Une cuisine atypique au Louvre-Lens, de mystérieux messages au château d’Angers, une fabrique de vêtement pas comme les autres au Désert de Retz… Focus sur trois projets de Mondes nouveaux.

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Pour interpréter le monde, les artistes disposent d’une grille de lecture bien spécifique : leur singularité. Et c’est tant mieux. Avec cette boussole, ils portent sur la réalité un regard qui tour à tour interroge, surprend, déconcerte ou émerveille. Un regard très précieux, en somme, en ces temps de formatage de la pensée et de verrouillage des représentations.

Les projets issus du dispositif Mondes nouveaux en sont une illustration parfaite. Prenons trois créations prochainement ou récemment dévoilées. Elles présentent une cuisine atypique au Louvre-Lens, de mystérieux messages au château d’Angers, une fabrique de vêtement pas comme les autres au Désert de Retz… Jouant du décalage, elles nous montrent sous un autre jour les enjeux de la solidarité, de l’écologie et de la production en série. Retour sur ces projets.

Drôle de cuisine au Louvre-Lens

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Vous reprendrez bien un peu de salade de fleurs ? Qui sait, en effet, si ce mets ne sera pas au menu de Cuisine botanique, la performance soutenue par Mondes nouveaux que présenteront, les 9 et 10 juillet au Louvre-Lens, Elodie Ségui et son atelier de création « L’Organisation ». « La privatisation du vivant est le fil rouge qui sous-tend mon travail », souligne la metteuse en scène« Cuisine botanique est une œuvre participative sur le pouvoir des plantes proposant une dramaturgie qui lie émotions culinaires et développement d’une pensée éco-attentive ».  Le spectacle contient ainsi « des principes actifs, celui en particulier de réveiller le désir endormi. L’idée est de réactiver des savoirs vernaculaires ».

Cuisine botanique se construit avec les partenaires. À chaque endroit où le spectacle est diffusé, la compagnie travaille avec un cueilleur d’herbes locales et un cuisinier. « Nous faisons un menu et réécrivons le spectacle en fonction de ces herbes. Ce dernier n’est jamais le même en fonction de la saison et de la localité ». Dans le dispositif scénique, la question du corps est centrale. « Je voulais que quelque chose advienne dans le corps du public, poursuit Elodie Ségui. Au début du spectacle, nous lavons les mains des gens, nous les touchons, nous les regardons dans les yeux, nous nous présentons. Il y a un endroit d’échange de corps. Ce n’est pas neutre après la période que l’on vient de vivre ».

Une beauté populaire et joyeuse, amoureuse et tendre

Le baptême du feu de la performance a eu lieu au Conservatoire national botanique de Bailleul : « La compagnie est installée dans le département du Nord, la rencontre avec le Conservatoire national botanique allait de soi, d’autant que c’est un endroit de conservation de plantes sauvages et de plantes qui évoluent, ce qui est en phase avec la plasticité du spectacle ».

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Plaisir d’être ensemble, plaisir des sens, simplicité… le spectacle est « comme une fête de campagne », assure Elodie Ségui. « Je veux que ces repas réunissent tous les publics. C’est une fête qui nous invite à nous réunir dans un corps à corps avec la nature et ces plantes sauvages. Nous travaillons à une beauté populaire et joyeuse, amoureuse et tendre », ajoute l’artiste, dont les créations s’inscrivent dans l’héritage d’une culture « Elitaire pour tous ». Beau programme. Rendez-vous est pris au Louvre-Lens les 9 et 10 juillet.

Elodie Ségui fabrique des formes sensibles et traite des enjeux contemporains à travers des spectacles , des performances, des installations, des concerts, des repas. Elle invite au cœur de la création théâtrale de nouveaux champs d’investigation comme l’agriculture, le design, la science ou la cuisine.

L’oracle du château d’Angers

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Un oracle mystérieux, qui égrène une étrange litanie – « aujourd’hui est comme hier et pareil à demain » ou « aujourd’hui est mieux qu’hier et mieux que demain » – fait son apparition depuis le 1er juillet sur le rempart est du château d’Angers. Plusieurs apparitions, en vérité, puisqu’il y en a quatorze chaque jour d’une durée de trente-trois minutes chacune. Ce n’est évidemment pas un hasard. « Quatorze renvoie au nombre des scènes disparues des tapisseries de l’Apocalypse qui sont conservées dans le château, et trente-trois à la durée de l’audio-guide pour visiter ces tapisseries. Ces oracles qui apparaissent sont un peu comme des révélations des scènes inconnues de l’Apocalypse », précise Matthieu Saladin, l’auteur de l’installation.

Une fable pour expérimenter la qualité de l’air

Il faut ajouter à ces différents éléments la construction de la litanie selon un modèle précis qui rend possibles, selon l’artiste, pas moins de « neuf permutations de la phrase en question ». « L’oracle apparaît sur une structure de panneaux LED reliés à un ordinateur sur lequel fonctionnent des algorithmes eux-mêmes connectés à une station de mesure de qualité de l’air non loin du château d’Angers ». Résultat : « La phrase est déterminée par la qualité de l’air de la veille, du jour, et de sa prédiction pour le lendemain ». Tout s’explique !

 

MONDES-NOUVEAUX-Matthieu Saladin, Oracle (aujourd'hui est-il un autre jour), 2022. Photo Achim Reichert.jpg

Pour le passant, cependant, le mystère reste entier. Rien ne lui permet de relier la phrase entendue (« aujourd’hui est comme hier et pareil à demain », etc.) à son objet, la qualité de l’air, le dispositif étant invisible à ses yeux. Demeure son expérience, unique, entre mystère, histoire, poésie et… écologie. « Le projet porte sur la qualité de l’air autant qu’il questionne cette expérience », commente Matthieu Saladin. L’artiste ne cache pas sa satisfaction d’avoir pu, grâce à Mondes nouveaux, réaliser un projet dans le lieu de son choix. « J’avais proposé différents sites, dont le château d’Angers précisément au regard des tapisseries de l’Apocalypse », assure-t-il, avant de conclure : « Les projets de Mondes nouveaux font vivre une expérience aux habitants ».

Artiste et musicien, Matthieu Saladin est né en 1978. Il vit et travaille à Paris.

Le vêtement en majesté au Désert de Retz

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« Mon geste est très particulier, assure Stéphanie Coudert, à la tête de la maison éponyme. Depuis vingt ans, je travaille sur la conception de vêtements d’un seul bloc, comme si je mettais à plat une bouteille de Klein [surface sans intérieur ni extérieur décrite en 1882 par le mathématicien allemand Félix Klein] et la remontais en volume dans un enroulement infini ». Le projet visible à partir du 9 juillet, intitulé Fabriquer l’infini, qu’elle a préparé dans le cadre de Mondes nouveaux, consiste à présenter sa vision du vêtement comme une ré-interrogation du geste industriel de production du vêtement en série. Dans un cadre historique exceptionnel : le Désert de Retz, situé en bordure de la forêt de Marly, dans les Yvelines. « Je suis tombée amoureuse de ce lieu il y a une dizaine d’années lors de sa réouverture, c’était le cadre idéal pour formuler une utopie et convoquer le merveilleux. Je le fais en créant des vêtements qui traduisent mon geste et offrent aux femmes une liberté et la possibilité de se révéler à elles-mêmes ».

Un atelier d’hommes au service du féminin...

Le projet prend la forme d’une déambulation dans les fabriques : « Dans la Colonne détruite, je présente le travail de la main au service de l’abstrait, à savoir, le patron. La fabrique dite du Temple au Dieu Pan, quant à elle, célèbre le féminin et les matières de la haute couture. La question de la géométrie, de la recherche de la ligne à côté de la forme finale, sera omniprésente ».

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« Mon atelier est un atelier d’hommes au service du féminin », affirme Stéphanie Coudert, en déclinant leurs nationalités : Irakiens, Kurdes, Afghans… Tous seront de l’aventure Mondes nouveaux, ainsi que les apprentis et certains artistes compagnons de route de longue date de la créatrice. « Mondes nouveaux sonnait idéalement pour moi comme pour beaucoup artistes. Après cette période difficile [la crise sanitaire], nous sommes tous revenus à l’essentiel de notre geste. « Fabriquer l’infini, c’est cette idée de construire un volume ouvert autour du corps, c’est aussi une tentative d’appréhender une mode dans lequel on donne un sens aux choses ».

Stéphanie Coudert est une couturière de la coupe en volume qu’elle conçoit comme un langage pour le vêtement.