Avec l’ouverture des archives du procès de Maurice Papon, c’est tout un pan de notre histoire pendant la Seconde Guerre mondiale qui va être éclairé.

Depuis plusieurs années, de nombreux fonds d’archives concernant la période de la Seconde Guerre mondiale ont été ouverts avant l’échéance de leur délai de communicabilité, rendant ainsi possible un travail historique ainsi qu’un travail de mémoire (voir notre article : Histoire, mémoire... comment les archives s'ouvrent au plus grand nombre).

Avec la publication d’un arrêté du 27 janvier 2023, qui ouvre de façon anticipée les archives du procès impliquant Maurice Papon, inculpé pour crimes contre l’humanité pour sa participation à la déportation de 1690 Juifs entre 1942 et 1944, le Garde des Sceaux et la ministre de la Culture ont souhaité prolonger et parachever cette démarche. Grâce à cette ouverture des archives, c’est tout l’environnement d’un procès hors-norme qui se trouve soudain mis en lumière. Entretien avec Violaine Challéat-Fonck, responsable du département de la Justice et de l’Intérieur aux Archives nationales. 

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Quel est le contexte de l’ouverture anticipée des archives du procès Papon ?

Cette décision prend la suite d’un certain nombre de mesures d’ouvertures anticipées concernant des archives de la Seconde Guerre mondiale, notamment des textes datant des années 1990 et 2000 pour des fonds conservés en archives départementales et aux Archives nationales et, plus près dans le temps, d’un arrêté de 2015 pour les fonds encore soumis aux délais portant sur les procédures judiciaires, et d’un arrêté de 2017 relatif à l’ouverture des archives concernant le procès de Klaus Barbie.

Dans la lignée de l’ouverture de ces fonds, il semblait intéressant de donner accès aux archives relatives à des procès impliquant des acteurs de la Seconde Guerre mondiale. L’ouverture par dérogation générale part souvent du constat qu’un sujet historique présente également, le temps ayant fait son œuvre, un intérêt mémoriel et social tout à fait important. Les conditions sont donc réunies pour rendre accessibles ces archives de façon anticipée et permettre l’appropriation de cette histoire par les historiens et par les familles mais aussi par la société.

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Quels sont les documents concernés ?

Cette ouverture concerne des fonds qui sont conservés dans plusieurs institutions. Tout d’abord des dossiers de procédures – produits par la Cour d’assises et le Tribunal de grande instance de Bordeaux – conservés aux archives départementales de la Gironde. Ensuite des dossiers du ministère de la Justice en attente de leur versement aux Archives nationales, et des fonds du Conseil d’État conservés au département de l’exécutif et du législatif des Archives nationales. Enfin un ensemble d’archives – des fonds des cabinets des gardes des Sceaux successifs, des dossiers de la Cour de cassation, des dossiers d’action publique de la direction des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, et des dossiers issus de la commission consultative des archives audiovisuelles de la justice – conservées au département de la Justice et de l’Intérieur des Archives nationales.

Quel est le principal apport de cette ouverture anticipée ?

L’accès simplifié à ces archives va permettre de mesurer l’environnement qui s’est déployé autour du procès de Maurice Papon. C’est un procès qui a été très médiatisé, mais à travers l’analyse de ces archives, on va pouvoir étudier la volonté pour des particuliers ou des associations de participer à l’affaire et d’influer sur les prises de décision. Il y a des documents qui nous permettent de mesurer à quel point ce procès hors norme a été régi par une organisation millimétrée. Il y en a d’autres – je pense en particulier aux archives présentes dans les cabinets des gardes des Sceaux – dans lesquels on va trouver des documents de travail marqués par des mentions, des annotations des directeurs de cabinet qui vont refléter les relations qu’entretiennent ces acteurs avec les particuliers et les procureurs en lien avec l’affaire Papon. On voit le traitement de toutes les sollicitations qui sont adressées au cabinet du garde des Sceaux, et qui vont permettre aussi d’imaginer l’état d’esprit dans lequel les parties prenantes ont travaillé. On souligne le caractère d’urgence de certaines décisions à prendre, on a des choix de transparence dans la transmission de l’information lors du procès… En résumé, le fait de rendre accessibles plus aisément ces archives va permettre de favoriser les travaux historiques et scientifiques de toutes natures sur ces fonds.

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Que retenez-vous à titre personnel de la consultation de ces documents ?

Ce qui m’a frappée, c’est de voir à quel point un tel procès donne lieu à la production de documents de nature très différente dont certains vont se retrouver à de multiples endroits dans les fonds d’archives. Il y aurait un travail intéressant à mener sur les liens qui se tissent entre les archives conservées aux archives départementales de Gironde et celles des cabinets des gardes des Sceaux à la direction des affaires criminelles et des grâces. On verrait ainsi la circulation des informations et la mise en relation des interlocuteurs pour la prise de décision.

Dans le sillage de ces documents, c’est toute l’histoire qui ressurgit…  

C’est particulièrement vrai pour les fonds conservés aux archives départementales de la Gironde. Pour les fonds qui ont été ouverts par dérogation aux Archives nationales, les dossiers ne comprennent pas de copies de documents classés, sous scellés ou datant de la guerre.

Outre les historiens, chacun pourra donc consulter ces archives…

L’idée est vraiment celle d’un accès au plus grand nombre. Cette possibilité d’accéder aux documents sans démarche administrative spécifique permet à tout citoyen qui s’intéresse à ce sujet de se reporter aux sources premières et de mieux comprendre l’action déployée par la puissance publique pour faire procéder au jugement de Maurice Papon. Et, éventuellement, d’être dans une démarche individuelle quand sa famille a été directement touchée par les événements de la Seconde Guerre mondiale.