Augustin Girard m’a confié une erreur de prospective : « Ce que j’ai écrit… ne vaut que pour mon temps. » Dans son temps, il l’était bien plus que beaucoup, car il poursuivait celui de l’histoire à laquelle il renvoie souvent, s’inscrivait dans un présent d’action − publique − qu’il savait analyser, évaluer, rudoyer aussi, toujours pour mieux l’encourager, l’épaulant objectivement de statistiques. Il l’a encore prolongé en dessinant des visages aux futurs possibles de la culture et de ses politiques.
Quelques-uns des textes qu’il a semés, ici rassemblés, portent toujours des bourgeons, tandis que d’autres mûrissent encore et que quelques-uns fleurissent ou déjà refleurissent. Dans cette cueillette qui fait recueil, le lecteur trouvera donc bien moins de quoi faire rétrospective que prospective. Ces textes donnent la liberté de trouver les racines encore fécondes de l’invention de la prospective culturelle. Celle-ci se nourrit de la détection de tendances, de l’invention de méthodes, du regard sans complaisance sur les politiques publiques et de leur évaluation, et plus encore de la libre réflexion que ces enjeux suscitent. Sous ses quelques aspects, le singulier mélange d’un esprit critique, d’un esprit de liberté et, peut-être plus encore, d’un esprit de jeu se trame dans ces textes. Il nous invite à poursuivre les réflexions qu’il a ouvertes et que le présent agite de nouveau et sans doute autrement :
– peut-on résoudre la tension entre la culture et les loisirs qui tendent à la désacraliser, sans tenir compte de la réalité et de la fécondité des « subcultures » ?
– peut-on se satisfaire des stratégies d’offres, fussent-elles rationnelles, si les forces de la demande sociale sont plus puissantes, variées, complexes et parfois plus mobiles ?
– que vaut objectivement le nombre des « contacts » aux œuvres facilités par l’émergence et la domination des « machines culturelles » si les outils et méthodes pour les appréhender font encore défaut ?
– qu’y a-t-il de vraiment neuf dans la structure économique des industries culturelles contemporaines confrontées à des goulets d’étranglement, à la répétition des stratégies de star system ?
– quelle « autodidaxie » faut-il encore imaginer au temps du numérique dont la grammaire et le vocabulaire continuent de s’inventer ?
– que faire de l’accélération, du rétrécissement et de l’émiettement de l’espace-temps que produisent les communications de toutes sortes ?
Parmi beaucoup d’autres, ces quelques questions soulevées par Augustin Girard au cours des dernières décennies du XXe siècle resurgissent avec une acuité toute particulière pour analyser l’actuelle révolution numérique, en détecter les futurs enjeux, renouveler les moyens d’envisager ses futurs effets, imaginer les politiques culturelles les plus pertinentes.
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