Charles BAUDELAIRE disait : « Toute phrase doit être en soi un monument bien coordonné, et l’ensemble de tous ces monuments forment la ville qui est le Livre ». Cette phrase superbe me paraît pouvoir servir de portique à une présentation de l’ouvrage « monumental » et néanmoins accueillant et aéré, qu’Adrien GOETZ et Isabelle LEMESLE, ainsi que les cent écrivains qu’ils ont su rassembler autour de leur projet, ont bien voulu nous offrir cette année.
Cet ouvrage est une déclaration d’amour à la fois intime et collective de nos écrivains d’aujourd’hui à ces monuments nationaux qui constituent l’une des ailes les plus prestigieuses de l’architectonique de notre mémoire. J’ai tenu absolument à participer à ce moment de présentation et à cette rencontre avec les maîtres d’ouvrage de ce livre et tous ses bâtisseurs, afin de m’associer à cette déclaration d’amour, non seulement comme écrivain et comme citoyen, mais aussi et surtout aujourd’hui ès qualités, comme ministre de la Culture (et de la Communication).
Je m’y associe de tout cœur aussi parce que je trouve que la démarche qui a guidé la conception et la réalisation de ce livre est la bonne. Il s’agit de mettre en lumière notre patrimoine au miroir de la création contemporaine, d’exalter et de sublimer nos vieilles pierres dans la jouvence des styles d’aujourd’hui. Je suis convaincu que c’est ainsi, par la rencontre et le jeu de l’ancien et du moderne, et non par leur querelle, que nous portons le mieux les couleurs de notre patrimoine, que nous créons des passerelles vers lui pour tous les publics, c’est-à-dire pour tous les Français, et pour tous ceux qui visitent notre pays et son patrimoine unique au monde.
Unique, il l’est par la diversité et l’étendue des strates historiques qui le façonnent, depuis la préhistoire des grottes ornées qui inaugurent cet ouvrage et des sites mégalithiques comme les alignements de Carnac, ou encore de la grotte de Lascaux, qui ne dépend pas de votre juridiction, chère Isabelle LEMESLE, mais dont nous examinons le devenir avec la plus grande attention et je dirais même avec la plus grande affection.
Ce livre épelle, par ordre chronologique, toutes les époques et la plupart des splendeurs de notre patrimoine, celles de l’Antiquité avec, comme Glanum, l’innombrable armada des châteaux, abbayes et cathédrales laissés par le Moyen Âge, les chefs-d’œuvre des siècles classiques, et jusqu’au « monument idéal du XXIe siècle » imaginé par les auteurs de ce livre – sans oublier, bien sûr, la Conciergerie que Robert BADINTER dispute avec la fougue que chacun lui connaît au BALZAC des Illusions perdues. Ce n’est pas ici le moment d’énumérer tous ces « lieux de mémoire » – une telle liste, digne de celles que dressent BORGÈS ou encore Umberto ECO, vous donnerait le « vertige », et peut-être le fou rire, comme les listes chinoises dont parle Michel FOUCAULT…
En tout cas, je voulais vous dire qu’il s’agit bien évidemment, ne l’oublions pas, d’une liste ouverte de chefs-d’œuvre et, en quelque sorte, d’un patrimoine in progress. Je n’oppose pas, pour ma part, même si j’en sais l’opportunité en termes de gestion, le patrimoine et la création. Non seulement, parce que le patrimoine d’aujourd’hui fut la création d’hier, mais parce que la création d’aujourd’hui – nous le voyons dans ces pages – se nourrit de ce patrimoine et même qu’elle est souvent capable, avec cette forme paradoxale de piété qu’est parfois l’irrévérence, de trouver vers lui des chemins plus vivants que les admirations de circonstance et de rigueur. Non, ce n’est pas en nous mettant au garde-à-vous devant les monuments que nous les servons, mais bien en les faisant jouer, avec respect, mais aussi avec imagination et inventivité, dans l’écriture comme dans toutes les formes du langage artistique. L’amour ne se commande pas, et c’est un dieu protéiforme qui sait se déclarer de mille manières – ou plutôt de cent manières – lyrique, ironique, nostalgique, fantaisiste, généreuse – dont cet ouvrage décline l’arc-en-ciel.
Mais je sais que l’amour se nourrit aussi de preuves d’amour…Vous admirez mon réalisme presque conjugal…
Ce livre en est une – et éclatante –, bien évidemment. Mais ce n’est pas la seule que nous réclame le patrimoine. Et je suis aussi venu vous dire que le ministre de la Culture que je suis connaît et ressent très profondément cet attachement de chacun à nos monuments, à leur intégrité, à leur identité.
C’est la raison pour laquelle je me suis battu, et j’ai remporté cette victoire, pour que la loi de Finances 2010, et en particulier un article 52 devenu soudain fameux, soit rééquilibrée afin de permettre à l’Etat, au ministère et au ministre de la Culture de garder la main sur les monuments nationaux et l’éventuelle dévolution de certains d’entre eux aux collectivités territoriales.
Attention, il ne s’agit pas d’une rétractation jacobine, pas plus qu’il ne s’agit d’un quelconque abandon ou d’un grand débardage. Il est question d’un principe de gestion moderne de l’Etat, capable de tenir la ligne de crête entre, d’un côté, l’attention aux compétences, aux exigences, aux appréciations fines dont les collectivités territoriales qui abritent des monuments nationaux sont porteuses ; et de l’autre, les enjeux d’intérêt général dont l’Etat est et reste le garant.
Je le précise et je le rappelle, l’arbitrage a été rendu, c’est le ministre de la Culture qui, en tout état de cause, aura le dernier mot et, pour ainsi dire, un droit de veto. Il pourra donc refuser le transfert et, s’il l’accepte, il sera en mesure de choisir la collectivité qui lui paraîtra la plus adaptée et la plus opportune. Fidèle à ses prérogatives, il encadrera la gestion de ces monuments historiques dont vous avez fait de éloges si vibrants et si justes.
En outre, il sera bien évidemment impossible de céder par lots ces monuments en quelque sorte à la découpe. Les monuments garderont leur unité et leur intégrité. Pour parodier un mot célèbre, je dirais que la « dévolution est un bloc »…
Les collectivités devront présenter des projets qui soient conformes à l’esprit des monuments.
Le meuble et l’immeuble forment une entité et une identité indissociables, ils doivent former un ensemble aussi incassable que l’atome.
Pendant un délai de sécurité de 20 ans, les collectivités territoriales ne pourront céder le monument sans informer le ministère et donc le ministre ;
Enfin, en cas de manquement des collectivités territoriales à leurs obligations, l’Etat peut résilier unilatéralement la convention de transfert.
Vous voyez que cette politique est non seulement prudente, mais ambitieuse, que cet amour du patrimoine repose sur des preuves d’amour tangibles, et que cette « nouvelle alliance » de l’Etat et des collectivités est fondée sur un contrat de mariage très clair qui est la garantie d’une relation saine et durable.
Après ce beau livre, on se prend à rêver à d’autres ouvrages semblables, à d’autres projets de mise en lumière et de mise en musique, dans l’écrin parfois surprenant – et c’est tant mieux ! – de la création contemporaine, dans tous ses états : non seulement l’écriture en prose, mais la poésie, la chanson, les arts plastiques, pourquoi pas les arts de la rue qui sont fondés, tout comme d’ailleurs le design, à réagir aux émotions architecturales – sans oublier la télévision qui « se patrimonialise », si j’ose dire, tout en restant créative. Le patrimoine doit profiter de toute cette vitalité de la création contemporaine dans notre pays, qui ne serait pas ce qu’elle est si nous n’avions cette mémoire et qui, contrairement à ce que l’on entend parfois, se développe toujours et s’exporte encore... Il s’agit en fait, vous l’avez compris, d’une relation réciproque... Je n’ai qu’à promener mes regards autour de moi pour voir SOULAGES, BUREN, et tant d’autres talents dont la liste aussi est ouverte, dans tant de domaines, et qui sont en train de dessiner le visage de la France de demain. A leur manière aussi peut-être, comme les cent talents réunis dans ces pages par Adrien GOETZ et Isabelle LEMESLE, ils peuvent nous aider à rencontrer différemment les richesses de ce patrimoine unique que nous avons reçu en partage et sur lequel nous veillons tous amoureusement.
Je vous remercie.