Monsieur le Ministre, cher Henri Caillavet,Monsieur le Président-Délégué, cher Denis Clair,Mesdames et Messieurs,Chers ami(e)s,

Je me réjouis d’être parmi vous aujourd’hui et vous remercie vivement de
votre invitation. Le Comité directeur de votre Association traduit son
autorité et sa représentativité dans le débat public. Depuis une quinzaine
d’années, vous avez affronté la plupart des sujets de société et des débats
contemporains avec un grande hauteur de vue. Les valeurs de tolérance,
de dialogue et la confrontation des points de vue sont au coeur de votre
démarche : ce sont aussi les miennes. Je suis en effet convaincu qu’une
action publique partagée ne peut être fondée sur la seule autorité.
Je suis très sensible au fait que vous ayez invité le Ministre de la Culture et
de la Communication afin de présenter son action, ses priorités mais aussi
sa vision de la culture au début du XXIe siècle.
I. L’action culturelle publique s’inscrit aujourd’hui dans un contexte
profondément bouleversé
Nous devons partir d’un constat : la mondialisation et le tournant
numérique sont aujourd’hui les deux mutations majeures de la création et
des pratiques culturelles. La mondialisation de l'économie et la révolution
numérique favorisent incontestablement la circulation des biens et services
culturels. Cependant, il est largement avéré que les mécanismes en
vigueur ne jouent pas nécessairement en faveur de relations culturelles
équilibrées. Les impératifs de rentabilité du marché entrent en contradiction
avec le souhait de donner aux créateurs la possibilité de se faire connaître
et de donner au public le choix d’une véritable offre culturelle diversifiée.
Nous devons être lucides. La « grande maison » inventée par André
Malraux a accompagné les changements, ses compétences et ses
domaines d’intervention se sont élargis, amplifiés, diversifiés. Après le livre
sous Michel Guy, puis l’architecture dans les années 80, le domaine
considérable des médias et de la communication est désormais pleinement
intégré dans le champ de compétence ministériel de la rue de Valois.
Aujourd’hui les défis sont multiples : Comment répondre précisément aux
défis de la révolution numérique et à la présence de géants comme
Google ? Comment répondre à la fracture générationnelle et sociale afin
de promouvoir une culture mieux partagée ? Comment s’intégrer dans le
contexte juridique européen, dans le contexte économique mondial ?
L’exemple du numérique est, me semble-t-il, emblématique du rôle que
nous pouvons, que nous devons jouer au nom de ce ministère et des
valeurs qu’il porte. Le numérique est bien sûr une formidable opportunité
de développement culturel : c’est un outil de création, un outil de
conservation du patrimoine, de diffusion de contenus culturels auprès de
nouveaux publics, les jeunes en particulier. C’est aussi un moyen de
renforcer le lien social, en permettant de tisser et de façonner de véritables
« communautés de goûts ».
Etre conscients de ces possibilités, faire en sorte que l’offre de ces
contenus culturels soit lisible, être les garants du respect des droits des
auteurs et des créateurs dans l’univers numérique.
La reconnaissance de la double nature des biens culturels, leur valeur
économique quantifiable, et leur valeur sociale et symbolique qui exige
que leur circulation échappe à la seule logique du marché a d’ailleurs
prouvé son utilité lors de la crise économique récente. Face à la crise, les
industries culturelles, leur savoir faire, et plus généralement toutes les
activités de la culture, ont montré leur solidité pour devenir un pôle de
résistance, et contribuer à de nouvelles formes de croissance. Il faut
cependant aller plus loin pour adapter, voire réinventer nos modes de
régulation et d’intervention. C’est bien ce qui est recherché dans les
actions de numérisation dont j’ai obtenu l’inscription au grand Emprunt. Le
numérique sera l’un des axes forts de l’action que je souhaite conduire à
la tête de ce ministère au cours des prochains mois.
Nous ne sommes pas seulement confrontés à des évolutions
technologiques. Nous nous inscrivons également dans un environnement
qui dépasse largement nos frontières : l’espace européen, mais aussi la
globalisation, nous conduisent à intégrer des évolutions économiques,
juridiques dans bien des domaines. Je pense à celui de l’enseignement
supérieur par exemple, où les évolutions récentes – notamment
l’application du dispositif « Licence-Master-Doctorat » - sont porteuses
d’une formidable ouverture européenne, d’une réelle reconnaissance
pour nos étudiants, mais aussi d’une meilleure lisibilité de nos
établissements.
Parmi les fortes évolutions de ces dernières années figure encore la
montée en puissance dans la politique culturelle d’autres acteurs que
l’Etat. Ce dernier n’est plus le seul financeur, le seul prescripteur, ni même
le seul expert d’ailleurs.
La refondation du partenariat avec les collectivités locales apparaît ainsi
indispensable. C’est un sujet que j’évoque souvent, lors de mes
déplacements, avec les élus locaux et les dirigeants des territoires. Je me
suis beaucoup investi pour que soit préservée la clause de compétence
générale en matière culturelle. Mais la nature du partenariat entre Etat et
collectivités doit évoluer ; le temps est venu d’une « nouvelle donne ».
Ce partenariat doit permettre davantage de cohérence et de
convergences entre les politiques culturelles publiques, de l’Etat et des
collectivités territoriales. Le contexte budgétaire nous l’impose : il s’agit
d’avancer ensemble sur des priorités partagées, en évitant le
saupoudrage et la dispersion des moyens.
Il me semble également que le ministère doit travailler à une
adaptation de ses programmes d’action en fonction de la réalité de
chaque territoire. En d’autres termes, préférer « l’esprit de finesse » à «
l’esprit de géométrie » dans les grandes lignes directrices de nos
politiques culturelles. Michel Guy, Secrétaire d’Etat à la culture entre 1974
et 1976, auquel je viens de rendre hommage il y a quelques semaines, fut
un visionnaire en signant les « chartes culturelles » entre le Ministère et
les grandes villes : je souhaite que nous procédions avec autant
d’ambition et de vision.
II. L’ambition, je la crois possible et indispensable bien sûr, même en
période de difficultés budgétaires : c’est pourquoi je soutiens de grands
chantiers emblématiques.
La Maison de l’Histoire de France à Paris, c’est le projet qui nous permet
de renouer avec la dynamique vertueuse qui relie un futur à inventer, à un
passé qui nous appelle à réfléchir. La construction du site des Archives
nationales à Pierrefitte, qui sera ouvert au public en 2013, traduit une
grande ambition pour nos archives, ces fonds où reposent le passé de tous –
célébrités comme anonymes –, ces fonds où se côtoient les chercheurs
expérimentés mais aussi les « historiens du dimanche » comme le disait
Philippe Ariès, qui pourtant était loin d’être un historien du dimanche. Avec
66 000 m², ce sera l’établissement le plus moderne d’Europe.
Le Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée de
Marseille - auquel 30 millions d’euros seront consacrés l’année
prochaine avec l’aménagement du site paysager du Fort Saint-Jean et
la réalisation du projet architectural de Rudy Ricciotti -, traduit
également une grande ambition au service des arts, des traditions
populaires et du dialogue avec « l’autre rive ». La rénovation du Musée
Picasso qui sera lancée en 2011, il s’agit d’un projet muséal de premier
ordre pour l’une des plus belles collections du XXe siècle. La
Philharmonie, il s’agit de la volonté de doter Paris et sa région d’un lieu de
niveau international dédié à la musique symphonique et aux grands
orchestres. Dans le domaine des arts plastiques enfin, le chantier de
rénovation du Palais de Tokyo – les travaux vont reprendre -, qui
bénéficiera de près de 15 millions d’euros en 2011, et qui consistera
en quelque sorte en une factory à la française de 22 000 m², permettra
de présenter le meilleur de la création artistique, des talents
émergents aux artistes plus confirmés, spécialement la scène
française et permettra notamment de réveiller le marché de l’art.
Je porte constamment et fortement chacun de ces grands projets qui,
sans mon intervention, auraient pu disparaître. Ils correspondent à
mes convictions et à l’idée que je me fais de ce ministère et de la
place de la culture dans la Cité.
Je ne voudrais pas oublier le « Plan Musées », qui mobilisera près de 70
millions d’euros sur le projet de loi de finances 2011-2013 et concernera
près de 79 établissements en région, créant un effet levier en faveur de
l’attractivité des territoires. Je veux aussi mentionner bien sûr l’installation
d’HADOPI, le lancement de la Carte musique, deux instruments au
service de notre politique dans le domaine de la création musicale.
HADOPI est un dispositif pédagogique, qui repose sur une réponse
graduée, sur des messages d’avertissement adressés aux internautes. Il
ne s’agit pas de « surveiller et punir » mais de contrôler et de garantir, en
d’autres termes de « civiliser » internet. Conformément aux conclusions
du rapport Zelnik, il s’agit bien de favoriser le développement de l’offre
légale, de garantir la protection des oeuvres contre le téléchargement
illégal mais aussi d’observer les usages licites et illicites, et surtout de
préserver la création.
Permettez moi de m’arrêter un instant sur la Maison de l’Histoire
de France, objet de bien des controverses qui devraient s’apaiser avec
la mise en place du conseil d’orientation scientifique autour du 20
janvier. Face à un futur qui suscite la peur, l’inquiétude, face à un
avenir de plus en plus vécu sur le mode de l’apocalypse imminente, où
de la catastrophe toute proche – ce que François Hartog décrit comme
le changement du « régime d’historicité » -, il me semble essentiel de
faire en sorte que la transmission de la mémoire bénéficie d’un lieu
identifié. Il ne s’agit pas d’un musée, il s’agira d’une Maison, c’est-à-dire
d’un réseau ouvert à la communauté des historiens, ouvert aux jeunes
chercheurs, et destiné aussi au grand public. Celui-ci manifeste une
véritable « demande d’histoire », comme en témoignent les Rendez-vous
de l’histoire de Blois ou le succès des émissions de télévision ou de radio
consacrées à l’histoire. Grâce à un espace numérique innovant, cette
maison de l’Histoire permettra de cartographier les sites et les musées
d’histoire existants sur tout le territoire national. Elle sera un lieu de
valorisation de la recherche et du savoir, mais aussi un lieu d’éducation et
de transmission à destination du grand public. Il ne s’agit évidemment pas
de créer un reposoir pour le « roman national », ni d’ériger un
conservatoire du passé, mais bien d’ouvrir au questionnement, au
dialogue, à l’échange, notre histoire au miroir de l’Europe et du monde.
Il me paraît à la fois naturel et nécessaire qu’elle puisse s’appuyer
sur une collaboration fructueuse avec nos musées nationaux, comme
avec les archives, sources de notre histoire, patrimoine qui appartient à la
nation tout entière, et où les traces des grands hommes côtoient celles
d’individus anonymes dont la vie est enfouie dans le silence des archives
et des documents.
Je voudrais évoquer également le principe d’action « Culture
pour chacun : culture partagée». Pour chacun, car la culture, je le dis
souvent, est du domaine de l’intime. Pour chacun car la culture, même
lorsqu’elle est diffusée, est une chose trop délicate pour être
simplement une et indivisible ; elle est toujours reçue d’une manière
différente, transformée, lorsqu’elle est accueillie. A cet égard
permettez-moi de citer tout simplement le discours prononcé par
André Malraux devant l’Assemblée nationale le 27 octobre 1966 :
« […] Ce qui est clair, c’est qu’il y a la culture pour tous et qu’il y a la
culture pour chacun. Dans l’un des cas, il s’agit, en aidant tout le
monde, de faire que tout le monde aille dans le même sens – dans
l’autre cas, il s’agit que tous ceux qui veulent une chose à laquelle ils
ont le droit puissent l’obtenir. Je le dis clairement : nous tentons la
culture pour chacun ». Ces considérations ne sont en rien inactuelles !
Elles ont été mises en oeuvre par mes prédécesseurs. Il faut continuer,
accélérer. Dans une société parfois fragmentée, dans une société où
la tentation du repli, de l’individualisme – parfois même du « ghetto
culturel » - affleure trop souvent, il nous faut inventer de nouveaux
modes de sensibilisation, de médiation, d’action culturelle, qui doivent
prendre des formes adaptées à la diversité de la population française
d’aujourd’hui.
La « Culture pour chacun », ce n’est ni un succédané de la
démocratisation culturelle, ni une nouvelle version du « Tout culturel » :
elle ne se substitue pas à l’ambition de la «Culture pour tous » : bien au
contraire, elle la nourrit, elle l’enrichit. Il faut constamment réaffirmer
qu’elle ne remet nullement en cause les acquis de 50 ans de politique
culturelle, mais qu’elle apporte un complément, une étape nouvelle
adaptée aux enjeux d’aujourd’hui.
Donner corps à la « culture pour chacun », ce sera l’un des grands
chantiers de ces prochains mois. Le lien avec les collectivités locales,
avec les associations, sera essentiel à mes yeux, c’est la raison pour
laquelle je demande aux DRAC de proposer des partenariats et
conventions avec des collectivités autour de la culture pour chacun, ou
encore d’identifier des collectivités pouvant accueillir des projets ambitieux
tels que par exemple le Centre Pompidou mobile.
III. Pour servir cette ambition et atteindre les publics empêchés, je
souhaite que nous donnions enfin leur chance aux « oubliés de l’égalité
des chances » dans le domaine culturel.
Je pense aux malades, je pense aux exclus, je pense aux handicapés. Je
sais que les auditeurs de la Radio Vivre FM sont sensibles à cette
dimension ; je voudrais donc un instant m’y arrêter. Dans notre pays, sur
la question du handicap, notre état d'esprit doit évoluer, les mentalités
doivent changer. C’est une condition préalable pour mener toute action
pérenne. Un travail de pédagogie est nécessaire pour sensibiliser les
professionnels de la culture, comme ceux du milieu associatif. C'est un
travail de longue haleine, un travail exigeant ; nous l’avons engagé avec
détermination.
Dès 2001 a été créée la Commission nationale Culture-Handicap qui nous
a permis, en lien étroit avec les associations représentatives des
personnes handicapées, de définir un plan d’action et des priorités
partagées. Dans le domaine de l’information, de l’accessibilité aux lieux
culturels mais aussi aux industries culturelles, des progrès substantiels
ont été réalisés. La réalité du handicap exige attention, suivi et continuité.
Mon ministère mène un important travail de publication en collaboration
avec les membres de cette commission. Le premier guide « culturehandicap
» à l'usage des professionnels des structures culturelles, édité
en février 2007, a été réédité en 2009 ; un guide sur « Equipements
culturels et handicap mental ». Je crois que l’accès à la culture est le
meilleur vecteur pour libérer l’esprit de la « prison du corps » et pour
certains libérer le corps de la « prison de l’esprit ». Par ailleurs, en matière
d'accessibilité aux visiteurs handicapés, le prix « Musée pour tous, musée
pour chacun » récompense les meilleures initiatives et les bonnes
pratiques. Je sais qu’il reste encore beaucoup à faire pour l'accès des
personnes handicapées à l’audiovisuel – je pense notamment du soustitrage
à destination des personnes sourdes et malentendantes et, audelà,
à l'audiodescription à destination des personnes aveugles et malvoyantes,
mais aussi à l’accessibilité dans les salles de cinéma. C’est
dans ce but que le CNC a sollicité CANAL+ afin qu’elle s’engage lors de
ses contrats de préachat, à demander aux producteurs qu’ils réalisent le
sous-titrage de leurs oeuvres dès la phase de post-production. C’est
désormais chose faite et c’est une avancée remarquable ; c’est la prise en
compte d’une exigence d’équité au coeur même du processus de
création.
Offrir à chacun, dans son individualité, dans sa singularité, dans son
humanité, une culture partagée, telle doit être notre ambition. L’accès à la
culture est à cet égard le meilleur vecteur pour libérer l’esprit de la
« prison du corps » et pour certains libérer le corps de la « prison de
l’esprit ».
Vous le voyez, mesdames et messieurs, les défis sont immenses, les
chantiers considérables. L’historien Pascal Ory remarquait récemment
que le « pessimisme culturel est éternel ». C’est assez juste. Pourtant,
vous l’aurez compris, ce n’est pas lui qui m’anime en tant que ministre de
la Culture et de la Communication. Pour préserver notre patrimoine, pour
servir notre création, pour promouvoir nos médias et nos industries
culturelles, l’heure est aujourd’hui à l’inventivité et à l’audace. Comme
l’affirmait Stendhal, en libéral amoureux de la liberté : « Les peuples n'ont
jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur ». Ce
programme, il est le nôtre, il est le nôtre aujourd’hui, il le sera encore
davantage dans les dix huit mois à venir.
Je vous remercie de votre attention.