Madame la vice-présidente de l’Autorité de la concurrence, chère AnnePerrot,Monsieur le professeur Pierre-Jean Benghozi,Mesdames et messieurs,

Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour ouvrir cette journée
de réflexions, organisée pour la 5ème année consécutive par le
Départements d’études et de prospectives de mon ministère.

Les échanges que vous aurez sur les questions de concurrence à l’ère du
numérique sont éminemment importants pour nourrir la décision publique.
Ils sont amené à éclairer mes choix au quotidien. Saisis par l’accélération
du « temps digital », nous avons besoin de prendre du recul et de penser
collectivement à la manière dont la révolution numérique recompose
l’architecture toute entière des domaines culturels et médiatiques. Les
frontières entre les secteurs et les marchés du livre, de la presse, ou
encore de l’audiovisuel se font mouvantes. Les modèles d’affaires des
acteurs économiques se renouvellent, et les réglementations existantes,
notamment celles qui relèvent des politiques de la concurrence, doivent
pouvoir être adaptées.

Les industries culturelles et de communication ne peuvent qu’être
puissamment bouleversées par le déploiement de la nouvelle infrastructure
technologique qu’implique le numérique. Précédemment, c’étaient les
logiques verticales qui dominaient : un type de contenu, un type de support
ou de canal de diffusion, un type de consommation ou de pratique. On
établissait alors des régulation sectorielles, destinées soit à favoriser la
création et financer la production de contenus, soit à en faciliter l’accès à
un public le plus large possible.

Le numérique, porteur de promesses, est aussi source de remises en
cause. Il nous invite parfois à penser de manière plus transversale, selon
les fonctions remplies par tel ou tel acteur : qui transporte les contenus, qui
les agrège et les édite, qui les produit, qui les crée. Le numérique nous
invite surtout à repenser les manières de préserver, dans cet écosystème,
les logiques de solidarité et de redistribution qui permettent à la création de
vivre et aux oeuvres de circuler.

De nouvelles questions de concurrence se posent, et c’est l’objet de vos
débats aujourd’hui. Cette réalité émergente est notamment le fruit de
nouvelles stratégies d’exclusivité, qui peuvent concerner les acteurs en
aval (informatique, télécommunications, accès à internet…) et les
producteurs d’oeuvres, de guides et de programmes.

Ce sont les frontières qui changent :
- entre « marchés pertinents » auxquels s’attachent les régulateurs de la
concurrence ;
- entre secteurs marqués par l’émergence de nouveaux entrants – comme
dans les télécommunications et la distribution ;
- entre les filières qui connaissent de nouvelles activités, comme la
recherche d’information sur internet, ou la prescription ;
- de manière générale, les frontières entre marchés, qu’ils soient mondiaux
pour telle ou telle activité, nationaux pour telle autre.

En une décennie, ce paysage industriel et concurrentiel connaît une
transformation très profonde. Les acteurs économiques comme Google,
Microsoft, Apple ou Amazon, qui comptent parmi les premières
capitalisations mondiales, sont devenus des interlocuteurs réguliers et
essentiels du ministère de la Culture et de la Communication. Eux et
d’autres encore comme les français Orange, Vivendi, ou Free, sont
devenus des acteurs indispensables de l’écosystème des biens culturels et
de la communication, de l’accès à ces biens, de leur financement. Je
remercie d’ailleurs leurs dirigeants et leurs représentants de partager la
réflexion que vous allez ouvrir sur « les nouvelles concurrences ».

L’enjeu est industriel. L’enjeu est culturel. La clef d’entrée est le
numérique. Telle est le point de départ, à coup sûr pertinent, de votre
colloque. C’est par cette entrée que l’Autorité de la concurrence a déjà
largement pu exercer un rôle de régulation fécond et précurseur. J’en veux
pour preuve le récent rapport de l’Autorité sur le marché de la publicité en
ligne, dont nous nous sommes entretenus avec le président Bruno
Lasserre. En matière de transparence dans le marché de la publicité en
ligne, ou encore d’obligation de reporting pour les acteurs dominants, ce
sont autant de préconisations qui me paraissent tout à fait pertinentes, et je
souhaite que nous avancions dans cette direction, conjointement avec le
ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

Je remercie donc la Vice Présidente de l’Autorité, Madame le professeur
Anne Perrot, d’ouvrir cette réflexion qui se jouera sur plusieurs dimensions.
C’est par cette entrée que se décoderont sans doute bien des stratégies à
l’oeuvre, qui requièrent des approches pluridisciplinaires mais aussi
spécialisées.

Je trouve particulièrement heureux que ces 5e Journées d’économie de la
Culture et de la Communication renouent avec le principe d’associer les
chercheurs les plus pointus sur ce champ et des acteurs professionnels.
Elles créent ainsi un temps de réflexion partagée, un temps de recul,
d’échanges, un regard sur l’avenir.

Comme les précédentes éditions de ces Journées, je crois que celle-ci
pourra utilement nourrir la réflexion du ministère, nous aider à alimenter
une perception exacte de l’environnement pour que notre action - celle que
nous menons aussi avec d’autres acteurs publics - soit la plus proche de
l’intérêt général. Il en va, selon moi, de la vitalité de la création et de
l’accès du plus grand nombre à celle-ci.

Je voudrais aussi saisir cette occasion pour me féliciter du lancement du
Groupement d'Intérêt Scientifique « Culture-Médias & Numérique », qui est
l’un des organisateurs de ces Journées.
Si le développement du numérique exerce ses effets sur toute l'économie
de la culture et de la communication, il a par conséquent un impact
important sur la création, la production et la diffusion des oeuvres, sur leur
régime juridique, sur l'accès du public et sur ses pratiques. De fait, ces
mutations en viennent à interroger certaines des notions les mieux établies
de la vision culturelle.

Mon ministère, à travers son Département études et prospective (le
DEPS), a donc entrepris de s'associer avec des équipes de recherche, qui,
dans le domaine des sciences de l'homme et de la société, travaillent sur
les mutations culturelles et médiatiques du numérique. Le DEPS, bien
connu pour ses enquêtes sur les « pratiques culturelles des français » ou
encore sur « enfance et culture » avait déjà suscité et financé des études
de ce type – récemment, par exemple, sur le « livre numérique ». Mais
nous souhaitions aller plus loin. Il s’agit donc de renforcer notre soutien à
la recherche dans ce secteur. Il s’agit également de nous associer à
l'initiative de plusieurs équipes, en vue de créer une plate-forme partagée
de programmes de recherche en sciences humaines et sociales qui puisse
disposer d’une taille suffisante ; une plate-forme qui puisse rapprocher les
chercheurs et les équipes qui, au sein de laboratoires ayant souvent un
programme beaucoup plus large, travaillent spécifiquement sur ces
thématiques - et cela, en relation avec les partenaires privés et publics
concernés. Tel est le projet du Groupement d'intérêt scientifique « Culture-
Médias&Numérique ».

Je n’entrerai pas ici dans les aspects directement scientifiques de ce
programme. Je sais cependant que vos réflexions préparatoires sur le
programme scientifique du G.I.S. touchent à des enjeux majeurs pour le
Ministère de la Culture et de la Communication.

Je citerai la recherche sur les modèles économiques du numérique, ou sur
l'avenir de la propriété littéraire et artistique. Ce sont des sujets sur
lesquels vos travaux pourraient à brève échéance nourrir la réflexion des
pouvoirs publics, dans la perspective du sommet international sur un
« Internet civilisé », conciliant protection et diffusion de la création, dont le
Président de la République m’a confié la charge.

Mais je souhaiterais aussi vous dire quelques mots sur le sens de cet
engagement du ministère de la Culture et de la Communication auprès des
chercheurs.

Du temps où l’on parlait encore d'informatique, voire de « télématique »,
les technologies de l'information pouvaient sembler bien extérieures aux
missions du ministère et aux réalités quotidiennes auxquelles il était
confronté. Il était avant tout question, dans ce domaine, des moyens de
modernisation dont il pouvait disposer, par exemple pour faciliter la
gestion, ou l'accès aux oeuvres. Cette situation a été clairement
bouleversée par le numérique, et plus précisément par l’internet. Avec la
numérisation, les industries de l'information sont devenues des industries
culturelles d'un type nouveau. Le web est un média, un média qui supporte
d'autres médias : l'actualité nous en fournit chaque jour de nouveaux
exemples. L'économie et la régulation de la culture et des médias s’en
trouvent transformées, de même que les pratiques culturelles et
l'environnement des oeuvres.
À cette situation correspond une redéfinition des rôles. Le ministère de la
Culture et de la Communication est passé, en quelques années, d’un rôle
d'utilisateur public de l'informatique et des réseaux à celui de responsable
politique de premier plan d'un grand nombre de dossiers liés au
numérique. Des domaines comme la propriété littéraire et artistique,
fondamentaux pour la création intellectuelle et artistique, n'intéressaient
directement qu'un petit nombre d'acteurs : ils sont devenus des sujets
publics de grande ampleur, des sujets qui passionnent à juste titre
l'opinion.

Vous voyez bien pourquoi la recherche sur le numérique, sur la manière
dont le numérique s'associe à la culture et aux médias est importante pour
le ministère. Elle répond en effet à un besoin stratégique. Elle engage
notre vision de la culture.

Pour toutes ces raisons, je ne peux qu’exprimer ma grande satisfaction de
voir ce projet déboucher sur la constitution récente du Groupement
d'intérêt scientifique, qui rassemble quinze partenaires. Ce sont des
équipes scientifiques d'origines diverses, des unités mixtes de recherche,
des équipes de recherche d'universités, de grandes écoles, d'entreprises.
Je ne commencerai pas à les citer, car il me faudrait toutes les mentionner.
Le Groupement d'intérêt scientifique, qui devrait d'ailleurs être rapidement
renforcé d'autres partenaires, couvre déjà son champ de recherche de
manière très consistante en économie, en droit, ou encore en sociologie.
Et je suis certain qu'il trouvera à s'appuyer sur un Conseil scientifique
international de grande qualité.

Cher professeur Benghozi, je vous adresse toutes mes félicitations pour
avoir été désigné Président de ce Groupement. Ces félicitations, je les
adresse également, bien sûr, à l'ensemble des partenaires du ministère
dans ce projet, qui sera amené à connaître un développement rapide, dans
l’intérêt de tous.

Je vous remercie.