Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l’occasion de l’inauguration de L'espritd'escalier, un décor pour le palais par François Morellet pour le muséedu Louvre
Monsieur le Président, cher Henri LOYRETTE,
Cher François MORELLET,
Cher Jean-François CIRELLI,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
« L’esprit d’escalier » ou « l’esprit de l’escalier » : vous jouez déjà, avec
esprit, sur cette locution que j’ai toujours trouvée très savoureuse, et qui a
été sinon lancée, du moins immortalisée par Jean-Jacques ROUSSEAU,
dans les Confessions : il y avoue qu’il souffre de son manque d’à propos, si
nécessaire pourtant en ces temps de sociabilités mondaines. Il se plaint
d’être toujours en retard d’une réplique, un peu comme on rate une marche,
et, pour se consoler, se dit qu’il pourrait faire une magnifique « conversation
par la poste ». ce qu’il n’a pas manqué d’ailleurs de faire : cette
conversation s’appelle La Nouvelle Héloïse… Mais ceci est une autre
histoire…
Car dans votre cas, et dans le cas des réalisations que j’ai le plaisir
d’inaugurer aujourd’hui, c’est bien sûr l’effet d’une charmante autodérision
de parler d’esprit d’escalier, en même temps qu’un bel esprit d’à propos, car
ces vitraux très riches très soignés et tout simplement très beaux confèrent
vraiment un esprit tout à fait particulier à cet escalier LE FUEL, conçu au
second Empire avec toute la majesté imaginable et que votre travail allège
alors qu’il s’y ajoute. C’est là l’effet de l’insoutenable – que dis-je de la
remarquable – légèreté de votre art.
Cette légèreté, elle va bien avec le terme d’« esprit » que vous avez choisi.
Car autrefois, l’esprit d’un écrivain, par exemple, cela voulait dire sa
quintessence, c’étaient des pages choisies qui illustraient l’essentiel de son
caractère. Et c’est bien sûr dans ce sens-là qu’il faut comprendre votre
« esprit d’escalier », car sous leur air discret, vos vitraux nous offrent aussi
cette quintessence réduite à la structure, aux lignes essentielles, ils
débrouillent, désépaississent et allègent pour nous la dignité et la pompe de
cet escalier Napoléon III. Ainsi, ne nous y trompons pas, même s’ils le font
avec une ironie subtile et presque subreptice, vos vitraux mettent en valeur
cet escalier en le délestant de ce qu’il pourrait avoir peut-être, à nos yeux,
d’un peu grandiloquent dans leur ornementation. En même temps, ils
rappellent les lignes et les vitres de la plus célèbre installation pérenne de
ce Musée – ou plutôt « intégration » pérenne pour reprendre un terme qui
vous est cher et qui décrit parfaitement votre travail – la pyramide de PEÏ, à
laquelle ces vitraux rendent aussi, à leur manière, un hommage discret.
Mais cette quintessence n’est pas seulement un miroir volontiers déformant,
amincissant en tout cas, et révélateur, d’une architecture intérieure
prestigieuse, elle est aussi une ouverture sur le monde de la lumière bien
sûr, mais au-delà, sur celui de l’imagination.
Car le caractère légèrement opaque et néanmoins translucide de ces opales
que vous utilisez, dans une sorte de dégradé de gris, qui, lui aussi, avec une
discrétion plus éloquente que ne pourra jamais l’être l’exubérance, épouse les
lumières du jour et de la nuit.
Et les lignes que vous décrivez libèrent l’imagination.
Ce n’est plus « l’esprit d’escalier » qui règne, mais un mixte réussi entre
« l’esprit de géométrie » et « l’esprit de finesse » chers à Blaise PASCAL.
C’est un jeu subtil d’attente et de surprise qui littéralement « fait bouger les
lignes ». C’est un art du décalage qui crée du mouvement et ne se contente
pas de recevoir les changements de lumière. Ces formes font penser
d’ailleurs à des cadrans solaires joyeusement déréglés, des montres de DALI,
mais sans l’ostentation, avec un art de la sourdine qui les distingue. On
rencontres des aiguilles folles, des balancements de pales de moulin qui
rappellent le DON QUICHOTTE de CERVANTES, ce premier maître en
ironie, une posture où vous excellez. Il y a là toute une mémoire des schémas
et des rêves des inventeurs, des géomètres, des oculistes savants et des
astronomes, comme celui de VERMEER qui veille dans ces murs mêmes,
des « plans sur la comète » que vous nous indiquez avec tact et avec
humour, sans emphase et sans jamais bien sûr « abolir le hasard »…
Ces décalages constants sans aucun « esprit de système », qui jouent sur le
rythme syncopé d’intersections fugitives, jamais vraiment réalisées, semblent
appeler instamment à un réglage du regard, une version curieusement
raisonnée et furtivement efficace du « dérèglement de tous les sens » cher au
« voyant » que chante RIMBAUD.
Tout cela nous entraîne, humblement, mais magistralement, à rien moins
qu’une rééducation de l’oeil, hautement nécessaire pour les spectateurs d’un
musée qui vont se diriger vers les salles auxquelles mènent ces marches :
Moyen Âge, Renaissance, premier et second Empires de l’autre… Le
dépouillement et, au sens propre, l’abstraction de votre travail sont un appel à
la virginité du regard, indispensable pour une rencontre véritable avec les
oeuvres exposées.
Voilà, je n’ai sans doute pas épuisé tous les « degrés » auxquels peut se
comprendre votre « esprit de l’escalier », mais il est temps maintenant de me
tourner aussi vers ceux qui ont permis sa réalisation : les maîtres-verriers des
« Ateliers LOIRE » d’abord, qui viennent de Chartres et sont donc plutôt à
bonne école en matière de vitraux, mais aussi le généreux mécène GDFSUEZ
représenté ici par son vice-président Jean-François CIRELLI. Je
remercie aussi le CERCLE DES JEUNES MECENES, et enfin le Centre
National des Arts Plastiques pour le choix très judicieux d’un artiste qui sait
innover tout en respectant le génie du lieu.
Je vous remercie.