Ce dispositif d’éducation artistique et culturelle créé en 2013 dans le cadre de la Nuit européenne des musées, propose à des classes de travailler pendant l’année sur une œuvre. L’objectif ? Tisser des liens entre les musées et les établissements scolaires.
Les écoliers, collégiens et lycéens prennent possession des musées ! Le 14 mai, grâce à « La Classe, l’œuvre ! » et lors de la Nuit européenne des musées, ce sont plus de 170 projets qui prennent forme dans les établissements partenaires sous des formes variées : exposition, danse, performance, théâtre... Le temps d’une soirée, ces jeunes deviennent médiateurs culturels et vont partager avec les visiteurs leur travail artistique mené tout au long de l’année avec enseignants et musées. Pour ces derniers, ce dispositif permet de tisser des liens avec le jeune public et de faire en sorte qu’il s’approprie et valorise le patrimoine proche de chez lui.
Dans l’Aude, le musée Narbo Via et le site archéologique Amphoralis, respectivement situés à Narbonne et Sallèles-d’Aude, mènent, cette année, pas moins de huit ateliers auprès de jeunes de la maternelle au lycée. Retour d’expérience avec Jennifer Gomez et Marie Badia, médiatrices dans ces deux musées qui font partie du même établissement public de coopération culturelle et qui retracent l’histoire gallo-romaine de l’ancien Narbo Martius, l’actuelle région narbonnaise.
Pourquoi votre musée a-t-il décidé de participer au dispositif « La classe, l’œuvre ! » ?
Jennifer Gomez, médiatrice et chargée de projet éducation à Narbo Via : C’est la deuxième année que Narbo Via participe au dispositif car nous avions déjà une classe investie sur le site d’Amphoralis venue restituer son travail à Narbo Via l’an dernier. Cette année scolaire 2021-2022 nous a permis de déployer le dispositif sur nos deux sites. « La classe, l’œuvre ! » permet aux élèves et leurs enseignants et in fine, leurs familles, de s’approprier nos sites culturels. On espère ainsi que des publics nouveaux puissent faire entrer dans leur pratique quotidienne une sortie au musée et bien sûr changer leur représentation de l’institution qui est parfois perçue comme un lieu élitiste. Ce dispositif est un outil de médiation culturelle propre à ouvrir les collections à de nouveaux publics.
Marie Badia, médiatrice à Amphoralis : Le site archéologique Amphoralis participe au dispositif depuis l’année 2014. Nous avions un public scolaire important donc nous voulions mettre en place une offre pédagogique plus étoffée. L’intérêt est multiple pour le musée : il s’agit de faire connaître nos collections, le musée mais aussi l’archéologie qui peut paraître parfois abstraite. Le dispositif permet d’accueillir une classe sur toute l’année scolaire, de développer des projets un peu plus vastes et d’aborder des sujets différents que l’on ne va pas évoquer dans la médiation classique.
Une thématique commune - celle du portrait - a été choisie dans vos deux établissements. Quels types de projets menez-vous et sous quelles formes seront-ils visibles cette année ?
MB : Trois de nos actions sont menées à Amphoralis. L’une avec l’école maternelle de Sallèles-d’Aude avec qui nous avons réalisé des créations à base d’argile : des petits bols avec des portraits et des masques sur la thématique du théâtre antique avec des émotions différentes. Le soir de la Nuit européenne des musées, ils feront un petit défilé avec ces masques et proposeront une exposition avec des cadres dans lesquels ils dessinent leurs portraits avec leurs émotions.
Le deuxième projet concerne une classe de CM2 de l’école André-Malraux à Fleury et des portraits d’enfants à l’antiquité qui se termine avec la restitution d’un ouvrage dont les personnages sont deux enfants, l’un vivant en milieu rural et l’autre à Narbo Martius. Enfin le troisième projet se fait avec le collège Les Mailheuls à Coursan avec des rencontres rapides pendant lesquelles les élèves interprèteront des personnages de l’Antiquité qui répondront aux questions des visiteurs.
JG : Les élèves ont pu commencer dès le mois de novembre avec des visites de deux heures pour comprendre la société de Narbo Martius et le contexte historique, mais aussi pour appréhender le mur lapidaire de 70 mètres de long et 10 de haut, la pièce maîtresse du musée choisie pour « La classe, l’œuvre ». Ce mur recèle de portraits d’habitants sculptés ou écrits et les élèves ont parcouru ce monument à la recherche de blocs de pierre pour travailler à partir de ceux-ci.
La classe de maternelle l’Olivette à Vinassan a par exemple choisi onze métiers de l’époque et créé des petits panneaux dans lesquels ils peuvent passer leur tête et incarner ce métier. Nous avons aussi fait une prise de vue au musée pour faire un montage vidéo avec pour fond le décor de Narbo Martius et ils feront pour la Nuit des musées un défilé le long du mur lapidaire. La classe de CM2 de l’école Anatole-France à Narbonne a choisi des blocs et construit un récit. Ils ont créé un jeu avec un lancer de dé et des petites fenêtres avec une lettre de Narbo Martius à ouvrir pour suivre un parcours qui va former une histoire différente à chaque fois.
Les latinistes du collège La Nadière à Port-La-Nouvelle ont travaillé sur une sculpture avec cartel, sur une affiche et un diaporama monté en vidéo diffusé sur une borne du musée. Les autres latinistes du lycée Docteur-Lacroix à Narbonne ont pu rencontrer Maria-Luisa Bonsangue, une professionnelle de l’épigraphie qu’ils ont pu interroger sur les blocs choisis. Leur travail final a été de proposer des textes autour d’un choix de blocs.
Les derniers lycéens, ceux de Louise-Michel à Narbonne, ont mené un travail original avec la création de textes littéraires inspirés d’une courte pièce. Ils ont ensuite fragmenté leur texte et extrait des phrases pour présenter un chaos en écho avec le mur lapidaire de fragments de pierre. Cela va donner lieu à une présentation plastique et un panneau avec un chaos de pierre sur lequel ils ont collé des morceaux de phrases.
Ce qui frappe, c’est le large éventail d’âges et de formes de restitution…
JG : La multiplicité des âges est volontaire car il était important d’avoir une représentation de chaque cycle scolaire. La diversité de formes de restitution reflète celle de la culture et les appétences de chaque enseignant. Ce sont des projets très lourds à mener donc il était très important que les enseignants et leurs élèves puissent s’exprimer et utiliser un panel de mediums le plus large possible qui correspond à leur mode de travail.
Quel retour obtenez-vous des élèves ?
MB : Tous les élèves s’intègrent et trouvent leur place pendant le projet, même ceux en difficulté scolaire. Ce projet leur permet de s’ouvrir et de pouvoir également s’exprimer en public, ce qui n’est pas évident. Je les trouve très à l’aise et impressionnants. Comme ils sont intégrés dès le départ et que la démarche les motive, ils sont partie prenante, instigateurs et demandeurs.
JG : Il y a toujours des élèves hyper enthousiastes et très motivés. Dans une classe, l’enseignante est agréablement surprise et heureuse de voir l’engouement des parents ; beaucoup ont répondu présent alors que la restitution se fait sur un temps hors classe et en week-end.
L’idée n’est pas seulement de faire des œuvres mais également de les présenter au public. Comment les avez-vous préparés à faire de la médiation ?
MB : Chaque élève qui participera sera effectivement le médiateur, le passeur de culture pour la soirée. Les dernières interventions menées portent sur les présentations ; on réalise des textes de support, détermine les équipes et réalise les répétitions pour qu’ils soient un peu plus à l’aise et le jour J.
JG : Lorsque les enseignants se sont investis sur le projet, j’insiste pour que les élèves soient des maillons de cet échange culturel, sur l’investissement que cela demande et sur tout ce que cela représente dans une année scolaire.
À Amphoralis, comment avez-vous réussi à faire évoluer « La classe, l’œuvre ! » en huit ans ?
MB : Avec l’expérience, on arrive à mieux maîtriser le sujet et les restitutions donc on devient de plus en plus ambitieux ! Les saynètes et les restitutions de speed-dating sont des idées auxquelles nous pensions depuis quelques temps mais le Covid nous avait freinés ; nous avons décidé de les mettre en place cette année. Enfin, il y a quelques années, avec une classe de 6e, nous avions crée le jeu de l’amphore et celui-ci sera bientôt commercialisé dans le musée !
La thématique de l’an prochain est déjà trouvée : la trace…
JG : Nous sommes dans un musée d’archéologie donc tous nos objets sont finalement des traces de civilisations disparues. À Narbo Via, nous avons choisi de travailler sur le théâtre qui est un lieu assez énigmatique puisqu’à ce jour, nous n’avons jamais retrouvé son emplacement mais seulement des indices de son existence : des éléments écrits, une inscription hypothétique, un décor qui illustre une fresque d’une salle à manger d’apparat ou des masques de théâtre sculptés dans la pierre. Tout ce mystère va, je l’espère, faire naître de l’imaginaire. Et cette thématique va nous placer dans le parcours permanent, ce qui implique une restitution dans des espaces qui peuvent accueillir plus de public…
MB : C’est un sujet vaste ! Nous avons la chance d’avoir des empreintes d’animaux sur des matériaux de construction et des marques laissées par les potiers. Et le site archéologique, par lui-même, est déjà une trace !
« La classe, l’œuvre ! » : un projet d’éducation artistique et culturelle
Le dispositif « La classe, l'œuvre ! » est le fruit d’un partenariat entre le ministère de la Culture et celui de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. Depuis 2013, cette opération d’éducation artistique et culturelle est corrélée à la Nuit européenne des musées, date qui parachève le travail de toute une année mené dans les classes et les musées. Fidèle aux trois principes de l’éducation artistique et culturelle (rencontre, pratique et connaissance), « La classe, l’œuvre ! » permet aux élèves de travailler sur une œuvre issue des collections d’un des musées participant à l’opération. La classe construit un projet original de médiation qui est ensuite présenté aux visiteurs lors de la Nuit européenne des musées. En plus de ces restitutions « physiques » le jour J, une plateforme interactive réalisée par le réseau Canopé recense et valorise l'ensemble des initiatives réalisées sur tout le territoire national.