Pendant toute la durée des répétitions du spectacle Horizon, au Domaine national du Palais-Royal, à Paris, des ateliers de médiation se sont succédé auprès de publics empêchés. Un moment d’ouverture et de découverte.
« Musique ! », lance au talkie-walkie la metteuse en scène Raphaëlle Boitel, donnant le coup d’envoi d’une répétition à couper le souffle. Alors que les premières notes de musique s’élèvent au cœur du Domaine national du Palais-Royal, des acrobates surgissent de partout : l’une au sol, zigzaguant sur son vélo entre les colonnes de Buren, d’autres depuis les toits s’élançant et sautant vers les terrasses dans une simultanéité confondante. Un frémissement parcourt le public, signe que la magie du spectacle commence déjà à opérer…
Les spectateurs présents ce matin pour la répétition d’Horizon, la création in situ de la compagnie L'Oublié(e) dont cinq représentations seront données les 15, 16 et 17 septembre à l’occasion de la 40e édition des Journées européennes du patrimoine, n’ont pas été choisis au hasard. Il s’agit d’une quarantaine d’élèves atteints de troubles du spectre autistique ou de déficience modérée psychique ou mentale, encadrés par une quinzaine d’accompagnateurs, issus de trois établissements : l’Externat médico-pédagogique Nollet, l’Institut médico-pédagogique Belleville et l’hôpital de jour André Boulloche.
Des binômes de lycéens mobilisés
Pour eux, le ministère de la Culture a concocté un dispositif sur-mesure, avec une médiation spécifique et un accès privilégié aux équipes artistiques. « La solidarité et l’entraide sont des valeurs très importantes que je défends dans tous mes spectacles. Il était important de permettre à un public qui n’a pas l’habitude de venir voir des spectacles d’avoir un vrai moment de transmission, souligne Raphaëlle Boitel. Il y a dans ce spectacle des disciplines qui viennent de la rue donc il y a aussi l’idée que toutes les classes sociales peuvent appartenir à ce projet artistique. » Cette séance d’environ une heure n’est que le premier volet puisque le Domaine national du Palais-Royal va voir se succéder des personnes en situation de handicap, de précarité, des mineurs sous main de justice ou encore des jeunes du pass Culture. Avec un objectif : offrir à chacun d’entre eux, dont l’un des points communs est la difficulté d’accès à l’offre culturelle, une sortie hors de leur quotidien et « les sensibiliser à l’importance de l’art dans leur vie », rappelle Agnès Chemama, qui encadre ces actions de médiation.
Pour mener à bien cette mission de longue haleine, Agnès Chemama n’est pas seule. Jusqu’à la fin des Journées européennes du patrimoine, elle sera épaulée par une trentaine d’élèves du lycée Beaugrenelle en première et terminale de bac pro Métiers de l’accueil et Métiers du commerce et de la vente qui, regroupés en binômes, seront chargés de répondre aux questions du public et d’encadrer des groupes comme celui d’aujourd’hui. « Ces mises en pratique permettent de mettre dans le bain les élèves, d’intégrer ensuite des dispositifs plus fermés et de faciliter leur insertion professionnelle, souligne Marie-Christine Mestas, proviseure de l’établissement situé dans le XVe arrondissement de Paris. Ils peuvent également rencontrer des artistes et ouvrir leur champ des possibles, en dehors de leurs sorties et visites culturelles habituelles ».
Horizon – création qui mêle pratique artistique et performance sportive – est un support de travail d’autant plus pertinent que l’établissement vient d’obtenir le label « culture olympique », et que certains élèves ont choisi une option autour des métiers du sport. C’est le cas de Yoann, en classe de première. « Ce qui m’intéresse dans cette expérience, c’est d’en prendre de la graine ! J’aime beaucoup transmettre, bien accueillir les gens… Cette expérience va me permettre de prendre confiance en moi et de m’ouvrir au public. »
Après la répétition, l’apaisement
L’Externat médico-pédagogique Nollet est venu aujourd’hui avec huit enfants âgés de 9 à 13 ans en déficience intellectuelle et psychique. Ponctuellement, l’établissement organise ce type de sorties. « On les amène voir soit du sport, soit de la culture mais il est rare de pouvoir mêler les deux comme aujourd’hui, souligne Bouziane Berrached, enseignante spécialisée. Cela va amener beaucoup de questionnements mais c’est le but : les faire réfléchir, se poser et poser des questions. On leur donne la liberté totale de s’exprimer, dans la spontanéité. »
Après la répétition, le calme règne dans le groupe l’Institut médico-pédagogique Belleville. « Ils sont apaisés, c’est juste incroyable ! », s’exclame leur enseignante Rihab Touibi. L’externat s’est lui aussi mis en mode JO avec des projets pédagogiques autour de l’événement. « Alors quand on nous a proposé d’assister à ce spectacle, on s’est dit que c’était génial ! C’est l’opportunité de rencontrer d’autres établissements, d’autres élèves. Les jeunes peuvent profiter de sorties comme tout le monde, de se fondre dans la masse en quelque sorte. » Assis à l’ombre, Burhan se remet de ses émotions. « Ça m’a beaucoup plu quand ils ont sauté. Ils sont très musclés ! »
Après cet atelier, le travail n’est pas terminé pour la quarantaine de jeunes qui vont avoir en quelque sorte des devoirs à ramener à la maison. Agnès Chemama leur propose en effet quelques exercices de mise en jeu du corps, à mettre en place dans les établissements. « Ils vont explorer les valeurs du spectacle : la confiance en soi, en l’autre, le risque, la concentration… » Les bienfaits d’Horizon et de la médiation continuent donc, bien au-delà des Journées européennes du patrimoine…