Marcel Janco ou encore Hans
Richter. Votre galerie attire, et devient assez rapidement une entreprise
collective de recherche et de conception plastiques, mêlant les
abstractions géométriques et esthétiques. Une avant-garde se crée autour
de Vasarely, avec Dewasne, Jacobsen, Mortensen, Herbin, Deyrolle et
Poliakoff. Le cap est trouvé avec l’exposition « Tendances de l’art
abstrait » en 1948.
En 1955, vous marquez une étape décisive de l’art contemporain avec une
exposition déterminante : « Le Mouvement », confiée au jeune critique
d’art Pontus Hulten - mise en perspective historique des différentes
générations de l’art abstrait et des articulations entre les oeuvres de
Duchamp, Jacobsen, Tinguely, Soto, Agam ou encore Pol Bury. Deux ans
après cette exposition qui posa les fondements de l’art cinétique, vous
orchestrez la première exposition en France de Mondrian, alors encore mal
aimé dans l’Hexagone, avec des pièces confiées par le Stedelijk Museum
d’Amsterdam.
Avec votre galerie, vous avez ainsi tracé une ligne à la cohérence
puissante, au profit d’une conception esthétique qui a agi comme une sorte
de contrepoids au Pop Art américain, et en rupture avec les courants
figuratifs français. Par la force de la conviction, vous avez réussi à imposer
l’abstraction géométrique et le cinétisme sur le marché de l’art, en étant à
Paris l’une des premières galeristes à rendre compte de la création
internationale. La galerie Denise René s’est en effet progressivement
constitué un réseau très dense de partenaires internationaux, à
commencer par les grandes galeries danoises Birch ou Tokanten.
L’organisation, en 1951, de l’exposition « Klarform » qui tourna dans les
musées scandinaves et belges est le fruit de votre vision européenne et
internationale des réseaux de diffusion. Il aura fallu notamment cette
visibilité internationale pour que la France s’intéresse à l’art cinétique.
C’est grâce à vous que l’on doit également la découverte en France des
artistes sud-américains tels que Julio Le Parc, admirablement montré
aujourd’hui au Centre Pompidou Metz, Tomasello, Cicero Dias ou Cruz-
Diez, mais aussi les figures historiques des avant-gardes d’Europe de l’Est
avec les rétrospectives du Hongrois Lajos Kassak, du Polonais Stazewski
ou avec l’exposition des précurseurs de l’art abstrait en Pologne en 1957
avec Malevitch, Kobro ou Berlewi.
Dès la fin des années 1950, vous avez promu l’édition de d’oeuvres
fabriquées en série. Outre la justesse de vos intuitions, c’est aussi une
dimension d’accessibilité que vous avez su donner à ce métier relais entre
les artistes et les musées.
Dans les années 1960, la galerie Denise René occupe une place centrale
sur la scène internationale de l’art. Vous exportez votre regard en
Allemagne et à New York en 1971 avec Agam. La première crise pétrolière
frappant vos clients américains, suisses et scandinaves, vous vous
concentrez alors sur le marché français et parisien, encore très fermé à
ces formes artistiques - ce qui n’était pas sans déplaire à votre
personnalité qui aime relever les défis.
Nombreux sont ceux ici ce soir qui gardent un souvenir très vif de
l’exposition que le Centre Pompidou vous a consacré en 2001, « Denise
René, l’intrépide. Une galerie dans l’aventure de l’art abstrait ».
L’exposition sur l’op art et l’art cinétique orchestrée par Fabrice Hergott à
Strasbourg, il y a une dizaine d’années, a également sonné l’heure d’un
regain d’intérêt qui ne cesse plus aujourd’hui d’influencer les jeunes
artistes.
La pionnière de l’abstrait continue toujours l’aventure, avec en mars
dernier l’exposition du travail de Wolfram Ullrich dans votre galerie du
boulevard Saint-Germain, ou encore celui de Mortensen dans votre
seconde galerie parisienne de la rue Charlot. La présence de la galerie
Denise René à la FIAC confirme cette première place qu’occupe votre
regard dans les plus hauts lieux de l’art contemporain.
Vous êtes, chère Denise René, l’oeil de l’art abstrait en France et dans le
monde. La ligne que vous défendez depuis si longtemps, celle de
l’abstraction géométrique, du cinétisme et de l’art optique, rend bien pâles,
par comparaison, les modes éphémères. Vous avez oeuvré de manière
magistrale à la reconnaissance publique des plus grands artistes. Je suis
donc particulièrement ému de pouvoir vous rendre hommage aujourd’hui :
c’est grâce à des exigences comme la vôtre que le métier de galeriste
occupe une place essentielle dans l’histoire de l’art vivant. C’est Bertrand
Lavier, qui avait eu cette phrase alors qu’il était exposé chez vous en
1997 : « ne sont vraiment intemporelles que les choses qui sont de leur
époque ».
Chère Denise René, au nom du Président de la République, et en vertu
des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la
Légion d’honneur.