Monsieur le Président d’honneur, cher Christian LACROIX,Monsieur le Président (Thierry LE ROY),Madame la Directrice du Centre National du Costume de Scène et de laScénographie (Martine KAHANE),Monsieur le Vice-Président (Donald POTARD),Mesdames, Messieurs,Chers amis,Je crois qu’il y a une scène de la littérature française qui nous montre etnous révèle la magie des costumes, et même, pour être plus précis, desvieux costumes. Je pense à ce passage de Sylvie de Gérard de NERVALoù les amants retrouvent, dans le grenier de la grand-mère, les costumesde noces de la veuve. Ils fouillent dans un coffre et déploient avecadmiration les atours d’autrefois. Puis, ils enfilent ces « habits anciens » etredescendent trouver la grand-mère étonnée et ravie. Ils se plaisent à fairerevenir le passé et, par là, à ré-enchanter le présent.
Cette idée d’un Centre national du Costume de Scène et de la
Scénographie, c’est un peu le rêve d’un immense grenier imaginaire où
notre mémoire cherche à approcher le mystère des formes prestigieuses de
jadis, non seulement des atours, mais je dirais des alentours de la vie et du
spectacle. Tout ce qui semblait n’être là que pour la parure et la parade se
trouve empreint, avec le temps, très vite même, de l’esprit non seulement
d’une époque, mais surtout de ces instants intenses de la représentation qui
font d’autant appel à notre mémoire intime qu’ils ont exalté l’éphémère.
C’est un peu la revanche du théâtre sur le temps et celle de l’ornement, du
décor et des accessoires – de tout ce que l’on a cru « accessoire »
justement, mais qui étaient une condition pour que la magie du théâtre
puisse opérer et prendre corps véritablement. Ils portent encore la trace de
ces moments de fête et de rencontre avec le public. Ils sont comme des
fragments évocateurs de cet art éphémère par excellence qu’est le théâtre.
C’est pourquoi ce patrimoine matériel est en réalité porteur d’une mémoire
immatérielle et de la passion de la scène dont il est le support ostensible et
durable.
Bien sûr, je sais que la mémoire mise en scène dans ces pièces n’est pas
uniquement tournée vers le passé ou tentée par la nostalgie, et je m’en
réjouis. Le trésor qui s’accumule au cours des années est aussi une
mémoire contemporaine, si je puis dire. Au fond, c’est un peu le dépôt légal
du costume et des décors que, depuis trois années déjà, mes
prédécesseurs ont eu l’excellente idée de créer et de soutenir.
En réalité, c’est une manière de documenter la nostalgie et, par là, de la
libérer ce qui est purement rétrospectif, voire régressif en elle. Plus on la
documente de manière circonstanciée, plus on l’instruit, plus on la dégage
de des facilités qui sont comme sa gangue et plus on la rapproche du réel
et donc du présent. En somme, le travail de conservation, d’étude et de
valorisation que vous effectuez ici, dans ces collections extraites des fonds
de l’Opéra de Paris, de la Comédie française et de la Bibliothèque nationale
de France, ne nourrit pas la nostalgie, mais en quelque sorte elle l’éduque
et elle alimente le désir de créer. Car au creux de nos rencontres avec cette
mémoire, c’est aussi le désir d’inventer qui se ressource et se renforce.
Je pense que Christian LACROIX, que j’ai le plaisir de retrouver ici, ne me
démentira pas sur cette source unique d’inspiration que constitue le Centre
national du Costume et de la Scénographique de Moulins. Nous le savons
bien, le patrimoine d’aujourd’hui est la création d’hier et la création
d’aujourd’hui le patrimoine de demain. C’est à ces sources, dans une
continuité et un continuum évidents, que se nourrissent le spectacle vivant
et l’innovation contemporaine.
J’ai déjà été ébloui par la beauté exceptionnelle des catalogues des
expositions déjà nombreuses et très riches qui se sont tenues ici, sur les
Mille et une Nuits, sur les « Bêtes de scène », un bestiaire théâtral et
féerique, que certains jugeront peut-être plus sympathique et plus inoffensif
que le bestiaire politique, même si j’y ai rencontré des éléphants assez
lourds, assez lents, plutôt engourdis, et puis aussi pas mal de coqs très
ressemblants...
Et puis aujourd’hui encore j’ai été impressionné par la profusion, la beauté
et la finesse des costumes et des éléments de décor de l’opéra russe que
vous m’avez fait le plaisir de me présenter. Je garde en mémoire ces chefsd’oeuvre
« pour la bonne bouche », qui sait peut-être un jour me laisserai-je
s’exprimer à nouveau mon côté « Butterfly »… Au fond, être ministre, n’estce
pas aussi, comme le théâtre, un jeu avec l’éphémère… ?
Voilà à peu près ce que je souhaitais vous dire pour vous remercier de votre
accueil, de ces rencontres et de ces découvertes que vous nous offrez sans
compter et pour le travail subtil que vous effectuez au service de nos
mémoires, mais aussi de nos rêves. J’ai pu retrouver dans un catalogue le
visage du grand mime DEBURAU et vous savez sans doute que nous
célébrerons cette année le centenaire de la naissance de Jean-Louis
BARRAULT, qui en a donné une incarnation inoubliable dans les Enfants
du Paradis. C’est peut-être pour cela que je voudrais vous citer pour finir
cette réplique succulente et même truculente de Frédérick LEMAITRE qui
est un peu un clin d’oeil à ce que vous faites… A ses admirateurs qui lui
demandent où il trouve ses chapeaux, Pierre BRASSEUR et, derrière lui,
Jacques PREVERT, répond : « Mes chapeaux, je ne les trouve pas, je les
garde »… Voilà une origine possible et plaisante de cette idée géniale et, au
fond toute simple, de garder ces costumes, ces décors qui rendent
l’accessoire essentiel…
Je vous remercie.