Monsieur le Président du jury, Monsieur le directeur des rédactions du Groupe Moniteur, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Mesdames et Messieurs les lauréats, Mesdames, Messieurs, Chers amis architectes,

Lorsque Victor Hugo affirme que « l’'architecture est le grand livre de
l'humanité », il dit combien cette dernière traduit la vision d’une période,
l’esprit d’une époque, l’état d’une civilisation. J’y attache, vous le savez,
une attention toute particulière. C’est donc pour moi un immense plaisir de
vous retrouver ce soir pour remettre à leurs lauréats l’Equerre d’Argent, le
Prix spécial du Moniteur et le Prix de la Première OEuvre, qui récompensent
depuis 28 ans les architectes français les plus créatifs. Il est pour ainsi dire
le point d’orgue de l’année architecturale.

En attendant que les bronzes de Bruno Romeda soient confiés à leurs
heureux récipiendaires, je voudrais vous dire l’importance des rendez-vous
comme celui qui nous rassemble aujourd’hui. Ce que permettent les prix
d’architecture du Moniteur, c’est avant tout un travail de légitimation et de
reconnaissance.

Reconnaissance des compétences, incontestables dans chacun des
projets étudiés par le jury. Reconnaissance d’une véritable intelligence
professionnelle et relationnelle, puisqu’il faut rappeler que le Moniteur tient
avant tout à rendre hommage au dialogue indispensable entre l’architecte
et son maître d’ouvrage.

Reconnaissance d’une continuité parfois, mais aussi de l’émergence de
jeunes talents porteurs de nouvelles idées, de nouvelles méthodes, de
nouveaux questionnements.

Reconnaissance, enfin, de la vitalité de l’architecture française, de sa
capacité à penser, proposer et aboutir des programmes réalistes et
innovants, capables de stimuler la profession toute entière.

En tant que ministre de la Culture et de la Communication, ainsi que je l’ai
rappelé à l’occasion de mes voeux, j’entends être le ministre des
architectes, de leur « naissance » pour ainsi dire à leur développement.
L’année 2010 a été particulièrement riche et a constitué une étape
importante de la politique architecturale du ministère.

Elle a vu se renforcer le rayonnement de la création architecturale
française à l’étranger. Je pense tout particulièrement aux superbes
pavillons que Jacques FERRIER et Dominique PERRAULT ont proposé à
l’Exposition universelle de Shanghai et à la Biennale d’architecture de
Venise.

Elle a confirmé des promesses, comme celle, formulée par le Président de
la République, de mettre en place l’Atelier international du Grand Paris
pour en faire un outil de dialogue et de création, prolongement de
l’extraordinaire creuset d’idées de la consultation internationale sur le
Grand Paris. Je me félicite de la rencontre, le 15 décembre dernier, entre
le Président de la République et les dix architectes-urbanistes qui ont
participé à cette consultation. Le schéma alternatif en matière de
transports publics qui a alors été présenté et discuté au Palais de Tokyo
est un signal fort de la volonté collective qui sous-tend ce projet. Au sein
de ce dispositif de référence, les architectes sont une force de proposition
et jouent un rôle décisif.

En 2011, le Ministère, et notamment le service de l’architecture, a vu
l’arrivée de Bertrand-Pierre Galey comme directeur-adjoint aux côtés du
directeur général des patrimoines, Philippe Bélaval. Je suis persuadé qu’il
continuera à mettre son dynamisme et ses convictions au service de
l’architecture et des architectes. Nous devons travailler ensemble afin de
développer cette « intelligence du paysage » mêlant qualité, innovation et
mieux-être, qui doit être au coeur des politiques publiques en matière
d’architecture. Elle est à mes yeux la signature et la marque de fabrique du
Ministère de la Culture et de la Communication. C’est dans ce même esprit
que sera prochainement proclamé le Grand Prix national de l’architecture,
qui consacrera l’exemplarité et la singularité de l’oeuvre d’un architecte ou
d’une agence, deux ans après Anne LACATON et Jean-Philippe VASSAL.

Le XXIe siècle a introduit une nouvelle approche de la ville et des
territoires urbains. Parce que la métropole doit être « durable », elle se
pense et se construit dans une approche transversale. Elle est désormais
enracinée dans un territoire, dans une culture de mobilité et dans un
habitus partagé au sein desquels le confort, le mode de vie et les
aspirations des citoyens sont largement pris en compte. Un projet urbain
durable, cela suppose une architecture responsable, consciente des
enjeux de qualité environnementale, de viabilité économique et d’équité
sociale. Il revient aux architectes, aux urbanistes, aux sociologues de les
penser. Il revient aux acteurs publics de les organiser, de les transformer
et de promouvoir les nouvelles formes du « vivre ensemble ».

Le développement durable ne doit pas être seulement une incantation ou
un horizon vers lequel on doit tendre. Il doit avant tout nourrir - et non pas
seulement dans le seul acte de construire - un nouveau processus de
concertation aux exigences élevées, qui vise avant tout à l’amélioration de
la vie de chaque ville, de chaque quartier, de chaque usager. Parce que la
ville a changé, les méthodes pour la construire doivent changer et je sais
que vous y accordez un grand prix et une grande attention. Ce sont là les
grands défis d’avenir auxquelles les métropoles font face aujourd’hui : se
développer, s’embellir, s’agrandir, communiquer sur leur attractivité,
devenir « durables » afin de fidéliser ceux qui résident aujourd’hui et ceux
qui voudront s’y installer demain.

Cette ambition, je la fais mienne, cette vision je la partage. C’est là
l’ambition de mon Ministère, de ses établissements publics et de ses
services déconcentrés, que j’ai voulu inscrire pleinement dans la stratégie
nationale de développement durable définie par le Comité interministériel
réuni en juillet dernier. C’est ce que le Ministère de la Culture et de la
Communication, à travers la direction générale des patrimoines, cherche à
privilégier dans chacun des programmes architecturaux qu’il encourage ou
coordonne.

Ceci, je me permets d’insister sur ce point, ne concerne pas seulement la
construction, mais aussi les politiques de sauvegarde des sites et de
renouvellement urbain. La qualité architecturale et paysagère est une
exigence qui s’applique à tous les territoires, à toutes les opérations. La
mise en place des Aires de mise en valeur de l’architecture et du
patrimoine, qui vont se substituer aux ZPPAUP, et le prochain programme
national de rénovation des quartiers anciens dégradés seront autant
d’occasions de confirmer que la qualité du cadre de vie est une priorité
pour mon ministère.

La construction éco-responsable ne peut plus aujourd’hui reposer sur des
exceptions, sur des exemples certes brillants, mais isolés. Elle doit intégrer
mais aussi dépasser la seule question des économies d’énergie et des
choix de matériaux respectueux de l’environnement. Elle doit s’inscrire de
manière pérenne dans le débat public, faire l’objet d’une véritable
pédagogie. Construire « durable » reste, j’en suis convaincu, lié à un
processus d’apprentissage, pour les professionnels, les maîtres d’ouvrage
et les architectes de demain. Etienne-Louis Boullée (1728-1799), dans ses
Considérations sur l’architecture disait que « l’architecte doit se rendre le
metteur en oeuvre de la nature ». Nous pourrions presque inverser les
termes aujourd’hui, au nom d’un impératif qui doit désormais informer
toutes les politiques du paysage.

C’est pourquoi j’accorde une si grande importance aux écoles nationales
supérieures d’architecture, dont la mobilisation sur les thématiques de
l’éco-responsabilité est totale. Leur participation, avec le soutien des
Grands Ateliers de l’Isle d’Abeau, au concours international du Solar
Decathlon, a montré qu’elles savaient relever le défi des énergies
renouvelables.

Je veux aussi rappeler, parce qu’elle est essentielle, la contribution des
laboratoires des ENSA dans la réflexion et la diffusion des réflexions
métropolitaines à l’échelle des grandes capitales régionales, dans la
continuité des études de prospective menées lors de la consultation
internationale du Grand Paris, portées par la suite par l’Atelier international
du Grand Paris.

J’attends avec impatience que soient parachevés les programmes
d’extension et de réhabilitation des écoles de Clermont et de Strasbourg
pour que le réseau des ENSA se modernise et s’organise davantage.
Depuis mon arrivée rue de Valois, je vois à quel point la jeune architecture
française est talentueuse et créative. Je veux m’assurer que la mise en
place des meilleures conditions pour leur transmettre les savoirs
architecturaux, condition indispensable de l’innovation.

Vous – et je m’adresse à tous les architectes présents ce soir – connaissez
les enjeux et les exigences d’une architecture éco-responsable. La
métropole de demain, vous la fabriquez, lui donnez sa forme, vous lui
imprimez son caractère. Vous rencontrez des difficultés, je ne l’ignore pas,
dans l’exercice quotidien d’une profession où il faut travailler avec une
chaîne d’acteurs de plus en plus complexe, où il faut s’adapter à des
normes et à des réglementations souvent contraignantes, où il vous faut à
la fois répondre à des critères de performance très précis et continuer à
jouer votre rôle décisif pour façonner l’identité du territoire.

Aujourd’hui, l’architecte est tout autant bâtisseur que chef d’orchestre –
Mozart ne dit-il pas que « l’architecture, c’est de la musique figée » - mais
aussi alchimiste, diplomate, expert, démiurge. Et c’est pour cela que nous
avons besoin de vous, de votre oeil et de votre expertise ! Parce que vous
savez faire le lien, parce que dans ce nécessaire travail d’équipe, dans ce
dialogue permanent avec vos partenaires, vous restez le médiateur et le
garant de l’excellence du programme. Je crois que c’est précisément dans
cette approche à plusieurs voix que se construit une architecture
responsable.

Chère Pascale GUEDOT, je voudrais maintenant rendre hommage à votre
travail. Vous avez, avec une remarquable douceur, apprivoisé un site avec
ses contraintes techniques, ses atouts paysagers, son héritage industriel. Il
y a dans la médiathèque d’Oloron-Sainte-Marie l’équilibre que l’on doit
attendre de tout nouveau bâtiment : élégance des volumes ; symbiose
avec le magnifique cadre naturel du piémont pyrénéen ; fluidité des
circulations ; fonctionnalité des aménagements intérieurs. Vous avez
surtout participé avec la création de cet équipement au développement
culturel de tout un territoire, désormais doté d’un nouvel équipement de
proximité au service de la lecture publique et de la connaissance. On sait
combien le livre reste et demeure un point d’accès privilégié à la culture
dans toutes ses dimensions. C’est le sens du plan en 14 points que j’ai
annoncé en mars 2010 afin de tirer notamment profit des nouvelles
ressources numériques pour la lecture. Mais la lecture se nourrit du lieu qui
la fait vivre et qui lui donne souvent sens. Chacun sait combien le lieu
bibliothèque peut fortifier l’imagination et faire naître des vocations de
lecteurs.

L’impression qui se dégage de votre travail d’architecte, c’est celle de
l’évidence. Vous avez su déposer une médiathèque au beau milieu d’un
cours d’eau et l’intégrer harmonieusement dans son site naturel.
L’utilisation de matériaux organiques fait d’elle une butte-témoin, un
repère, une sorte d’élément inamovible lié à la longue histoire du gave
d’Oloron. Ce qui me séduit, c’est votre capacité à inventer un lien original
entre un ancien site industriel – une manufacture de bérets –, la
confluence des gaves – ces cours d’eau typiques des pays du Béarn et de
Bigorre – et les vallées environnantes. A la complexité du site, vous avez
répondu avec la force de l’évidence et l’élégance de l’épure.

Permettez-moi d’ajouter qu’avec ce projet, vous avez eu l’audace de
contredire rien moins que Diderot et D’Alembert. Dans leur Encyclopédie,
les deux philosophes disent des gaves, et notamment ceux d’Aspe et
d’Ossau, que « leur rapidité est cause qu’ils ne portent point de bateaux ».
La médiathèque d’Oloron-Sainte-Marie, ancrée à la manière d’une proue
de navire à la confluence de deux gaves, s’inscrit pourtant en faux.

Je me réjouis, du reste, de voir que cette Equerre d’Argent récompense le
plus solide des matériaux : la relation de confiance que vous avez nouée
avec vos maîtres d’ouvrage, la Ville d’Oloron et la Communauté des
communes du Piémont Oloronais. Comment aurait-il pu en être
autrement ? Vous, l’enfant du pays, née à Rébénacq, étiez la plus à même
de « sentir » ce territoire, de comprendre les enjeux locaux et de traduire
les besoins exprimés par les élus et les habitants. Cette collaboration
fructueuse est un signe très encourageant et la traduction d’un dialogue
authentique et respectueux entre maîtres d’oeuvre et maîtres d’ouvrage.

Chère Pascale GUEDOT, j’ai l’immense plaisir de vous remettre l’Equerre
d’Argent 2010, qui vous a été fort justement décernée par le jury du
Moniteur, en récompense d’un travail exemplaire et d’une oeuvre qui
deviendra, je n’en doute pas, un modèle.

Cher Nicolas MICHELIN, je viens de louer l’humilité et la discrétion de la
réalisation de Pascale GUEDOT. Je dois pourtant reconnaître que vous
avez été l’un des premiers à appeler de vos voeux une architecture
« discrète » et « durable ». Une de vos formules m’est restée à l’esprit car
elle résume à la fois votre démarche et l’avenir de l’architecture que je
qualifiais de « responsable » il y a quelques instants : construire des
bâtiments « ordinaire-extra » plutôt qu’« extraordinaires ». Plus qu’un jeu
de mots, il y a là une vision et une éthique.

Avec l’éco-quartier « Grand Large », à Dunkerque, vous faites oeuvre,
comme souvent, d’urbaniste. La ville de Dunkerque a connu une histoire
industrielle parfois douloureuse, qui a laissé de profondes cicatrices dans
son tissu urbain. Depuis 20 ans, grâce au projet Neptune, Dunkerque se
relève, Dunkerque se reconstruit. Le quartier « Grand Large » contribue à
cette remise à flots en faisant du développement durable une clé de voûte
et des relations sociales une exigence.

Toutes les dimensions du développement durable - c’est là votre tour de
force - s’y croisent et se nourrissent. L’ambition écologique est manifeste
grâce à votre souci constant de la basse consommation énergétique des
bâtiments et à un système de récupération des eaux de pluie. Tout comme
la volonté de mixité sociale à travers une multitude de bâtiments aux
fonctions et styles différents, de la maison individuelle aux logements
collectifs. A travers des espaces verts et des lieux ouverts, vous parvenez
à balayer l’apparente contradiction entre portuaire et balnéaire et vous
contribuez à doter ce nouvel espace dans la ville d’une véritable identité de
quartier.

Bien qu’elle se veuille sobre, votre architecture, cher Nicolas MICHELIN,
est une architecture totale. Et c’est cette immense qualité qui est
récompensée à travers la « Mention spéciale » du jury que j’ai le plaisir de
vous attribuer ce soir.

Permettez-moi, avant de m’adresser aux plus jeunes de nos lauréats, de
souligner la qualité et la cohérence de cette édition 2010 de l’Equerre
d’Argent. Elle célèbre des oeuvres sobres et soucieuses de leur
environnement, des oeuvres qui ont l’eau comme point commun, des
oeuvres qui allient un geste architectural et une intelligence profonde des
sites et de leur histoire.

Autant de caractéristiques propres à la réalisation de l’atelier RAUM et de
ses trois jeunes architectes Julien PERRAUD, Benjamin BORÉ et Thomas
DURAND, qui nous invitent au voyage au coeur du Morbihan et de la ria
d’Etel. J’ai plaisir à vous retrouver car l’année 2010 m’a déjà permis de
vous récompenser comme lauréats des Albums des jeunes architectes et
des paysagistes. Je tiens particulièrement à ce concours initié par mon
Ministère pour la promotion des jeunes talents français et européens, dont
l’appel à candidatures pour la session 2011-2012 sera lancé au début de
l’été. Les Albums offrent toujours de belles découvertes : vous en avez fait
partie, vous le confirmez aujourd’hui. Au printemps dernier, je me souviens
avoir été séduit par la diversité de vos projets, par cette insatiable curiosité
qui vous pousse à construire, scénographier, installer ou même
sérigraphier, dans le pays vendéen et ailleurs. Dans ces paysages
mouvants de marais où l’eau miroite, où les yoles fendent lentement les
eaux, vous avez saisi avec justesse les caprices des couleurs et des
lumières.

Vous avez ainsi travaillé sur le hangar. Sa place dans nos représentations
est celle d’un bâtiment austère, fragile, réduit à sa simple fonction
d’entrepôt et d’abri. Vous en proposez une nouvelle définition pour
l’ostréicultrice avec qui vous l’avez pensé : lieu de travail, mais aussi lieu
de détente, atelier mais aussi refuge. Le nom de votre atelier, « Raum » -
« la pièce », en allemand - est d’ailleurs bien choisi et correspond à votre
approche à la fois subtile et forte. Il résume votre démarche : la
construction d’un lien renouvelé entre l’homme et son environnement, lien
qui passe par le premier des refuges : la pièce dans laquelle chacun
habite, travaille, évolue.

Je ne crois pas me tromper en disant que 2010 a été une grande année
pour vous trois. C’est l’accomplissement de votre travail : vous devez en
être fiers, sachez que je partage votre joie. J’ai donc le plaisir de vous
remettre le Prix de la Première OEuvre 2010, qui appellera, je n’en doute
pas, d’autres récompenses plus prestigieuses encore dans l’avenir.

Si cette édition 2010 des prix d’architecture du Moniteur a été si stimulante,
nous le devons à la qualité et à la pertinence du jury du Moniteur et de son
président, M. Guillaume PROT. Je les remercie vivement pour leur
contribution à la promotion de l’excellence architecturale française et vous
confie à tous mon impatience de vous retrouver l’an prochain pour ouvrir
une « nouvelle page » de ce grand livre dont Hugo se plaisait à décrire les
pages et à inspecter les reliures.

Je vous remercie.