L’écrivain Christian Garcin a fait résonner la poésie amoureuse de l’œuvre du poète E.E. Cummings dans l’un des hauts-lieux de l’expérience mystique, l’abbaye de Montmajour.
Traduire un auteur, c’est être au plus près de ses mots, de son souffle. Au point qu’une fois cette aventure terminée, on ne désire ensuite parfois rien d’autre que la prolonger. C’est précisément le parti retenu par l’écrivain et traducteur Christian Garcin, dont la proposition – lire une sélection des poèmes amoureux de l’Américain E.E. Cummings (1894-1962), l’un des poètes modernistes les plus audacieux de son époque, dans le cadre majestueux et austère de l’abbaye de Montmajour, fondée au Xe siècle à proximité d’Arles – a été sélectionnée par Mondes nouveaux.
Cette lecture, aux airs de véritable performance, voire d’expérience mystique, tant Christian Garcin semblait habité par la poésie de Cummings, a eu lieu le 13 juin dernier. L’abbaye de Montmajour était bien plus qu’un simple décor, elle était partie prenante de la performance. « Il m’a semblé qu’un tel lieu, à l’austère beauté, ayant au fil des siècles été le cadre de nombreuses expériences mystiques, pouvait idéalement correspondre à l'indéniable mystique amoureuse que Cummings décline dans chacun de ses poèmes », souligne l’auteur, que nous avions interrogé quelques semaines avant la lecture-performance.
En quoi consiste le projet autour de la poésie d’E.E. Cummings que vous allez présenter ?
L'année 2022 marque le soixantième anniversaire de la mort du poète américain E.E. Cummings (Edward Estlin Cummings). Sa poésie, à la fois lyrique et complexe, ludique et exigeante, déconcertante souvent, absolument unique dans son traitement de la syntaxe, de la typographie, et de l'organisation interne des poèmes, est une des plus marquantes, des plus surprenantes et des plus passionnantes du XXe siècle. Parmi tous les thèmes qu'elle aborde, l’amour est l'un des plus fréquents. Il s'agit ici d'un choix de poèmes amoureux couvrant toute l’œuvre, de Tulipes et cheminées (1925) à Etcetera (posthume, 1973). J'en lirai une quarantaine, sur les cent quatre-vingts environ que j'ai traduits.
Comment s’est fait le choix de l’Abbaye de Montmajour ? Etait-ce d’emblée un lieu que vous souhaitiez ? La proposition est-elle venue du Centre des monuments nationaux ?
Les poèmes de Cummings dessinent un paysage mental escarpé, puissant et singulier, une sorte de bout du monde aride et lumineux, intensément habité, dont il me semblait que l'équivalent pouvait être un monument austère et nu, dans un paysage arcadien – un monastère, ou une abbaye. Au départ, j'avais choisi l'abbaye cistercienne du Thoronet, plus proche de chez moi. Mais il y avait des problèmes logistiques, qui ont fait que le Centre des monuments nationaux m'a proposé Montmajour qui me convenait parfaitement. Choisir une telle abbaye comme lieu de restitution de poèmes d'amour pourrait à première vue sembler paradoxal, mais il m'a semblé qu'au contraire un tel lieu, à l’austère beauté, ayant au fil des siècles été le cadre de nombreuses expériences mystiques, pouvait idéalement correspondre à l'indéniable mystique amoureuse que Cummings décline dans chacun de ses poèmes.
Un paysage mental escarpé, puissant et singulier, une sorte de bout du monde aride et lumineux, intensément habité
En quoi le dispositif du programme « Mondes nouveaux » vous a-t-il séduit ? Quelle opportunité vous a-t-il offert ?
Le dispositif associant mon travail à une abbaye telle que Montmajour m'a séduit d'emblée pour les raisons que je viens d'exposer, et par la liberté qu'il permettait. Je voulais aussi proposer, qui suivrait la lecture, une conférence d'un traducteur émérite de Cummings, Thierry Gillybœuf – qui ne sera pas une conférence en vérité mais une discussion entre lui et moi, animée par Brice Matthieussent, qui a, lui aussi, traduit un recueil de poèmes de Cummings. Nous serons donc trois traducteurs qui évoquerons ensemble cette œuvre remarquable.
Comment percevez-vous ce lieu au regard de la personnalité et de l’œuvre de E.E. Cummings, diriez-vous que c’est le lieu « parfait » ?
Je ne saurais répondre précisément à cette question, car à tout prendre un musée, plutôt d'art contemporain – Cummings était aussi peintre – ou une simple chambre, ou un pré – plusieurs poèmes associent l'amour et les oiseaux, la nature et la joie d'être au monde – pourraient aussi convenir. Je ne sais pas non plus ce que lui-même aurait pensé de cette association. Mais l'indéniable mystique amoureuse, parfois suggestive, d'autres fois clairement érotique et charnelle, présente dans certains de ces poèmes, me semble convenir parfaitement au lieu. Il y a par exemple deux poèmes, que je lirai, séparés par une trentaine d'années, et résonnant l'un et l'autre de manière évidente avec le Cantique des Cantiques, le superbe chant d'amour biblique attribué au roi Salomon, dont je lirai aussi de courts extraits. De plus le cloître associe solennité du recueillement et légèreté d'un espace ouvert, pouvant accueillir végétaux et oiseaux, deux dimensions présentes dans la poésie de Cummings. Aucun lieu ne saurait être « parfait », mais je ne doute pas que la poésie de Cummings saura parfaitement investir celui-ci.
Christian Garcin, un voyageur littéraire
Christian Garcin, né en 1959, vit près de Marseille. Il a publié des romans, des nouvelles, des poèmes, des récits de voyage, et un livre de photographies. Il est par ailleurs traducteur de l’espagnol et de l’anglais (Borges, Bukowski, Poe, Melville...). Derniers titres parus : Le Bon, la Brute et le Renard (roman, Actes sud 2020), Une Odyssée pour Denver (un inédit de Norwich Restinghale) (récit, éditions Champ Vallon 2022), Patagonie, dernier refuge, en collaboration avec Éric Faye (récit de voyage, éditions Stock, 2021).