Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de laCommunication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remisedes insignes de Commandeur dans l'ordre des Arts et des Lettres àYves Jaigu, Jean-Michel Meurice, Christian de Pange, et d'Officierdans l'ordre de la Légion d'honneur à Antoine Bourseiller
Cher Antoine Bourseiller,
« Le théâtre c’est quelqu’un. C’est une voix qui parle, c’est un esprit qui
éclaire, c’est une conscience qui avertit ». La parole de Victor Hugo prend
tout son sens auprès d’hommes de théâtre comme vous qui, à l’instar de
Jean Vilar, investissent le théâtre d’une fonction pédagogique et
démocratique. Le théâtre est selon vous le meilleur mode d’expression
pour secouer l’apathie du public et le faire réagir dans la vie quotidienne,
vous considérez ainsi que « La sécurité tue le créateur. Si on n’a pas le
courage d’y renoncer, on se fige. Pour ne pas mourir il faut se remettre tout
seul en question. »
Vous dédiez votre carrière autant à l’art dramatique qu’à l’opéra, ce qui
vous permet d’enrichir le langage de l’art lyrique de votre réflexion
approfondie sur la dramaturgie et la fonction de la mise en scène. Vous
êtes également un acteur essentiel de la décentralisation culturelle, et les
théâtres de Nancy, Marseille, Orléans ont renouvelé leur répertoire et la
qualité de leurs productions sous votre prestigieuse direction.
Lorsque vous débarquez du Maroc en 1948, Jean-Louis Barrault règne
alors sur le monde du théâtre. Elève de Dullin et figurant au T.N.P, vous
êtes très tôt un témoin privilégié de la naissance de talents tels que ceux
de Gérard Philipe ou Maria Casarès, talents dont vous vous ferez plus tard
un formidable découvreur. Vous rencontrez par hasard Armand Salacrou
qui vous donne le rôle de Laurent dans Le Miroir. Je citerai ces propos
d’Armand Salacrou : « Ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que j’ai
écrit avant de le connaître, une histoire qui est très voisine de la sienne
propre, celle d’un jeune homme inspiré, amoureux fanatique du théâtre, qui
anime de jeunes comédiens. Le personnage principal Laurent se consacre
au théâtre pour converser. Il se déguise pour aller dans le peuple. »
Très tôt, vous vous orientez vers la mise en scène. Aux côtés de votre
épouse, la regrettée Chantal Darget, vous menez une aventure théâtrale
féconde, essentiellement marquée par des créations contemporaines et
des reprises d’oeuvres classiques peu représentées, comme Rodogune de
Corneille ou encore La Mort d’Agrippine de Cyrano de Bergerac.
Vous vous consacrez en effet à la redécouverte des textes tombés dans
l’oubli, comme en témoigne votre mise en scène courageuse et
audacieuse de La Marianne de Tristant L’Hermitte au Théâtre du Tertre,
auteur que considérez comme le précurseur de Claudel. En 1960, vous
présentez une pièce de Nikos Kazantzakis, Mélissa, au théâtre de
l’Alliance française, avec laquelle vous remportez le Premier Prix au
concours des jeunes compagnies. C’est alors le début de votre direction du
Studio des Champs Elysées à Paris, où planent les ombres de Dullin et de
Jouvet, et qui fut un laboratoire de recherche pour de nouvelles voies
théâtrales.
La qualité et la force de vos mises en scène sont très remarquées, lorsque
vous questionnez la guerre d’Algérie en 1963 avec Les Parachutistes de
Jean Cau, ou encore lorsqu’en 1965, Jean-Louis Barrault vous confie la
mise en scène d’une adaptation du célèbre récit de Franz Kafka,
L’Amérique. En 1966, vous êtes appelé à diriger le Centre dramatique
national du Sud-Est où, comme Jean Vilar, vous privilégiez les pièces
héroïques. Si votre Dom Juan dérange autant à Paris qu’à New York, c’est
que la provocation et l’inattendu sont pour vous un parti pris d’esthétique
théâtrale.
Vous mettez votre talent à la fois au service de la décentralisation et des
écritures contemporaines. En 1967, Jean Vilar vous invite au festival
d’Avignon pour créer un nouveau lieu exceptionnel, le cloître des Carmes.
Vous avez énormément contribué à faire connaître en France les pièces
de Brecht, Ionesco, Leroy Jones (avec son fameux Métro fantôme),
Mrozek et Jean Genet. Les combats pour la liberté d’expression ne vous
sont pas étrangers, vous qui acceptez de prêter à Michel Foucault la salle
du Théâtre Récamier, dont vous êtes le directeur de 1975 à 1977, pour
une soirée en l’honneur de la liberté et des dissidents soviétiques.
Une de vos grandes innovations fut d’avoir organisé des soirées
d’« écritures contemporaines » où chaque lundi le public découvrait
Raymond Roussel, Aragon, Denis Roche, Jacques Derrida, Francis
Ponge, et Michel Falempin. Vous inaugurez la saison 1975/76 avec Le
Balcon de Genet, auteur que vous aviez rencontré en 1969 et dont vous
partagez la vision d’un théâtre provocateur. De lui, vous dites : « La
cérémonie théâtrale est poussée à un tel paroxysme, il mène le théâtre
dans des retranchements tellement lointains que cela devient la négation
même du théâtre. » C’est vous qui réalisez la première interview de Jean
Genet en 1982.
De 1982 à 1986, vous dirigez l’Opéra de Lorraine à Nancy, où vos
innovations ont marqué les mémoires. Vous vous assignez avec succès la
mission de revisiter les chefs-d’oeuvre du répertoire lyrique comme
Carmen de Bizet, La Traviata de Verdi ou encore le Wozzeck de Berg. On
se souvient encore de votre Cantate d’octobre de Prokofiev, ou encore
d’Erwartung de Schönberg, où le choeur se fait coryphée. Parmi toutes ces
expérimentations vous vous essayez également à des genres audacieux,
comme le pastiche d’opéra baroque avec Donna Abbandonata.
Vous avez également dirigé les Soirées d’Eté de Gordes de 1994 à 2000,
un très beau festival généraliste dans lequel se reflète votre conception
ouverte et décloisonnée des arts du spectacle. Vous ancrage dans le Sud
de la France se renforce lorsqu’en 2002 vous devenez conseiller artistique
et metteur en scène en résidence au Théâtre de Tarascon. Votre besoin
de création vous mène à créer une compagnie indépendante qui affichent
ses spectacles dans des lieux qui privilégient les productions novatrices,
détonantes et éclairées, comme le Lucernaire ou le théâtre Mouffetard.
Cher Antoine Bourseiller, en hommage à l’engagement dont vous avez fait
preuve tout au long de votre carrière en faveur d’un théâtre créateur, en
hommage à vos explorations profondes tant du répertoire que des auteurs
méconnus ou des textes contemporains, parce que votre nom occupe une
place majeure dans l’histoire du théâtre en France, cher Antoine
Bourseiller, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs
qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la Légion d’honneur.
Cher Yves Jaigu,
« La culture n’est pas un luxe, c’est une nécessité » : cet adage de Gao
Xingjian, l’auteur de La Montagne de l’âme, pourrait être le vôtre. Contre
les vents dominants de la commercialisation à outrance, vous avez
défendu dans le paysage audiovisuel français une conception de la culture
dans laquelle l’opposition entre élitisme hermétique et divertissement
vulgaire n’avait pas sa place – « la culture (…), ce qui a fait de l’homme
autre chose qu’un accident de l’univers », disait Malraux.
Si je me réfère à Malraux, qui a tant marqué ces lieux, c’est aussi parce
que vous avez vécu l’enthousiasme de ces années de Gaulle, en vous
investissant dans l’aventure de Marcoule et du nucléaire, en participant
également aux grands desseins d’aménagement du territoire à l’époque de
la DATAR. Ce désir des profondeurs, c’est sans doute à la fois les massifs
hercyniens de la Bretagne et votre formation de philosophe et de
minéralogiste qui l’ont créé en vous.
Lorsqu’en 1967 vous prenez le virage de l’audiovisuel en devenant
responsable des coproductions à l’ORTF, vous entamez alors une superbe
carrière qui vous ouvre les portes de la direction des programmes de la
première chaîne auprès de Jacqueline Baudrier en 1972, puis de la
direction de France-Culture de 1975 à 1984, et enfin celle des programmes
de France 3 et d’ARTE.
Contre la toute-puissance de l’audimat et l’asservissement à la logique
commerciale, vous vous faites praticien de la liberté. Vous offrez aux
auditeurs puis aux téléspectateurs la rigueur intellectuelle de programmes
qui ont essaimé dans le corps social la beauté et la puissance de la
pensée et du dialogue. Nous vous devons en effet des moments de radio
et de télévision inoubliables : je pense par exemple au colloque de
Cordoue sur « Science et conscience », quand vous étiez directeur de
France Culture, en 1979 ; ou encore à la diffusion sur France 3 du Soulier
de satin de Claudel mis en scène par Antoine Vitez, émis dans son
intégralité et sans coupure. Peut-être aviez-vous alors en tête cet Odyssée
d’Homère que vous aviez co-produit avec la RAI en 1967. Avec Yves
Jaigu, la radio et la télévision donnent du temps au temps.
Le temps de diffuser sur nos écrans la merveilleuse recréation d’Atys de
Lully par William Christie et Jean-Marie Villégier, qui sera d’ailleurs reprise
très bientôt à l’Opéra Comique, ou encore Le Voyage à Reims de Rossini.
Le temps de créer en janvier 1987 avec Pierre-André Boutang,
Océaniques qui, à contre-courant du vent dominant, s’offrait de
questionner la science, la philosophie, la métaphysique, l’éthique, trois fois
par semaine, sur FR3. Là aussi, ce sont des moments inoubliables de
télévision que vous avez su créer - on se souvient encore de la rencontre
entre George Steiner et Pierre Boutang sur Antigone et le sacrifice
d’Abraham. Pour vous, pour les téléspectateurs, les idées deviennent les
minéraux dont vous tentez les alliages.
C’est ce même esprit qui avait guidé quelques années plus tôt vos neuf
années à la tête de France Culture, dont vous avez largement lancé la
mondialisation, en mettant à la disposition des auditeurs un matériau
culturel composite, pris dans sa complexité, sans concession aux désirs de
facilité. Plus tard, à la tête des programmes de FR3 et aux débuts d’ARTE,
vous êtes celui pour qui il n’y a rien d’inconciliable à programmer à la fois
Question pour un champion avec Océaniques, les vies de Pascal et de
Descartes et la mort de Socrate.
Parce que vous êtes, cher Yves Jaigu, l’un des grands paladins de la
qualité et du service public de l’audiovisuel, au nom de la République
française, nous vous faisons Commandeur dans l’ordre des Arts et des
Lettres.
Cher Jean-Michel Meurice,
« Tous les problèmes qui se posent aux cinéastes ont été un jour ou l’autre
abordés par les peintres. » Peter Greenaway, artiste des images,
plasticien, soulève un des thèmes de recherche principaux de votre oeuvre,
un questionnement artistique sur le lien entre le cinéma et la peinture.
Après des études à l’Ecole des Beaux-Arts de Tournai et une jeunesse
marquée déjà par une double passion pour la peinture – vous admirez
entre autres Le Tintoret et Matisse – et pour le cinéma – vous regardez un
film chaque jour –, en 1960, pendant votre service militaire en Algérie,
vous réalisez une de vos premières oeuvres, qui réunit ces deux passions.
Il s’agit en effet d’une pellicule de film peinte de traces répétitives de doigts
et de pinceau, formant, si on la projette, une peinture mouvante de dix
minutes. Cette oeuvre porte en elle les traits caractéristiques de l’oeuvre
riche que vous créerez ensuite : croisement des arts et des problématiques
esthétiques, exploration des formes répétitives sur grands formats,
préservation de la vie et du mouvement dans la reproduction formelle, jeu
sur l’espace d’exposition des oeuvres.
Cher Jean-Michel Meurice, votre carrière multiple est d’abord une carrière
d’artiste plasticien. Dès le début des années 1960, vous manifestez la
volonté de participer à la dynamique du monde artistique en fondant le
mouvement Supports/Surfaces. Ce mouvement constitue l’un des
moments clefs de l'art contemporain en France, aussi bien en peinture
qu'en sculpture. Autour de vous, des artistes importants, comme Claude
Viallat, Daniel Dezeuze, Louis Cane, et utilise des techniques que l’on
retrouve dans votre oeuvre. Esprit libre, indépendant, vous avez toujours
refusé d'adhérer au groupe Supports/Surfaces, ou à quelque autre groupe
que ce fût d’ailleurs. En effet, vous pourriez reprendre à votre compte la
pensée de Robert Mallet : « l’art est un cheminement studieux vers une
école buissonnière ».
Votre oeuvre, ce sont deux périodes majeures. Pendant la première,
inspirée notamment par votre premier voyage aux Etats-Unis en 1963,
influencé par le geste de Pollock, vous développez vos recherches sur des
formes répétitives de bandes et de points et sur le jeu chromatique. C’est
l’époque des quatre Pénélopes, qui se déploient dans un contexte
architectural singulier. Chez vous, l’oeuvre s’empare du lieu, l’art se fond
dans l’espace. Cela évoque bien entendu votre lien avec les arts
décoratifs, qui marquent fortement votre seconde période de création.
1973 est l’année où vous êtes pleinement reconnu: on expose vos oeuvres,
on les achète, on les commande, en particulier à l’occasion d’une
exposition personnelle au Centre national d’art contemporain de Paris.
Avec un voyage au Japon en 1982, commence une seconde période,
marquée par l’utilisation de pochoirs de formes végétales dont l’apparition
en négatif anime la surface de vos oeuvres en autant de signes qui ne sont
pas sans rappeler Dufy ou Matisse. Vos sources d’inspiration ce sont les
motifs végétaux et ornementaux que vous photographiez à travers le
monde.
Car vous êtes aussi photographe, cher Jean-Michel Meurice, et vos
« croquis-photographies » nourrissent l’autre facette de votre oeuvre
plastique, qui en reprend les figures et les motifs. Ainsi, ce sont des
photographies de Samarkande qui vous inspirent le dessin des dallages de
céramique qui vous sont commandés pour les sols des salons
d’embarquement de Roissy en 2001. Vos voyages sont ainsi une forme de
Musée imaginaire qui nourrit votre création.
Cher Jean-Michel Meurice, votre oeil c’est aussi celui du cinéaste et du
documentariste. Vous avez ainsi réalisé 13 courts-métrages sur l’art, dont
des portraits d'artistes majeurs comme Simon Hantaï Pierre Soulages en
1979 ou Bram Van Velde en 1980 – celui que fit connaître mon
prédécesseur Michel Guy auquel j’ai rendu hommage récemment. C’est
aussi le portrait de l’un des maîtres de l’école des Annales, auteur de
l’inoubliable Dimanche de Bouvines, Georges Duby en 1997. Ce sont ainsi
150 documentaires dont vous êtes aussi auteur, réalisateur et producteur,
dont plusieurs documentaires d’investigation portant sur des questions de
l’actualité politique et sociale, qui vous valent deux nominations aux 7 d’Or.
Votre oeuvre est couronnée par le Grand Prix national de la création
audiovisuelle en 1992 et le Grand Prix de la SCAM en 2010. Le
documentaire est une forme éminemment artistique : il est fait de
recherches patientes, de repérages attentifs, de constructions narratives.
Vous y avez excellé en praticien des arts visuels et de la lumière.
Parallèlement à cette activité de créateur vous menez une importante
carrière à la télévision. Responsable de l’Unité de programmes
documentaires à Antenne 2 de 1981 à 1984, co-fondateur de la Sept, la
future Arte, dont vous dirigez les programmes de 1986 à 1988, vous êtes,
depuis 1992, membre du comité consultatif des programmes d’Arte. Vous
savez l’importance que j’accorde au rôle d’aiguillon et de découvreur de
talents de ce grand projet européen. L'évocation de votre carrière à la
télévision m'amène à souligner votre engagement pour la liberté et la
protection de l'intégrité de la création artistique en France. Vous faites en
effet partie des intellectuels qui ont signé, le 10 janvier 2000, un appel pour
préserver l'indépendance de la chaîne Arte, et l'on retrouve encore votre
signature au bas d'une pétition de mai 2007, par laquelle une centaine
d'artistes exhortait le Ministère de la Culture et de la Communication à
mener une meilleure politique de soutien à la création dans les arts
plastiques.
Cher Jean-Michel Meurice, en plus d’être un artiste reconnu vous êtes, on
l’aura compris, un homme d’engagement et de combat. Cette exigence je
la fais mienne dans le combat pour garantir la création et le droit d’auteur à
l’ère numérique.
C’est pourquoi, cher Jean-Michel Meurice, au nom de la République
française, nous vous faisons Commandeur dans l’ordre des Arts et des
Lettres.
Cher Christian de Pange,
Vous êtes un honnête homme du XXIe siècle, cette « morale de
l’honnêteté » que Montaigne et après lui Boileau aimaient à rappeler et qui
est à l’humanisme ce que les droits de l’homme et du citoyen sont à nos
démocraties contemporaines. Vous êtes un grand collectionneur de livres
anciens et appartenez à la « Société des bibliophiles françois » , vous êtes
aussi un passionné d’art contemporain et aimez partir à la recherche des
nouveaux artistes. Votre carrière vous a aussi conduit vers la musique et
l’art lyrique. Je note enfin que vous savez apprécier la bonne chère et le
bon vin. Dans l’esprit jovial qui vous caractérise, vous avez fondé les
brigades du rouge. Mais comme vous le savez, le repas gastronomique
français est désormais inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité !
Cher Christian de Pange, vous êtes en effet de ces personnes qui ont
activement participé au rôle du mécénat et des grandes entreprises dans
le domaine de la culture, en nouant des partenariats exemplaires. Votre
carrière dans ce domaine commence en 1983, après vos études de droit,
au sein du groupe Louis Vuitton, dont vous intégrez la direction de la
communication en tant que responsable de l’information interne et des
relations publiques. A ce poste, vous collaborez à l’élaboration et à la mise
en oeuvre des grandes opérations de relations publiques de cette grande
marque du luxe français et en organisez la communication interne.
Vous êtes celui qui invente des passerelles, celui qui fraie des chemins,
celui qui met en lumière et en musique l’événement d’un soir. Vous savez
combien la question du mécénat m’est chère. Son essor est, à mes yeux,
une dimension essentielle de l’action culturelle et son développement un
levier considérable pour promouvoir nos ambitions en matière de
nouveaux publics et de démocratisation culturelle.
De 1986 à 1990, vous êtes responsable du mécénat au titre de délégué
général de la Fondation Louis Vuitton pour l’Opéra, la Musique et les Arts,
spécialement dédiée à la musique contemporaine. Vous y développez une
certaine idée du luxe au service de la culture, cet éphémère qui gagne ses
galons d’intemporalité, cet accessoire qui devient essentiel, cette
modernité qui sait embrasser la tradition.
Cette fondation passe alors d’importantes commandes : pas moins de 50
pièces musicales et 15 opéras, dont Roméo et Juliette de Pascal Dusapin,
créé en 1989. Attentive à la transmission et à la formation, elle soutient
aussi les musiciens à travers l’organisation de séminaires et de Master
class en France et à l’étranger. Elle oeuvre pour la reconstitution d’un
quatuor Stradivarius, et finance le tiers du budget de la rénovation de la
Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, ce lieu si précieux où sommeillent
partitions rares et trésors musicaux. En cela, votre activité rejoint l’intuition
de Borges selon laquelle « ordonner une bibliothèque est une façon
silencieuse d’exercer l’art de la critique ».
De 1991 à 1993, vous poursuivez votre carrière en tant que responsable
du mécénat chez ORCOFI. Vous soutenez ainsi la création de nouvelles
oeuvres musicales de compositeurs renommés mais aussi exigeants
comme Xenakis ou Schnittke. Dans le même temps, en tant que directeur
de l’Espace Temporaire Orcofi avenue Montaigne, un des premiers
espaces culturels privés non commercial, vous organisez une douzaine
d’expositions autour de la rencontre entre les arts plastiques et la musique,
en travaillant sur ces toiles et ces sculptures qui sont souvent ces
« musiciennes du silence » dont parle Mallarmé. Il me plaît de rappeler en
particulier l’exposition de Jean-Charles Blais en 1993, Une scénographie
pour le Marteau sans Maître, la célèbre composition de Pierre Boulez.
Mais l’une des plus belles pages de votre carrière se passe, bien entendu,
à l’Opéra de Paris où vous occupez le poste de Secrétaire général,
membre du Comité de Direction de 1994 à 2005. La modernisation et les
innovations que vous y apportez dans la relation avec le public prouvent
votre talent et vos compétences, que je sais grandes. Cette grande
institution parisienne, que vous réussissez à ouvrir au public des régions,
passe de 15 000 à 35 000 abonnés entre ces deux dates.
Dans cette « grande maison » forte de ses traditions, vous innovez, vous
explorez, vous inventez : nouvelles formules, nouvelles offres, nouveaux
services et surtout développement d’une ambition numérique, dont on sait
combien elle est un outil pour la conquête de nouveaux publics, y compris
dans les grands lieux du spectacle vivant. Vous êtes donc un remarquable
entrepreneur culturel, celui qui sait organiser et gérer au service de
l’ambition artistique et du projet culturel. Le résultat est là, avec un taux de
remplissage égal à 93 % et un développement important des ressources
propres de l’établissement. Votre collaboration exemplaire avec
l’Association pour le Rayonnement de l’Opera de Paris (AROP), a permis
de multiplier par sept les contributions du mécénat. Vous savez combien la
question du mécénat est importante : elle représente une dimension
essentielle de l’action culturelle. Aujourd’hui plus encore qu’hier, il importe
de modifier le rapport de l’artiste au Prince, pour ouvrir un dialogue
confiant et fécond avec tous les acteurs économiques soucieux de
s’engager dans le financement de la culture.
L’une des plus belles voix de l’opéra, Maria Callas, disait elle-même :
« l’opéra est un cadavre qui a encore quelques réactions nerveuses ; mais
cela coûte si cher pour ne toucher, en fin de compte, que bien peu de
spectateurs ! » Vos succès ont démenti les sombres prédictions de cette
interprète d’exception. Pendant plus de dix ans, pour ainsi dire, votre vie a
été « traversée d’opéras », pour reprendre l’expression de cet Henri Bayle
qui aimait tant courir les salles à l’écoute de Rossini et de Cimarosa.
Votre soif d’entreprendre et votre amour de la musique ne se sont pas
arrêtés. Depuis 2006, vous êtes adjoint au directeur de la musique d’une
autre « grande maison » du service public de la Communication, Radio
France, en charge de la communication, du marketing et du
développement. Vous développez notamment l’activité de concerts des
quatre formations musicales de Radio France, à savoir l’Orchestre national
de France, l’Orchestre philarmonique de Radio France, le Choeur et la
Maîtrise de Radio France, soit 450 musiciens et 200 concerts par saison.
Cher Christian de Pange, à vos yeux, tout est musique. Un tableau, un
paysage, un livre, un voyage ne valent que si l'on entend leur musique.
Cette maxime, vous avez su la faire vôtre tout au long de votre riche
carrière de dirigeant dans le secteur culturel.
Pour votre engagement continu, pour votre désir jamais assouvi de
développer et de faire aimer les arts et la culture, cher Christian de Pange,
au nom de la République française, nous vous faisons Commandeur dans
l’ordre des Arts et des Lettres.