M. le Préfet, Messieurs les Présidents de la Région et du Département, Mme le Maire de Cayenne, Chers amis,

Je suis particulièrement heureux de pouvoir venir enfin en Guyane Ce
déplacement me permet en effet de faire le point avec vous sur un potentiel
considérable, celui d’une région à la diversité culturelle et linguistique
unique pour la France et l’Union Européenne. D’un potentiel qui n’a pas été
pleinement exploité, puisque la Guyane est longtemps restée à l'écart du
développement culturel entrepris dans le reste de la France depuis
Malraux. Il est temps d'y remédier. Pour ce faire, je voudrais évoquer avec
vous un certain nombre de pistes qui s’offrent à nous. Les circonstances
budgétaires actuelles sont, on le sait, défavorables : raison de plus pour
que les projets soient audacieux, aussi bien dans leurs objectifs culturels
que dans leurs modalités d’application.
Le Plan d’action pour l’ Outre-mer
Dans la suite logique des États généraux de l'Outre-mer, initiés par le
président de la République et en application du Comité interministériel de
l'Outre-mer du 6 novembre 2009, j'ai donc décidé d'élaborer, après avoir
fait étudier en profondeur la situation des Outre-mer français par Michel
COLARDELLE avant qu'il ne soit nommé DRAC de Guyane, un « Plan
Outre-mer pour la Culture ». Ce Plan comprend deux actions
emblématiques : une « Année des Outre-mer » en 2011 qui donnera une
lisibilité forte, en métropole particulièrement, aux cultures ultra-marines ; la
création d'une agence de promotion de la culture de l'Outre-mer. L'une et
l'autre sont actuellement en cours de préparation.
Mon « Plan Outre-mer » que je présenterai en détail à la presse demain,
repose sur les principes suivants :
Il viendra soutenir et accompagner des projets élaborés par les collectivités
territoriales, les professionnels et les associations, dans le but de donner
les moyens aux populations ultramarines de prendre en charge leur propre
développement dans les domaines de la culture ;
Il visera à construire et renforcer les capacités culturelles dans une logique
de partenariat ;
Il devra s'inscrire dans une démarche de long terme, dans une vision
pluriannuelle ;
Il fera, enfin, de la formation sa priorité absolue.
Il y a urgence pour le Gouvernement à mettre en oeuvre ces principes.
Valoriser la culture dans les territoires ultra-marins, c’est d’abord se donner
les moyens d’effectuer un travail de mémoire spécifique sur une histoire
singulière et douloureuse. C’est aussi se donner pour ambition une
reconnaissance partagée des identités, des altérités et des métissages.
Cette reconnaissance est au coeur de ma priorité nationale de la « culture
pour chacun », qui vise à recréer les conditions d’une réappropriation des
pratiques culturelles par tous les publics. Ici en Guyane, je pense tout
particulièrement aux publics jeunes.
Le contexte guyanais
La croissance démographique exceptionnelle de la Guyane constitue en
effet, vous le savez mieux que moi, un potentiel considérable pour l’avenir.
Elle souffre aujourd’hui de l'insuffisance des formations dont elle bénéficie,
dans le système scolaire d'abord bien sûr, mais aussi dans ces véritables
écoles de la seconde chance que peuvent représenter les formations et
activités culturelles. Et cela malgré le dynamisme et le volontarisme
remarquable des communes et associations qui les organisent ou les
financent, et qui doivent faire face à une demande en perpétuelle
augmentation. La Guyane connaît un retard dans les infrastructures
culturelles, dû autant à l'insuffisante initiative de l'État qu'aux difficultés
financières dans laquelle se trouvent les Collectivités territoriales de
Guyane, contraintes, j’en suis bien conscient, de parer au plus pressé dans
un climat de perpétuelle urgence. Dotée d’une diversité patrimoniale
exceptionnelle, ancrée dans un continent sud-américain en plein essor, la
culture en Guyane doit pouvoir être en mesure de se projeter vers un
développement international plus large. L’Etat et la Collectivité régionale
doivent partager la responsabilité de cette ambition.
Le plan Outre-mer pour la Guyane
J'ai donc décidé de donner une véritable priorité à la Guyane, en
partenariat avec les deux Collectivités territoriales majeures que sont le
Conseil régional de Guyane, présidé par M. Rodolphe ALEXANDRE, et le
Conseil général de Guyane, présidé par M. Alain TIEN-LIONG ; en
partenariat également avec les autres départements ministériels essentiels
que sont l'Éducation nationale - dont le Recteur, Mme Florence ROBINE,
est fortement impliqué dans l'enseignement artistique et dans le
développement du plurilinguisme -, Jeunesse et Sports, Santé, Justice et
Agriculture.
L'originalité de la Guyane doit mobiliser des dispositions spécifiques. La
persistance de disparités sociales majeures dans la société guyanaise
oblige moralement à privilégier une action publique déterminée. Cela a
bien entendu des implications majeures dans les domaines couverts par
mon Ministère.
Autre particularité dans l'espace national, la diversité linguistique, qui fait
coexister une vingtaine de langues aux côtés du français et du créole
guyanais. Cette diversité exige un traitement particulier, non seulement
pour sa richesse patrimoniale, mais aussi comme formidable outil
d'apprentissage pour d'autres langues plus internationales, en premier lieu
le Français. C’est dans cette perspective, à laquelle je suis très attaché,
d’une mise en valeur dynamique de la diversité linguistique que sera créé
un pôle d’excellence du plurilinguisme et que se tiendront, en 2011, ici à
Cayenne, les états généraux du plurilinguisme en Outre-mer.
C’est dans cette même perspective que je souhaite voir se développer nos
actions dans les domaines du patrimoine immatériel. Mon ministère s'est
engagé par exemple, aux côtés des communautés Wayana et Appalai, en
partenariat avec le Parc national Amazonien de Guyane et avec l'expertise
de chercheurs appartenant notamment au CNRS et à l'IRD, à présenter à
l'UNESCO la candidature du rituel du maraké au Patrimoine culturel
immatériel de l'Humanité.
Le plan Outre-mer pour la Guyane se décline en 4 volets principaux, dont
je vais vous présenter les grandes lignes :
1/ Accroître l'offre culturelle - lecture, spectacle, enseignement artistique -
avec la conception et la mise en oeuvre d'un schéma de développement
pluriannuel faisant l'objet d'une convention de développement culturel pluripartenariale.
L'historique bibliothèque Franconie, aujourd'hui à l'étroit, sera doublée,
selon le voeu du Président du Conseil général, M. Alain TIEN-LIONG, et
son rôle de bibliothèque de lecture publique de Cayenne sera développé.
Par ailleurs, ainsi que Mme Marie-Laure PHILERA-HORTH, Maire de
Cayenne, le souhaite, un plan de renforcement de la lecture publique dans
les quartiers sera conduit, sous la forme de bibliobus.
Un contrat territoire-lecture, avec le Conseil général et les communes de
moins de 10000 habitants, peut aussi permettre de consolider le réseau
des bibliothèques-médiathèques en milieu rural, réseau qui, même s’il est
encore insuffisant, constitue aujourd'hui l'armature de base de la culture en
Guyane.
L'hypothèse de la création d'une scène nationale qui devra agir en réseau
afin de mieux couvrir le territoire va être étudiée avec le Conseil régional,
et je souhaite que soit élaboré, conformément à la loi, un schéma régional
et départemental des enseignements artistiques.
Enfin, il serait important que soit étudiée, toujours selon le même
processus partenarial, la création d'un Fonds régional d'Art contemporain,
afin que la création régionale, dans la diversité de ses inspirations et de
ses métissages, puisse s'exposer, se faire connaître, être mise en
confrontation avec celle des pays voisins et d'autres régions du monde.
La création cinématographique et audiovisuelle sera aussi encouragée par
la signature prochaine d'une convention tripartite Région Guyane/Centre
national du Cinéma/MCC créant un fonds pour la création
cinématographique, permettant à des auteurs et réalisateurs guyanais
d'entreprendre, avec des concours financiers sûrs, des productions de haut
niveau dont le succès du long métrage Orpailleurs de Marc Barrat, que je
salue ici, a par exemple montré le chemin.
2/ Doter la Guyane d'une grande « Maison des cultures et des mémoires
de la Guyane ». Ce projet, initié par le Conseil régional et le Conseil
général, regroupera au coeur de la métropole cayennaise, dans l'ancien
hôpital Jean Martial sauvé de la destruction et restauré, les supports de
son identité passée et présente : le patrimoine oral et linguistique, le
patrimoine matériel, le patrimoine écrit de la Guyane à travers toutes les
périodes de son histoire, toutes les cultures qui l'ont fait naître -
amérindiennes, bushinengé, créole, européennes, hmong ou encore
brésilienne.
Ce centre, réalisé par regroupement des collections complémentaires mais
aujourd'hui réparties entre trois institutions, augmentées de dépôts de
l'État et de collections récentes, rayonnera sur toute la Guyane. Il lui offrira
de nouvelles possibilités en matière d'actions culturelles décentralisées,
comme ce qui a été initié avec succès à Regina, où a été créé le bel
écomusée de l'Approuague-Kaw, et ce qui est en projet à Awala.
Il pourra accueillir le Pôle du plurilinguisme actuellement en projet selon les
conclusions de l'atelier culturel des États généraux de l'Outre-mer en
Guyane. Grâce à l'affectation de crédits exceptionnels, les études de
programmation architecturale et culturelle vont être entreprises dès cette
année, selon les termes d'un protocole d'accord que nous allons signer
avec nos deux partenaires principaux, auxquels pourront ensuite s'en
ajouter d'autres.
Il sera également possible, pour cette institution, de participer au grand
mouvement des expositions temporaires, en recevant des oeuvres des
musées français et étrangers qu'il est aujourd'hui techniquement
impossible d'accueillir en Guyane. La lisibilité internationale de la Région
en sera d’autant plus accrue.
3/ Développer le patrimoine scientifique et technologique : Kourou et son
célèbre Centre spatial, fleuron de la haute technologie européenne, sont
des atouts maîtres pour développer l'information et la formation de la
jeunesse en matière de sciences et de techniques. Nous étudions
actuellement la possibilité, en rénovant le Musée de l'Espace, qui pourra
aisément acquérir le statut de « Musée de France », de concevoir un
Centre de Culture scientifique, technique et industrielle. Ce Centre sera le
fruit encore une fois d'un partenariat avec bien entendu le Centre spatial
guyanais dont le directeur, Joël Barre, est fortement impliqué, mais
également avec le Ministère de l'Éducation nationale et celui de la
Recherche. J'ai confié pour cela une mission de longue durée à un
conservateur de mon ministère, sachant que cette démarche aura pour
contrepartie l'engagement de ce chantier essentiel pour les jeunes
Guyanais mais aussi pour l'attractivité et la notoriété de la Guyane au plan
international.
4/ Enfin, il me semble essentiel de mieux mettre en valeur les patrimoines
témoignant des blessures de la mémoire que sont les vestiges du bagne et
ceux de la plantation. Il est temps que le Camp de la Transportation de
Saint-Laurent du Maroni, le bagne des Îles du Salut et leurs prisonniers
célèbres, dont le capitaine Dreyfus est devenu l'emblème, ou encore le
Bagne des Annamites puisse aller au-delà de l’« effet Papillon » et de
l’anecdote pénitentiaire. Développer plus avant leur potentiel de
témoignage sur les formes d’organisation de la société, sur l'enfermement
et la coercition, telle pourrait être l’ambition de ces monuments historiques,
à la fois pour le visiteur guyanais et métropolitain, mais aussi pour un
public plus international.
La question de la mémoire de la conquête et de la relégation des
populations amérindiennes, celles de l'esclavage, de la traite négrière et de
l'économie de plantation doivent être considérées de la même manière :
connaissance par l'archéologie et par l'histoire ; reconnaissance, comme
partie intégrante de l'édifice historique national, d’une mémoire collective
qui ne doit rien occulter : ni les faits glorieux, ni les souffrances subies.
Il faudrait encore parler de la protection de l'architecture coloniale, créole et
vernaculaire, de la création architecturale, de la recherche, de bien
d'autres sujets. En matière de culture, il n'y a pas de sujet secondaire. Mais
il me faut conclure après ces quelques grands traits jetés d'une action déjà
commencée et qui va s'épanouir en 2011, durant l'Année des Outre-mer.
Ce projet national pour la Guyane est un projet équilibré entre mémoire et
création. C’est un projet mesuré, mais déterminé et ambitieux. C’est un
projet respectueux des particularités guyanaises saisies comme des
éléments constitutifs de la culture nationale et de la culture universelle ;
telle sont les principes que nous devons garder en tête.
Je remercie chaleureusement les artisans de cette entreprise : collectivités
publiques, fonctionnaires de l'État, associations et professionnels de la
culture. Je prends encore plus ces jours-ci la mesure de leur compétence,
de leur engagement et de leur enthousiasme.
Cet enthousiasme, je le partage pleinement avec vous, et je tiens à vous
renouveler aujourd’hui le plein engagement de l'État dans la réalisation de
ce projet pour la Guyane et pour les Guyanais.
Je vous remercie.