Le Gladiateur Borghèse, le Silène Borghèse, le Vase Borghèse et ses scènes dionysiaques du temps d'Auguste ; l'Hermaphrodite restauré par Le Bernin 1619 ; le Silène avec Bacchus ; les Trois Grâces ; Sénèque Mourant, qui quitte pour la première fois le Louvre... Autant de marbres qui font depuis deux siècles l'admiration des visiteurs du plus grand musée du monde, qui auront fait souffrir aussi tant de générations d'étudiants des Beaux-Arts tentant d'en dessiner les volumes ; des marbres qui peuplaient ce « théâtre de l'univers avec tous les plaisirs de la vie », tel que l'avait voulu le neveu du pape Paul V, le cardinal Scipione Borghese.
Grâce à une collaboration exceptionnelle entre le vaisseau amiral des établissements culturels français, Le Louvre – et je salue la générosité de son président, Henri Loyrette -, la Surintendance pour le patrimoine historique, artistique et ethno-anthropologique et les musées de Rome, en la personne de Rosella Vodret, nous assistons à une nouvelle étape de ces lentes migrations qui sont le propre des chefs-d’œuvre de l'Antiquité, fantômes de marbre adulés de notre patrimoine commun depuis les humanistes de notre Renaissance.
Cette magnifique exposition porte donc la trace de ces migrations inscrites dans le temps long des acquisitions et des collections. 1607-1613, à l'heure où, dans le Nord de la Péninsule, on invente l'opéra : deux collections acquises par le cardinal Scipion migrent vers la Villa Borghese. 1806-1811 : Napoléon fait expertiser par son conseiller Ennio Quirino Visconti, les marbres de son beau-frère Camillo Borghese, et Dominique Vivant Denon y voit une fabuleuse occasion pour son ambition de faire du Louvre le plus spectaculaire musée du monde, à la gloire éphémère de l'Empereur. Achat, spoliation, prédation ? « Le langage de la vérité est simple », disait Sénèque, mais les complicités de cette histoire de famille devenue affaire d’État ne le sont guère ; et cela étant dit, les méthodes du cardinal Scipione, deux siècles plus tôt, ne valaient pas mieux... Toujours est-il que Camillo, à la différence de son père Marcantonio, grand collectionneur qui avait réinstallé les marbres vingt ans plus tôt avec Antonio Asprucci, n'aura guère veillé au grain.
Enfin si : il fait monter les enchères en prétextant une offre anglaise, et l'Empereur s'engagera à payer trois fois le prix initialement estimé. Le divorce de Pauline et la chute de l'Empereur interrompent et amputent considérablement les paiements.
Entre temps, c'est un transfert terrestre de quelque 500 œuvres, de 1808 à 1811, et on aurait aimé qu'un Stendhal nous décrive cette longue transhumance de marbre, comme une sorte de Vie de Henry Brulard à l'envers, assistant au passage du col du Saint-Bernard par les armées françaises. Canova commente : c'est « une honte irréparable ».
Aujourd'hui, cet ensemble exceptionnel, qui constitue le cœur de la collection d'antiquités du Musée du Louvre, fait partie de notre patrimoine européen. À l'occasion des manifestations organisées pour les 150 ans de l'Unité italienne, pour cinq mois, ces chefs-d’œuvre reviennent à leur domicile d'origine, et retrouvent les peintures qui l'entouraient, ainsi que les sculptures du Bernin, que Vivant Denon avaient jugées trop modernes pour son schéma d'acquisition.
Je tiens à saluer tout particulièrement le travail remarquable mené par Jean-Luc Martinez et Marie-Lou Dubert pour le Louvre et Anna Coliva et Marina Minozzi pour la Galerie Borghese, Mondo/Mostre, et tous les mécènes et soutiens de cette opération exceptionnelle : l’Arcus, Enel, BNL BNP Paribas, Ferrero et Air France. Sénèque, encore :« Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elle sont difficiles ».
Je vous remercie.