Pourquoi la cathédrale Notre-Dame de Paris n’a-t-elle jamais cessé, depuis le XIIe siècle, de passionner les écrivains du monde entier ? Retour sur une histoire universelle.

De Christine de Pizan à Sylvain Tesson, en passant par Villon, Rabelais, Hugo, Huysmans, Péguy, Claudel ou Proust, les écrivains du monde entier n’ont jamais cessé, depuis le XIIe siècle, d'être fascinés, aimantés, par la cathédrale Notre-Dame de Paris. D’où vient cette passion fixe, obstinée, constante ? D’où vient cette relation très particulière, mêlant aspirations historiques, considérations patrimoniales, symbolique religieuse et vocation universelle ? Ces questions étaient au cœur de la rencontre organisée le 17 septembre par le Centre national du livre autour d’une anthologie foisonnante autant que passionnante, qui fait la part belle à des textes méconnus sur le chef d’œuvre gothique, comme ceux des auteurs médiévaux ou ceux des auteurs étrangers : Notre-Dame des écrivains, raconter et rêver la cathédrale du Moyen Âge à demain (Folio Classique).

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Cathédrale de pierre, cathédrale de papier

A commencer par le roman qui a ouvert à la cathédrale les portes de son destin universel : Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. « Au début du XIXᵉ siècle, la cathédrale, peu entretenue, se dégradait au point qu’une démolition était envisagée. En faisant du monument le personnage principal de Notre-Dame de Paris, qui paraît en 1831, Victor Hugo a fait naître un grand mouvement populaire à l’origine – entre autres – de l’important chantier de rénovation dirigé par Viollet-le-Duc », raconte Adrien Goetz, historien de l’art et écrivain, préfacier de la réédition de Notre-Dame de Paris en Folio.

La cathédrale évoque aujourd’hui un personnage désarticulé, une de ces « gueules cassées » chères à Victor Hugo

Sauvée par la puissance d’un seul livre, Notre-Dame offre à jamais un double visage : elle est à la fois monument architectural et monument littéraire. « C’est ce qui fait toute la singularité de ce projet d’anthologie, inenvisageable avec un autre monument », observe Michel Crépu, écrivain et rédacteur en chef de La Nouvelle Revue Française« Nous avons voulu, avec cet ouvrage, relier ces deux registres : la cathédrale de papier et la cathédrale de pierre », confirme Blanche Cerquiglini, éditrice de Notre-Dame des écrivains et responsable de Folio Classique.

Deux cents ans après, c’est encore l’œuvre de Victor Hugo qui, à la suite à l’incendie de la cathédrale, connaît un second souffle. Laura El Makki fait partie des nombreux Français qui, au printemps 2019, se sont plongés dans ce grand classique de la littérature. « Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas lu, et cela faisait longtemps que je ne regardais plus Notre-Dame, alors que je passe à côté tous les jours », regrette la biographe et productrice de radio. La cathédrale lui évoque aujourd’hui un personnage désarticulé, une de ces « gueules cassées » chères au grand écrivain. « Notre-Dame ressemble, d’une certaine manière, aux corps et aux visages abîmés que Victor Hugo nous force à regarder en créant des personnages tels que Quasimodo, dans Notre-Dame de Paris, ou Gwynplaine, dans L’Homme qui rit (1869). Même si l'édifice a résisté à l’incendie, dans notre inconscient collectif, il est fragilisé », estime-t-elle.

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Une conversation de regards

Au-delà du chef-d’œuvre de Victor Hugo, l’anthologie Notre-Dame des écrivains propose, selon Michel Crépu, « une conversation entre regards ». Loin d’être une simple encyclopédie littéraire, ce recueil fait dialoguer aussi bien les textes que les époques. « Notre-Dame de Paris est un monument complexe, qui suscite des émotions complexes. La cathédrale renvoie, dans la littérature à une grande variété de sentiments », souligne Maryvonne de Saint-Pulgent, présidente du Comité d’histoire au ministère de la Culture. Jugée « impressionnante et sombre » dans certaines œuvres, elle est perçue comme « un sanctuaire rassurant, un lieu de rêveries poétiques » dans d’autres.

Les lignes de Notre-Dame de Paris ne sont pas verticales mais horizontales, ce sont les lignes d’un livre 

Autre regard : celui, plus inattendu, de la littérature policière. Auteur reconnu de ce genre littéraire, Alexis Ragougneau est frappé par les multiples facettes de l’édifice. « C’est un bastion de la religion catholique, un lieu qui se protège du monde extérieur. Mais c’est aussi une tour de Babel, rassemblant chaque jour des dizaines de milliers de touristes », souligne le romancier, qui rappelle qu’il a été, pendant plus d’un an, employé en tant que surveillant à Notre-Dame. « Je suis, initialement, un dramaturge et ce poste m’a rapidement donné envie de créer des scènes, des histoires. Mais je ne l’ai pas fait sous forme de pièce de théâtre, car Notre-Dame de Paris est déjà un théâtre », déclare-t-il. Un lieu où se jouent des querelles et des contradictions que l’on retrouve à l’échelle de la France. Pour lui, « décrire Notre-Dame, c’est décrire notre pays ».

A l’image du roman, Notre-Dame est en effet le reflet du monde qui l’entoure. Son lien avec la littérature rejaillit jusque dans son architecture. « Les lignes de Notre-Dame de Paris ne sont pas verticales mais horizontales, ce sont les lignes d’un livre », souligne Maryvonne de Saint-Pulgent. Quoi de plus logique, dès lors, que de se consoler par la lecture du drame qui a frappé cette « bible de pierre » ? « Il n’y a pas eu de morts dans cet incendie, mais celui-ci a néanmoins été à l’origine d’un grand chagrin collectif, sans que l’on sache très bien sa signification. Si cette anthologie a un mérite, c’est bien celui d’éclairer un peu cette peine qui est restée à nos côtés », conclut Michel Crépu.

Notre-Dame des écrivains, raconter et rêver la cathédrale du Moyen Age à nos jours, une anthologie conçue et éditée par Blanche Cerquiglini, préface de Michel Crépu, collection Folio Classique, éditions Gallimard, 560 pages + 16 pages hors-textes illustrées, 2020

 

 

 

 

 

Rééditions, anthologies, recueils… la littérature au secours de Notre-Dame

L’incendie de Notre-Dame de Paris a suscité, on s’en souvient, un immense élan de solidarité, qui s’est concrétisé par des dons venus du monde entier. Le monde du livre n’a pas été en reste. Auteurs, éditeurs, libraires, ils ont tous multiplié les initiatives destinées à récolter des fonds pour la restauration de la cathédrale.

En partenariat avec le ministère de la Culture, les éditions Points ont ainsi publié une anthologie dont les bénéfices seront entièrement reversés à restauration de la cathédrale. Son titre ? Notre-Dame, une anthologie de textes d'écrivains : le patrimoine littéraire défend le patrimoine architectural.

Nombreuses sont les maisons d’éditions qui ont reversé tout ou partie des ventes de leur édition en poche du chef d’œuvre de Hugo, Notre-Dame de Paris. Ainsi, le Livre de poche a annoncé un versement à hauteur de 1 € par exemplaire vendu, alors que les éditions Gallimard ont reversé le bénéfice intégral de la réédition de l’ouvrage en Folio. Jeudi 17 février, Antoine Gallimard a annoncé que les ventes de ce roman avaient rapporté 40 000 €. Enfin, le groupe Editis, propriétaire de la collection Pocket, a assuré qu'il versera « la totalité de sa marge » à la restauration.

Enfin des auteurs ont décidé de participer à l'élan de restauration, en cédant leurs droits. C'est le cas de Sylvain Tesson qui a rassemblé textes anciens et inédits sur la cathédrale.  Cela a donné un très beau recueil, Notre-Dame de Paris, ô reine de douleurs, publié aux éditions des Équateurs, dont les bénéfices seront reversés à la restauration.